Le dossier des réfugiés est revenu en force avec ses multiples ramifications et ses effets sur les plans sécuritaire, socio-économique et politique. Avec la détérioration de la situation sécuritaire interne, la résurgence de la menace terroriste, telle qu'elle s'est récemment manifestée lors de l'opération menée par l'armée libanaise à Ersal, et la crise économique qui s'exacerbe de plus en plus, la présence de près d'un million de réfugiés ( dernier chiffre avancé par le Haut-Commissariat des réfugiés), est devenue l'argument-type pour justifier presque tous les maux dont souffre actuellement la société libanaise.
Le poids de ces nouveaux visiteurs, dont le séjour commence à « peser » en l'absence notamment d'un règlement en Syrie mais aussi d'une politique claire de l'État libanais, est indéniable. La pesanteur se fait d'autant plus sentir que ce dossier a fait ressurgir de vieux démons dans l'inconscient collectif libanais : que ce soit du point de vue des équilibres démographiques déjà assez fragiles dans le pays, de la menace terroriste liée de manière systématique aux « camps des déplacés » ou encore du « poids économique » que ces derniers représenteraient, selon une perception grandissante chez un bon nombre de Libanais, voire même de hauts responsables politiques, des idées parfois infondées, souvent exagérées, surgissent, portant préjudice aussi bien aux Syriens qu'aux Libanais.
Un retour donc aux chiffres et à la vérification des faits s'impose aujourd'hui pour pouvoir évaluer à sa juste valeur l'impact ou le coût global des déplacés sur le Liban, note en substance la représentante du Haut-Commissariat des réfugiés, Mireille Girard, dans un entretien avec la presse.
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Tout en reconnaissant que l'aide internationale parvenue à ce jour reste « insuffisante par rapport aux besoins », Mme Girard rappelle que le Liban a bénéficié, depuis 2014, de 450 millions de dollars en aides accordées aussi bien aux réfugiés eux-mêmes qu'aux sociétés d'accueil.
« L'objectif principal de ces aides est de réduire la tension entre les deux communautés en épargnant au pays d'accueil la pression exercée sur les ressources principalement », confie la responsable onusienne.
L'exemple cité est le secteur de l'éducation. Les organisations internationales offrent ainsi annuellement la somme de 600 dollars par enfant syrien qui fréquente l'école publique. Cette aide concerne près de 250 000 enfants scolarisés. Une aide subsidiaire est également accordée aux enfants libanais dans le besoin.
Le HCR rembourse par ailleurs jusqu'à concurrence de 75 % les frais d'hospitalisation des déplacés dans les cas d'urgence tels que les brûlures ou les hémorragies, un taux qui atteint les 90 % pour les groupes les plus vulnérables. Pour ce qui est d'autres types d'hospitalisation, les frais sont assumés par les réfugiés. « Lorsqu'ils n'ont pas d'argent, ils n'ont tout simplement pas accès aux soins », explique Mme Girard.
Quant aux allégations selon lesquelles ces derniers « saignent l'économie libanaise » et « constituent une concurrence déloyale à la main-d'œuvre locale », elles restent complètement infondées si l'on en croit les chiffres et les études faites à ce propos.
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Selon l'ancien ministre Tarek Mitri, les déplacés syriens dépensent près de 104 millions de dollars par mois, soit près d'un milliard 250 millions de dollars annuellement. « Ce chiffre vient contredire les affirmations d'un haut responsable politique qui affirmait que la baisse de la croissance économique est due à la présence syrienne au Liban. C'est le contraire qu'il faut retenir », dit-il dans un entretien express à L'OLJ.
L'ancien ministre met ce type d'allégations sur le compte de l'ignorance ou l'occultation des faits et met en garde contre la montée de la xénophobie et de la haine à l'égard des Syriens, une pathologie qui se répand comme un feu de paille.
« Ce sentiment est malheureusement nourri par des politiques publiques défaillantes au cours des dernières années mais aussi par les amalgames dangereux que l'on tend à faire entre terrorisme et réfugié toutes les fois que l'on décide de mener des opérations militaires préventives », déplore l'ancien ministre.
C'est un son de cloche similaire mais plus diplomatique que l'on entend auprès du HCR où on tient à rappeler que la crise au Liban n'est pas due à la présence des réfugiés, mais plutôt à la guerre en Syrie et à des problèmes structurels inhérents à l'économie libanaise. « Du fait de la guerre en Syrie, les exportations terrestres ont chuté, le tourisme également », rappelle Mme Girard. Selon elle, la concurrence existe, certes, mais elle reste limitée à certains emplois sous-qualifiés dans les secteurs de l'agriculture et de la construction. « Le chômage au Liban est plus élevé parmi les jeunes non pas tant parce que les Syriens constituent une main-d'œuvre concurrente que parce qu'il n'existe pas de politique publique pour la création d'opportunités de travail », dit-elle.
