C'est une réunion atypique que le président de la République Michel Aoun envisage de tenir aujourd'hui au palais présidentiel de Baabda. Elle avait initialement pour but de rassembler les chefs des partis représentés au gouvernement, mais ce ne sont finalement pas tous les chefs de file qui se rendront au palais. Du côté des Forces libanaises, c'est Melhem Riachi qui représentera Samir Geagea, tandis que, pour le Rassemblement démocratique, Marwan Hamadé a été dépêché par Walid Joumblatt pour le représenter. Du côté du tandem chiite, le Hezbollah ne sera en principe pas représenté par son secrétaire général, Hassan Nasrallah, qui ne se déplace presque plus pour les raisons de sécurité que l'on connaît.
C'est le chef du bloc parlementaire de ce parti, le député Mohammad Raad, qui assistera donc à la réunion. Le leader des Marada, Sleiman Frangié, devrait retrouver le chemin de Baabda, qu'il boycotte depuis le début du mandat Aoun. Sauf si la baisse du niveau de représentation le pousse lui aussi à changer d'avis. Le mouvement Amal sera représenté, lui, par le président de la Chambre Nabih Berry, le but étant également de fluidifier les relations entre l'exécutif et le législatif, puisque le Premier ministre Saad Hariri, leader du courant du Futur, sera également présent. Les chefs du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil, du Parti syrien national social Ali Kanso, du Parti démocrate Talal Arslane et du Tachnag Hagop Pakradounian sont également conviés.
À l'ordre du jour de la réunion, outre le principe de la redynamisation des institutions après des mois de querelles liées tantôt au dossier de l'électricité, tantôt à celui de la loi électorale, « l'application de ce qui n'a pas encore été mis en œuvre au sein de l'accord de Taëf », mais aussi « le discours d'investiture » du président de la République, et les questions vitales socio-économiques.
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L'opportunité d'un rabibochage express
Une source proche de Baabda explique d'ailleurs que le but de la rencontre est autant de lancer un chantier destiné au sauvetage économique et social du pays que d'effectuer un rabibochage express des alliés au sein du gouvernement, dont les relations ont été très affectées par les récents remous provoqués par l'adoption de la nouvelle loi électorale.
Les dissensions mineraient-elles d'ores et déjà le gouvernement ? À en croire l'ancien ministre CPL Gaby Layoun, cela est loin d'être le cas : « Le gouvernement n'est pas en train de s'effondrer », a-t-il en substance affirmé à l'agence al-Markaziya. Interrogé par L'Orient-Le Jour, le député CPL Alain Aoun place, lui, cette réunion « dans la foulée du vote de la loi électorale ». Selon lui, les points à l'ordre du jour de la réunion sont « le package-deal qui a été discuté avec la loi électorale » puis abandonné pour ne pas compliquer encore plus le processus du vote du texte, à l'instar de « la création du Sénat et de la parité ».
Il sera également question « de cette période pré-électorale, qui se présente comme transitoire, mais qui en réalité n'en est pas une, car il est urgent et prioritaire de plancher sur un plan de redressement économique et de le mettre à exécution dans les mois à venir ». Il s'agit aussi, ajoute Alain Aoun, de « tourner la page, d'absorber les différends provoqués par les tractations et l'adoption de la loi électorale ». L'idée maîtresse est de « travailler », martèle ainsi M. Aoun, « c'est tout ce qui nous intéresse ».
Place au pragmatisme politique du côté de Baabda, et le CPL ne semble pas déborder d'enthousiasme lorsqu'il s'agit de répondre à ses détracteurs – notamment l'opposition, exclue de l'événement – et la polémique provoquée hier par l'annonce d'une telle réunion hors du cadre institutionnel et traditionnel du Conseil des ministres.
