Le nouveau tweet du ministre saoudien chargé des Affaires du Golfe, Thamer el-Sabhane (qui s'occupe par ailleurs de plus en plus du dossier libanais), dans lequel il qualifie les sanctions américaines contre le Hezbollah de « bonnes mais insuffisantes », ajoutant que « la solution consiste dans une coalition internationale destinée à lutter contre cette formation terroriste et ceux qui coopèrent avec elle », ne peut que faire monter les tensions au Liban. Les tweets successifs du ministre saoudien ainsi que les visites de personnalités libanaises en Arabie montrent clairement que le projet de tenter de renverser le rapport régional des forces est toujours d'actualité. Il peut essuyer des revers mais s'empresse de prendre un nouvel élan.
Selon une source diplomatique arabe en poste à Beyrouth, le dernier épisode de ce plan s'est concrétisé à travers le référendum pour l'indépendance du Kurdistan irakien qui s'est récemment déroulé et qui a obtenu un vote massif en faveur de la naissance d'un État kurde indépendant. Selon le même diplomate, cette initiative des Kurdes d'Irak a été ouvertement appuyée par un seul pays de la région, Israël, alors que l'Arabie saoudite s'est contentée d'un appui tacite. Ce qui montre, toujours selon le diplomate arabe, une convergence d'intérêts entre les Saoudiens et les Israéliens sur ce sujet, même si les positions de ces deux parties sont dictées par des visions différentes.
Pour Israël, il est clair que l'objectif est de créer une entité étrangère et probablement hostile, au milieu des pays considérés comme ses ennemis (à des degrés différents), à savoir l'Iran, l'Irak, la Syrie et la Turquie. L'émergence d'un État kurde devrait forcément affaiblir ces pays en raison de la tentation de contagion qu'elle pourrait provoquer chez les Kurdes d'Iran, de Turquie et de Syrie, et, en même temps, ce serait le premier pas concret vers un effritement des pays de la région en entités ethniques et confessionnelles, qui renforcerait Israël et éliminerait ses ennemis. Pour l'Arabie saoudite, l'enjeu est différent. Il s'agit plus simplement d'affaiblir l'Irak, la Turquie et surtout l'Iran, tout en déclenchant un processus de partition de la Syrie, le royaume wahhabite n'acceptant toujours pas l'idée d'une victoire du régime syrien. Dans l'optique saoudienne, l'émergence d'un État kurde en Irak ne pourrait que favoriser une redistribution des cartes dans la région, et en particulier en Syrie, où le régime est déjà accusé par ses détracteurs de procéder à une épuration ethnique et confessionnelle. Pour les dirigeants saoudiens, les personnalités libanaises les plus aptes à défendre l'initiative kurde sont les chrétiens dans la mouvance du 14 Mars qui sont plus libres de leurs actes et de leurs déclarations que les personnalités sunnites, en particulier le président du Conseil Saad Hariri qui a les mains liées par les exigences de la gestion des affaires de l'État.
Selon le diplomate arabe en poste à Beyrouth, ce serait là la véritable raison qui a poussé les dirigeants saoudiens désireux de reprendre l'initiative au Liban et dans la région à lancer leurs invitations aux personnalités chrétiennes en premier. Une attention particulière a même été accordée au chef du parti Kataëb Samy Gemayel qui n'avait pas jusque-là été pris au sérieux par les dirigeants saoudiens, habitués à traiter avec son père le président Amine Gemayel. Mais les dernières positions de Samy Gemayel ainsi que l'élan populaire qui semble le porter les ont poussés à l'inviter pour entendre de près sa vision des développements et voir s'il pouvait être un cheval de bataille dans la confrontation politique qu'ils souhaitent encourager au Liban. Le diplomate arabe en poste à Beyrouth fait ainsi remarquer qu'au Liban, les chrétiens ont toujours prêté une oreille favorable à ceux qui élaborent des plans pour la région, en raison de leurs divisions incessantes et de la multiplicité des chefs parmi eux. Ils sont donc toujours prêts à se dresser les uns contre les autres, en se cachant derrière des slogans plus ou moins convaincants. Cette constante a failli changer avec le rapprochement entre les Forces libanaises et le CPL dans le cadre de l'élection présidentielle, mais l'entente n'a pas résisté aux sirènes du pouvoir, aux appétits dans les nominations, mais surtout à la rivalité politique sous le couvert de divergences dans la stratégie. Certes, le rapprochement entre les FL et le CPL n'est pas une page tournée. Il existe encore dans son stade minimal (non à tout affrontement interne) et dans les déclarations publiques. Mais les coups fourrés, de part et d'autre, sont légion et montrent une fois de plus que les leaders chrétiens continuent de placer leurs intérêts en premier, même si cela doit affaiblir l'ensemble de la communauté. La diversité interchrétienne, qui était une richesse sur le plan démocratique, peut se transformer en malédiction en période de tensions régionales. Surtout lorsque les enjeux sont aussi graves que ceux qui se dessinent à partir du Kurdistan irakien et peuvent se propager dans l'ensemble de la région.
Liban - Décryptage
Les chrétiens du Liban...et les projets régionaux
OLJ / Par Scarlett HADDAD, le 09 octobre 2017 à 00h00
commentaires (7)
Parler du peuple Kurde comme une entité étrangère et probablement hostile, c'est vraiment faire preuve de cynisme et d'ignorance de l'histoire: ils furent trahis par les Occidentaux suite à une hypocrisie révoltante au nom de balance géopolitique...Dont on paye le prix aujourd'hui... Quand aux Chrétiens "Nationalistes " sympathiques à leur cause, et pourquoi pas, d'un point de vue purement moral et de soutien aux peuples opprimés... Mais qu'ils commencent à s'entendre entre eux pour leur avenir dans notre propre pays, ingouvernable et entre les mains d'idéologies étrangères à nos mœurs...
Saliba Nouhad
17 h 50, le 09 octobre 2017