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Liban - Social

Chiffrer les violences contre les femmes... pour y mettre un point final ?

L'Escwa a lancé à Beyrouth la première phase du projet sur l'estimation financière des violences domestiques dans les pays arabes.

Mohammad Ali al-Hakim, directeur exécutif de l’Escwa, lors de son intervention au cours du lancement du projet, au musée Sursock.

L'idée peut surprendre, même déstabiliser certains : comment estimer le coût d'un drame intime, celui de milliers de femmes subissant la violence d'un compagnon au sein même de la famille ? Et pourtant il y a de quoi faire, parce que le coût économique pour la société est plus que conséquent, d'une part, et parce que l'argument peut s'avérer décisif auprès des autorités qui seraient encore réticentes à agir, d'autre part. Pour exemple, selon une étude effectuée par le bureau Fear and Hoeffler, citée dans le Rapport 2017 de l'ONU sur le statut des femmes arabes, le chiffre mondial estimé des pertes accumulées en raison des violences contre les femmes et les enfants est d'environ 8,1 trillions de dollars par an, soit près de 7,4 % du PIB mondial !

Dans les pays arabes, comme on peut s'y attendre, il n'y a encore aucune estimation à ce propos. Mercredi, depuis Beyrouth, l'Escwa a lancé, en partenariat avec le bureau régional de l'agence ONU Femmes, l'Institut suédois en Alexandrie et l'Institut d'études sur les femmes dans le monde arabe de la LAU, la première phase du projet sur l'estimation des coûts de la violence conjugale dans la région arabe. Une initiative qui devrait pousser plusieurs pays arabes à effectuer de telles études d'estimation des coûts, dans une région où, ainsi que l'ont noté nombre d'interventions au cours du lancement, la violence conjugale contre les femmes est particulièrement commune et étendue.

Mais que signifie d'estimer le coût de cette violence et sur base de quels critères ? Selon le document de l'Escwa, la méthodologie passe en revue les domaines suivants : la justice (coûts de procès...), la santé mentale et physique (infrastructure, personnel...), les services sociaux aux survivantes (lignes vertes, centres d'accueil et centres d'information), l'éducation (services spécialisés pour les enfants traumatisés), le revenu perdu (jours d'absence, travail non rémunéré...), pertes financières pour la famille (dépenses imprévues pour des services incluant l'achat de médicaments, le transport ou encore les thérapies).

 

(Pour mémoire : L’ONU salue l’abrogation des lois sur le viol au Liban, en Jordanie et en Tunisie)

 

Huit trillions de dollars
Selon les concepteurs du projet, une telle estimation de coût est un « outil de réforme » pour un changement en profondeur. Prié par L'Orient-Le Jour de donner plus de détails, Mohammad el-Nassiri, directeur régional d'ONU Femmes dans le monde arabe, estime d'emblée que « mettre fin à la violence contre les femmes est leur droit ». « Mais d'un autre côté, la violence a des conséquences financières, poursuit-il. Les hommes politiques et les législateurs comprennent la langue des chiffres. Ils doivent savoir combien coûte à la société ce statu quo dans la violence contre les femmes, combien cela coûte aux hôpitaux, aux postes de police, aux tribunaux, à combien se chiffrent les jours de travail perdus... Il est estimé que le total de tous ces coûts atteindrait des millions de dollars pour chaque pays. » Il ajoute : « Si nous travaillons à créer un système complet pour protéger les femmes, appliquer la loi et assurer des centres d'accueil à l'intention des survivantes de violence conjugale, cela aura des bénéfices aussi pour les finances de l'État. »

La première étude se fera en Palestine, ainsi que cela a été annoncé. Qu'arrivera-t-il ensuite ? « Nous prendrons en compte les chiffres qui résulteront de cette étude, après sa durée estimée à huit mois, et nous transmettrons ces résultats aux différents responsables afin de les convaincre, par exemple, de créer des centres d'accueil dans chaque région, répond-il. Il faudra aussi procéder à la formation des policiers qui accueillent les victimes, afin qu'ils sachent comment gérer ces cas de manière appropriée. Il faudra également assurer à la survivante de violence des institutions qui peuvent la recueillir, la soigner et traiter son cas en justice. » Il souligne que les différentes agences onusiennes concernées aideront dans ce cas les pays à effectuer ces réformes.

