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Liban - La vie, mode d’emploi

L77- Le salut par les chiens tenus

Ils sont là : deux beaux jeunes gens avec leurs chiens de race qu'ils tiennent en laisse. Image de la jeunesse qui souhaiterait tenir ses désirs, ses sentiments et le monde au bout d'une corde. Ils sont fiers, ces grands garçons, de leurs chiens, comme ils pourraient l'être d'eux-mêmes; fiers qu'ils rentrent leurs crocs, se soumettent à une volonté supérieure, défilent gentiment pour se faire admirer.

La forêt sauvage dominée et domestiquée par la grâce d'une ficelle ! Ils sentent, bien sûr, dans leur main la puissance des bêtes impatientes de se manifester, qui tirent sur la bride pour aller du côté indiqué par le flair, pour échapper au compagnonnage forcé, pour gambader, vagabonder, cavalcader, brigander, paillarder. Mais il suffit d'un petit mouvement du poignet pour empêcher cette impulsion de devenir action. La force ne va pas, elle est entièrement enserrée, comme un atome, dans la paume. Car il est possible aussi de lancer les chiens contre ce monde inquiétant qui rôde autour de la jeunesse pour voir ce qu'elle vaut : les maîtres du savoir et du pouvoir, les maîtresses du plaisir... Mais de toute leur personne, ces éphèbes semblent proclamer que le vrai savoir est de savoir tenir, le vrai pouvoir est de pouvoir se retenir, le vrai plaisir est de ne dépendre que de soi. Ils s'éprouvent dieux et ne réclament que l'hommage des regards. Ils avancent lentement, majestueusement, du pas de celui que le temps même ne presse pas, qui décide du temps, qui ne prend pas la peine de se soucier de l'instant d'après. L'univers entier est convié à cette parade de l'homme victorieux de la nature et du destin. Ils avancent et donnent l'impression qu'ils pourraient ainsi, de leur pas assuré, avec leurs yeux levés vers les lointains, leur sceptre à la main, atteindre jusqu'à l'extrémité de l'univers. Tout frémit de puissance et d'exaltation contenues. Ils avancent et, soudain, tout s'arrête. Devant eux, le portrait géant de leur ami, mort à l'aube de sa jeunesse alors qu'il escaladait les cimes d'une montagne.

Qui a lâché les chiens du malheur, un glorieux après-midi d'été tout pareil à celui-ci ? De quelle main la laisse a-t-elle glissé ? Qui mettra à distance le malheur qui, désormais, ne vous lâche plus ? Qui chassera le souvenir dangereux qui, à chaque pas, vous rattrape ? Qui a détrôné cette jeunesse avant même qu'elle n'ait pu dire son mot ? Qui la sauvera du jeu de parade des chiens tenus, de la réalité déchaînée, tous crocs dehors, et des verdicts implacables de la nature et du destin ?

 

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