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Nombreux sont en effet ceux qui affirment « ne pas comprendre » l'objet de cette réunion, notamment dans les milieux du Parti socialiste progressiste, mais aussi des Marada ou des FL, d'autant que les pôles du pouvoir se voient chaque semaine en Conseil des ministres. Certains y voient une tentative aounienne de relancer la table de dialogue initiée par l'ancien président Michel Sleiman, mais sans vouloir l'avouer explicitement. D'autres, comme le député Boutros Harb, affirment craindre que « cette réunion ne vienne revêtir en réalité un caractère électoral ». Le député Nadim Gemayel a, pour sa part, mis en garde contre la création d'« institutions de substitution ». Le chef du parti Kataëb, Samy Gemayel, est allé plus loin en estimant que le chef de l'État s'était cloîtré dans une logique de « parrain du pouvoir » alors qu'il devrait être « le président de tous » (lire par ailleurs). Le Baas, par la voix du député Assem Kanso, s'en est carrément pris au président Aoun, l'accusant de vouloir « éliminer les autres » et qualifiant la rencontre d'« hérésie ».
Un autre point soulevé hier concernant la réunion est l'absence de caractère consensuel, puisque toutes les communautés ne seront pas représentées : ni les grecs-orthodoxes ni les grecs-catholiques n'auront de porte-parole à la table de dialogue. Une faille importante, compte tenu du large éventail et de l'importance des thèmes qui seront abordés. Surtout si cette table de dialogue n'est pas une expérience unique et se retrouve institutionnalisée.
Pour le député Alain Aoun, ces détracteurs « n'ont rien d'autre à faire que de critiquer ». « C'est le cas de certains, en tout cas. Ils ont le droit de s'opposer, et toute opposition est la bienvenue. Mais nous voulons passer à autre chose », dit-il. Dépasser les polémiques politiciennes stériles qui ont marqué ces derniers mois, tel semble être en tout le cas le désir du président de la République.
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Plus qu'un simple arbitre, un rassembleur
Mais qu'en est-il de l'absence de l'opposition à la réunion d'aujourd'hui? Porte-t-elle atteinte aux slogans rassembleurs brandis par Baabda depuis l'élection du chef de l'État, le 31 octobre dernier, ainsi qu'à la fonction d'arbitrage du président de la République ?
Du point de vue constitutionnel, l'ancien député et juriste Salah Honein estime que, conformément à la fonction de rassembleur qui est la sienne dans l'esprit et le texte de la Constitution, le président de la République, s'il est libre d'inviter qui il veut à dialoguer, devra néanmoins impérativement élargir son champ d'action et convier non seulement l'équipe dirigeante, mais aussi les principaux courants de l'opposition, avec la participation essentielle d'experts techniques pour chaque sujet abordé.
« En clair, tous les partis nationaux ont échoué dans la gestion et la gouvernance de ce pays. D'où la nécessaire participation d'experts pour chaque dossier examiné. Et ils sont nombreux : environnementaux, pétroliers, financiers et j'en passe. L'heure n'est plus à l'attentisme. Or, en pratique, cette réunion va regrouper ceux qui se voient toutes les semaines en Conseil des ministres. Cela n'apporte donc rien de nouveau en termes d'efficacité », souligne-t-il.
Que répondre dans ce contexte à ceux qui, à l'instar du député Nadim Gemayel, mettent en garde contre « la création d'institutions parallèles »? M. Honein affirme que le président de la République bénéficie d'une totale liberté quant aux réunions qu'il désire tenir. « Du moment qu'il ne s'agit pas d'un organisme supra-institutionnel, comme à l'époque du comité de coopération libano-syrien, il n'y a aucun problème », dit-il.
Au-delà de la constitutionnalité de cette réunion, se pose donc la question de son utilité. Selon le texte de la Constitution, il est vrai que le président de la République ne vote pas en Conseil des ministres. Il n'en reste pas moins qu'il appose « son empreinte » en début de réunion et donne le ton de la séance ministérielle, explique encore Salah Honein. Pour lui, l'état d'urgence environnemental, éducationnel, financier, moral que traverse le pays justifie largement ce type de séminaires dont les travaux pourraient par la suite se traduire en lois et décrets. « Mais ce genre de séminaire aurait été plus que bienvenu s'il avait regroupé un large panel d'experts en plus de toutes les forces politiques du pays, aussi bien loyalistes qu'opposantes », martèle-t-il.
D'autant, conclut-il, qu'en fonction de l'article 49 de la Constitution, le président de la République a le pouvoir de se poser en rassembleur, « une prérogative qui dépasse largement celle d'arbitrage » que détient par exemple le président de la République en France.
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12 h 28, le 22 juin 2017