À cheval sur Kantari et la rue Joumblatt, l'élégant quartier de Clemenceau est niché entre l'étincelant Wadi Abou Jamil de Solidere, qui a fait peau neuve dans les années 2000, et la région plus authentique et presque intacte de Wardieh. On y retrouve une belle quiétude et des traces de notre histoire qui se conjuguent parfaitement avec les trésors cachés de notre siècle.
Les noms des rues, à eux seuls, évoquent des émotions colorées, des rencontres, des sentiments partagés. Les exemples sont nombreux et font rêver ou juste se souvenir. Parmi eux, les rues Georges Cyr, Khalil Gebran, tous deux des symboles de l'art et de la culture du XXe siècle situés à quelques pas l'un de l'autre.
L'amie et complice de toute une vie, celle qui a si bien su aimer le poète, l'écrivaine libanaise May Ziadé, n'est pas loin. Ici, contrairement à la réalité, les deux êtres ont réussi à se rejoindre et s'unir, à un croisement juste en face de la magnifique église évangélique arménienne.
Tout près, la rue Justinien impose avec justesse son architecture dominante. Au coin de la rue, ce sont les rues d'Amérique et du Mexique qui se retrouvent, sans qu'aucun mur, ici, ait pu les séparer ! La rue de Rome longe le côté ouest du quartier, concluant ainsi la visite guidée des rues qui portent le nom d'une ville.
Des rues toutes situées dans un quartier baptisé du nom du journaliste, scientifique, homme politique et médecin français Georges Clemenceau, qui fut président du Conseil durant la Première Guerre mondiale.
Entre passé et présent
Mais la visite ne fait que commencer... Les rues, dans ce coin, méritent le détour. Pour la plupart regorgeant de symboles d'avant et d'après-guerre, elles gardent un parfum des belles années 70. Au bout du ring qui la sépare d'Achrafieh, la tour Murr, inachevée, mais toujours très présente, est le premier spectre d'antan. La rue Michel Chiha mène à l'ancien palais présidentiel de Kantari, restauré par Saad Hariri, et à la Bibliothèque nationale du Liban, autrefois faculté de droit et de sciences politiques. Une magnifique illustration de la renaissance culturelle du pays. Ce bâtiment, récemment rénové, est ouvert aux visiteurs en attendant de pouvoir accueillir les milliers de livres en cours de restauration, toujours stockés au port de Beyrouth. Un peu plus loin, la banque centrale (Banque du Liban), un bloc fascinant datant des années 50 prolongé d'un bâtiment plus récent, abrite également un magnifique musée, une salle de 500 m², conçue par la firme canadienne Lord, avec une sélection rare de billets nationaux et internationaux de diverses périodes historiques et un trésor de 579 pièces en argent, bronze ou or, datant des époques perse, séleucide, romaine, byzantine, mamelouk et croisée.
Cette coexistence architecturale se poursuit très harmonieusement dans tous les coins qui composent Clemenceau. Des immeubles des années 70, d'autres plus modernes, des petits cafés, des centres de yoga, d'anciens théâtres, parmi lesquels le fameux Masrah el-Madina, à l'intersection de Justinien et Clemenceau, autrefois le cinéma Clemenceau, à présent reconverti en un superbe espace d'art contemporain, la galerie Saleh Barakat. Quelques mètres plus loin, de l'autre côté de la Lebanese Universal School, la fondation Dar el-Nimer, également installée dans un immeuble des années 70, se dédie à l'art ancien, moderne et contemporain de Palestine et du Levant. Au bout de sa rue, l'hôpital Trad, enveloppé de bougainvilliers de toutes les couleurs, conserve une architecture européenne ancienne qui rend sans doute les douleurs plus douces... Un peu plus loin, sur la rue du Mexique, deux arrêts ludiques s'imposent : le premier dans un charmant petit restaurant thaïlandais, le Jaï, et l'autre, après le repas, au Bardo, qui mêle parfaitement bien les genres, en toute liberté. En face, l'Université Haigazian, fondée en 1955, a installé dans son jardin Mugar, pour son 50e anniversaire, la réplique du Cedar 4, une fusée créée par Joanna Hadji Thomas et Khalil Joreige dans le cadre de The Lebanese Project, la conquête spatiale libanaise qui avait démarré en ces lieux avec le professeur Manoug Manougian.
Le tour de Clemenceau/Kantari ne peut s'achever sans une balade vers les limites de Aïn el-Mrayssé. Car ici, encore plus qu'ailleurs, le parfum noir et blanc du passé continue à hanter nos mémoires. Avec, d'abord, le Holiday Inn, qui se dresse encore fièrement, inlassablement, criblé en son corps, témoin et symbole d'une guerre absurde. Construit par les architectes André Wogenscky et Maurice Hindié à la place de l'hôpital Saint-Charles qui fut déplacé, l'hôtel de 24 étages, avec un restaurant panoramique, faisait partie de l'éphémère St Charles City Center. Inauguré en grande pompe, comme il le méritait, en 1974, il deviendra le premier champ de bataille, idéal pour détruire l'économie du pays et diviser la ville. Entre vente, destruction ou reconstruction, son sort n'est toujours pas joué. Et enfin l'ESA, École supérieure des affaires, située au 289, rue Clemenceau. Autrefois orphelinat, hôpital, elle sera transformée en résidence pour diplomates français avant, elle aussi, d'être désertée pour cause de guerre. Officiellement inaugurée en 1996, l'établissement s'intègre parfaitement au quartier et lui donne une touche européenne qui lui va bien et qu'on aime.
http://www.zawarib.net/
Facebook : Zawarib Beirut
Insta : zawarib_world
YouTube : zawaribworld