Plus dangereux encore, l'amalgame généralement fait entre terrorisme et camp de réfugiés. Une idée d'autant plus erronée que seuls 30 % des déplacés syriens vivent dans des camps. « Le terrorisme c'est l'exception », rappelle Tarek Mitri. Mme Girard tient à rappeler de son côté que 79 % des déplacés sont des femmes et des enfants et tous les hommes ne sont pas nécessairement amateurs d'armes ou de violence.
« Cela fait plus de cinq ans que l'on nous parle des déplacés comme étant une bombe à retardement. Les faits ont prouvé que le danger sécuritaire dû aux Syriens est largement exagéré », commente M. Mitri.
Ce dernier se dit attristé de voir le Liban, un pays qui a été salué pour sa générosité et son accueil chaleureux ( au départ) des réfugiés, « perdre aujourd'hui ce crédit ». « C'est la haine de l'autre, la xénophobie, le rejet et la marginalisation qui risquent de devenir une véritable bombe à retardement », poursuit l'ancien ministre. Selon lui, c'est l'absence d'une politique claire et unifiée à l'égard du dossier des réfugiés qui fait hésiter à ce point la communauté internationale à s'investir encore plus pour aider le Liban dans cette tâche.
Plus optimiste, la représentante du HCR reste persuadée que « les valeurs de solidarité, d'entraide et de respect de la dignité humaine défendues par la communauté internationale continuent d'être partagées au Liban, et ce, en dépit des difficultés socio-économiques rencontrées au quotidien du fait du poids des déplacés ».
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La réalité décryptée en chiffres
Voici quelques chiffres et faits pertinents relatifs aux déplacés syriens, obtenus auprès du HCR.
- Le Liban a bénéficié, depuis 2014, de 436,6 millions de dollars en aides accordées aussi bien aux réfugiés eux-mêmes qu'aux sociétés d'accueil, par le biais notamment de projets de réhabilitation touchant principalement l'infrastructure, l'octroi de services de base et l'équipement d'institutions fournissant des services aux deux communautés.
– 41 pays donateurs se sont engagés à Bruxelles à débourser la somme de 6 milliards de dollars pour l'année 2017 en guise de soutien à court et long termes aux pays d'accueil de la région.
- Le HCR a versé, entre 2011 et 2017, près de 183,5 millions de dollars en aide aux communautés d'accueil et aux institutions libanaises, dont 125 millions aux ministères des Affaires sociales et de la Santé.
- Les déplacés payent en moyenne 200 dollars de loyer, y compris pour le terrain des camps dits informels.
- Les réfugiés s'acquittent également de leur facture en eau et en électricité, qui peut atteindre jusqu'à 50 dollars par mois.
- Le Programme alimentaire mondial ( PAM ) fournit 27 dollars par personne par mois pour l'achat de provisions, pour une famille de 5 personnes. Une somme qui est nettement réduite, voire parfois absente si l'un des membres de la famille travaille et gagne même un salaire minimal qui ne dépasse souvent pas les 150 dollars par mois.
- 120 000 nouveau-nés au Liban ont été enregistrés depuis 2011. Ils sont déclarés auprès du moukhar à l'état-civil et au HCR pour que leur identité puisse à l'avenir être confirmée.
- 70 % des Syriens sont sous le seuil de pauvreté et 50 % dans une situation d'extrême pauvreté.
- La majorité des déplacés affirment sans aucune hésitation vouloir rentrer chez eux. Une preuve qu'ils ne cherchent pas à s'éterniser au Liban.
- 200 000 réfugiés ont quitté le Liban au cours des deux dernières années dans le cadre du programme de réinstallation dans un pays tiers.
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Nous ne sommes pas xénophobes, Monsieur Tarek Mitri, nous en avons tout simplement assez de voir toute l'attention portée à ces réfugiés syriens qui ont envahi notre pays, pour des raisons qui n'ont pas été provoquées par nous, peuple libanais. Combien de "moutons noirs" sont trouvés chaque jour parmi eux...et qui se sont "réfugiés" chez nous pour accomplir leur sale besogne, commanditée par leurs comparses de l'autre côté de la fontière ? L'étranger normal et convenable à toujours été cordialement accueilli au Liban, dont la réputation est intacte à ce sujet partout dans le monde ! Vous devez le savoir vous-même, Monsieur Tarek Mitri, qui voyagez beaucoup, non ? Irène Saïd
15 h 16, le 12 juillet 2017