Interrogé sur la possibilité d'une étude générale pour les pays arabes, M. Nassiri estime que des efforts seront prodigués en ce sens. Il fait cependant remarquer que des études significatives dans plusieurs pays arabes, sinon tous, suffiront à dégager des recommandations en vue de réformes dans tous les autres pays, notamment en ce qui concerne la mise en place d'un système complet de protection.
Sur les bénéfices à long terme d'une telle démarche, M. Nassiri, se basant sur le chiffre mondial exorbitant de huit trillions de dollars, affirme qu'« avec une politique de lutte contre la violence, il y aura non seulement une résorption des déficits, mais un retour de prospérité en raison d'une reprise de productivité de nombreuses femmes ».

 

(Pour mémoire : « Je criais, mais personne ne m’entendait »)

 

Le Liban, prochainement
La première étude a donc commencé dans les territoires palestiniens. Au Liban, qui a connu ces dernières années des cas très médiatisés de femmes violentées et parfois assassinées par leurs maris, cela ne saurait tarder non plus. Selon M. Nassiri, l'étude des coûts de la violence au Liban suivra immédiatement celle de Palestine. Il ajoute que « le soutien du gouvernement libanais à un tel projet est total ».

Présent au lancement de l'étude, le ministre d'État aux Droits de la femme, Jean Oghassabian, s'est dit enthousiaste par rapport à ce projet. « Il est très important de faire des statistiques, dit-il à L'OLJ. Même si la question de la violence contre la femme est surtout humanitaire, des chiffres sur le coût de cette violence pourraient être importants à connaître. » Le ministre affirme avoir déjà effectué des contacts avec l'ONU pour entamer une telle étude au Liban, soulignant que son ministère devrait en être le point focal.
Dans l'auditoire, des responsables officiels de plusieurs pays arabes prenaient part à ce lancement.

Rencontré sur place, Yehia ibn Badr al-Maawaly, responsable ministériel à Oman, assure que son pays a fait d'énormes progrès en matière de droits des femmes et de lutte contre la violence. Interrogé sur son opinion concernant l'utilité de l'estimation des coûts de cette violence conjugale, il se dit convaincu « qu'une telle démarche pourrait régler beaucoup de problèmes en montrant la réelle ampleur de cette question et son impact sur la société ». « Les acteurs politiques et économiques seront davantage convaincus de la nécessité d'agir et d'instaurer une réelle coopération », ajoute-t-il.

Les interventions au cours de la cérémonie de lancement ont insisté sur les taux de violence bien trop élevés dans les pays arabes – selon les chiffres avancés dans un documentaire sur la violence visionné sur place, une femme mariée ou divorcée sur trois est victime de violence. Beaucoup ont insisté sur le cercle vicieux des mentalités favorisant de tels comportements, sur la sensibilisation nécessaire afin de briser le silence – le coût économique étant l'un des outils de changement possibles – ainsi que l'impact à long terme sur les générations d'hommes et de femmes qui vivent leur enfance dans de telles conditions.

 

 

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L'idée peut surprendre, même déstabiliser certains : comment estimer le coût d'un drame intime, celui de milliers de femmes subissant la violence d'un compagnon au sein même de la famille ? Et pourtant il y a de quoi faire, parce que le coût économique pour la société est plus que conséquent, d'une part, et parce que l'argument peut s'avérer décisif auprès des autorités qui...
commentaires (2)

POUR ENVOYER PLUTOT LES CONTRAVENANTS CHEZ LES PSYCHIATRES OU LES INTERNER...

ECLAIR

20 h 01, le 06 octobre 2017

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Commentaires (2)

  • POUR ENVOYER PLUTOT LES CONTRAVENANTS CHEZ LES PSYCHIATRES OU LES INTERNER...

    ECLAIR

    20 h 01, le 06 octobre 2017

  • "On n'est pas complètement homme tant qu'on ignore la femme." Henri-Frédéric Amiel ; Journal intime, le 14 décembre 1849. ------------------------------------------ QUI EST-CE L'HOMME, SANS LA FEMME ?

    Sarkis Serge Tateossian

    14 h 44, le 06 octobre 2017

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