Avec l'accélération des développements régionaux et internationaux, le Liban est visiblement appelé à traiter des dossiers épineux au cours de la prochaine étape. L'un d'eux est celui de la coordination officielle avec le régime syrien pour l'amorce du retour des déplacés chez eux. À la tribune de l'ONU, le président Michel Aoun a d'ailleurs évoqué clairement le sujet en précisant que le régime syrien contrôle désormais près de 85 % du territoire qui est pratiquement pacifié, puisque ne lui échappe plus que quelques poches dispersées dans les provinces du pays, qui sont désormais insuffisantes pour provoquer une déstabilisation à large échelle.
Le chef de l'État a aussi insisté sur la nécessité d'assurer aux déplacés un retour sûr, mais il a ajouté qu'il ne s'agit pas d'attendre qu'il soit volontaire comme l'avait pourtant exigé la communauté internationale au cours des différentes conférences consacrées au dossier des réfugiés syriens. En principe, que ce soit à la conférence de Londres en février 2016 ou à celle de Bruxelles en mars 2017, la communauté internationale avait en effet parlé d'un « retour sûr, volontaire et digne ». Toutefois, la situation en Syrie a beaucoup changé au cours des derniers mois, et ce qui pouvait être valable lorsque la Syrie était divisée en zones contrôlées par des groupes divers ne l'est plus à partir du moment où la plus grande partie du territoire est repassée sous le contrôle du régime qui est aussi en réalité l'État avec des institutions qui fonctionnent (parfois mieux que celles de l'État libanais). De plus, et il s'agit là d'un facteur important, l'armée syrienne contrôle désormais la plupart des frontières du pays, une partie importante au nord avec la Turquie, la frontière avec le Liban, la frontière avec la Jordanie depuis la prise du passage de Nassib et une grande partie de la frontière avec l'Irak.
Les zones frontalières qui ne sont pas encore sous le contrôle de l'armée syrienne sont celles où se trouvent encore des groupes classés terroristes comme Daech et l'ex-Front al-Nosra, notamment dans une partie de la frontière avec l'Irak et dans une autre partie de la frontière avec la Turquie. Seule la zone contrôlée par les forces kurdes échappe à cette classification. Ce qui signifie que tout retour des déplacés syriens dans leur pays ne peut se faire qu'avec l'aval du régime syrien, ce dernier contrôlant la plus grande partie des frontières, ainsi que le port de Tartous et les aéroports. Pour cette raison, il est concrètement impossible de lancer le processus du retour sans l'accord du régime syrien qui pourrait alors refouler le flot des revenants, provoquant ainsi une crise humanitaire encore plus grave que celle que vivent actuellement les déplacés dans les pays d'accueil.
Ce qui se voulait donc comme une carte maîtresse entre les mains de la communauté internationale contre le régime syrien, longtemps accusé de tuer son peuple, est en train de devenir un facteur qui joue en sa faveur, puisque désormais aucun déplacé ne peut revenir en Syrie sans sa permission. C'est sans doute la raison pour laquelle le président américain Donald Trump a déclaré à la tribune de l'ONU que son pays est favorable à la « réinstallation » des réfugiés syriens dans les pays voisins, provoquant ainsi un vent de panique chez les Libanais qui ne parviennent toujours pas à accepter l'implantation des réfugiés palestiniens et sont encore moins favorables à l'installation définitive des déplacés syriens sur leur sol. Les incidents réguliers entre Syriens et Libanais dans nombre de localités libanaises (le dernier en date est l'assassinat de Raya Chidiac à Miziara) ne viennent pas arranger les choses et alimentent un rejet libanais de la présence massive des déplacés syriens. Ce rejet n'est pas nécessairement dû à une attitude raciste, comme on le qualifie dans certains milieux internationaux, mais à cause du fait que la présence massive et désordonnée des déplacés syriens au Liban a provoqué au bout de six ans de nombreux problèmes économiques et sociaux, faisant grimper le taux de chômage libanais ainsi que le nombre des crimes de droit commun et des délits mineurs, sans parler des cellules terroristes, rendant la cohabitation pesante et dans certains cas intolérable.
En dépit de ce constat presque unanime, certaines parties politiques libanaises continuent à rejeter la possibilité d'une coordination avec le régime syrien sur ce dossier. Mais selon une source gouvernementale, ce rejet est bien plus médiatique et politique que réel. Finalement, après un grand tapage médiatique, la visite des ministres libanais pour participer à la Foire internationale de Damas est désormais une page tournée. Demain, la rencontre de la semaine dernière entre les ministres libanais et syrien des Affaires étrangères à New York sera aussi dépassée. Mais le malaise demeure. La même source précise que le Premier ministre Saad Hariri se garde bien de faire des commentaires sur ce sujet, se contentant de laisser à ses proches et aux membres de son bloc parlementaire le soin de le faire, parce qu'il tient d'abord à préserver la cohésion du gouvernement qu'il préside et ensuite parce qu'il sait qu'au-delà des surenchères, il s'agit d'un dossier impopulaire et délicat. Il préfère donc éviter de l'aborder publiquement. Mais pourra-t-il continuer de l'ignorer, sachant que le Liban est entré en période de campagne électorale et surtout que le chef de l'État semble déterminé à l'ouvrir ?
Il va falloir déployer des trésors d'ingéniosité pour franchir ce cap délicat, mais, de l'avis de tous, la priorité reste à la cohésion gouvernementale.
commentaires (8)
Excellentissime Scarlett. Vous dites les faits quand les autres disent ce qu'ils sont envie d'entendre. On est plus dans le meme tempo ni dans la même division .
FRIK-A-FRAK
18 h 46, le 27 septembre 2017