Nouveau rebondissement hier dans le dossier de la location des navires-centrales, suite à la volonté du ministère de l'Énergie d'attribuer le contrat à l'entreprise italienne Eni. Un rebondissement qui met en scène le ministre de la Justice, Salim Jreissati, dans une prise de position sans détour en faveur des membres de son bloc parlementaire, le ministre de l'Énergie, César Abi Khalil, et le député Ibrahim Kanaan. Et ce contre des détracteurs du projet, les députés Boutros Harb et Samy Gemayel, l'ancien ministre Achraf Rifi, tous adversaires politiques du bloc, et nombre de journalistes et d'activistes de la société civile qui avaient critiqué avec véhémence ce contrat entaché, selon eux, d'irrégularités. Aucune mesure, par contre, à l'égard des ministres des Forces libanaises qui étaient eux aussi montés au créneau, ni même du président du Parlement, Nabih Berry, qui avait dénoncé « un processus louche, censé surtout remplir des poches ».
Levée de l'immunité parlementaire ?
Dans les détails, M. Jreissati a annoncé hier, lors d'une conférence de presse, avoir reçu de ses deux partenaires au sein du bloc du Changement et de la Réforme, le ministre de l'Énergie César Abi Khalil et le député Ibrahim Kanaan (secrétaire général du bloc), « une demande de mener les poursuites judiciaires nécessaires contre toute personne que la justice verrait impliquée dans les accusations portant atteinte au ministre de l'Énergie et à son équipe politique dans le dossier de l'entreprise Eni et des centrales électriques flottantes, sur base de l'article 14 de la procédure pénale ». Il a précisé que cette procédure « nécessiterait la levée de l'immunité parlementaire des députés concernés, ce qui est du ressort de la justice ». Seraient donc poursuivis les députés Samy Gemayel et Boutros Harb, l'ancien ministre de la Justice Achraf Rifi, de même que nombre de journalistes, blogueurs et internautes, parmi lesquels le journaliste Naoufal Daou, également membre du secrétariat général du 14 Mars.
Mais qu'implique aujourd'hui cette mesure punitive envisagée par le bloc du Changement et de la Réforme contre ses adversaires politiques, alors que la Direction des adjudications a récemment rappelé, par voie de presse, que la location de navires-centrales doit nécessairement passer par elle ?
Par ses propos, le ministre de la Justice « marque sa prise de position », commentent des observateurs politiques, assurant à L'Orient-Le Jour que la plainte, si elle a lieu, n'aura aucune valeur, car il n'y a pas eu insulte. Le parquet n'aura donc pas de quoi engager des poursuites. Salim Jreissati pourrait toutefois décider de poursuivre l'affaire après le 20 juin, date limite de la législature, sitôt levée l'immunité parlementaire des ex-députés.
Ces mêmes observateurs estiment que les propos du ministre de la Justice ne sont autres qu'une tentative d'intimidation à l'égard de trois candidats aux législatives qui dérangent, car susceptibles de mettre en danger l'accession à la Chambre des candidats de la coalition progouvernementale à Tripoli, Batroun et au Metn. Ils ajoutent que le message pourrait aussi « être adressé aux Forces libanaises, par ricochet ». « La valeur politique du message » n'est donc pas à négliger.
En cas de preuves, il n'y a pas diffamation
Contacté également par L'OLJ, le juriste Salah Honein apporte quelques explications aux nombreuses interrogations. « Tout député en exercice jouit d'une immunité parlementaire. Il est uniquement protégé pour ses propos et actes politiques, afin qu'il puisse agir et parler sans crainte, et seule la Chambre des députés peut lever son immunité parlementaire », explique-t-il. « À la fin de son mandat, le député ne bénéficie plus d'immunité, mais en toute logique, il ne peut être poursuivi pour des propos politiques tenus durant son mandat, observe le juriste. Autrement, les députés n'auraient plus le courage d'exercer. » Quant aux personnes qui pourraient être accusées mais ne bénéficient pas d'immunité parlementaire, comme Achraf Rifi ou Naoufal Daou, Me Honein affirme qu'« au cas où elles ont des preuves, il ne s'agit pas de diffamation ». Ces personnes peuvent alors être considérées comme étant « des déclencheurs d'alarme », et doivent « bénéficier de protection », car « une démocratie sans tolérance ne peut fonctionner ».
Commentant par ailleurs la prise de position du ministre de la Justice, Me Honein fait remarquer que « l'affaire doit rester dans son cadre politique », et que Salim Jreissati devrait « rester au-dessus de cette polémique et jouer plutôt la carte de l'apaisement, car il est le ministre de tout le Liban ». « S'il y a une plainte, c'est au tribunal compétent qu'il faut s'adresser », note le juriste, demandant « quel intérêt y a-t-il à aller chez le ministre de la Justice accuser un député qui a pris une position politique ? ».
Alors que Boutros Harb qualifie l'affaire de « futile » et que des sources du parti Kataëb accusent les autorités de « chercher à fuir l'échéance électorale », Achraf Rifi persiste et signe, chiffres à l'appui : « Ils avaient l'intention de renouveler le contrat des navires... et de payer la somme de 4 milliards et 200 millions de dollars du Trésor », dit-il à la radio. Avant de conclure : « Nous ne permettrons pas que le Liban devienne un État policier, notre combat est celui de la transparence contre la corruption. »
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Des proverbes sur les vols : - Le paysan regrette ce qu'a été volé, le voleur regrette ce qu'a été laissé. (Proverbe arménien). - Celui qui ment, est aussi coupable qu'un voleur. (Proverbe tchèque). - Si le voleur meurt, le vol ne meurt pas (Proverbe turc). - Avoir pitié d'un voleur, c'est insulter le volé. (Proverbe russe). - Qui vole un oeuf, vole un chameau. (Proverbe persan). - Qui vole une barque, vole un bateau-centrale électrique. (Proverbe libanais). J'ajoute un bonus qui n'a rien à voir : - Le problème c'est pas les politiciens corrompus, le problème c'est ceux qui continuent de voter pour eux.
Un Libanais
12 h 10, le 31 mai 2017