Presque au même moment où le président américain Donald Trump s'entretenait à Riyad avec le roi de Bahreïn, un tribunal dans ce pays émettait son verdict dans le procès du cheikh Issa Qassem, la plus haute autorité religieuse chiite du royaume. Ce verdict était sans cesse reporté depuis près d'un an, en raison notamment des sit-in populaires organisés par la communauté chiite, majoritaire dans le pays, autour du domicile du cheikh. Le cheikh Issa Qassem a donc été finalement condamné à un an de prison avec sursis alors que ses biens financiers et immobiliers ont été confisqués.
Même s'il est possible que les deux développements ne soient pas liés, les milieux proches du Hezbollah ont immédiatement fait le lien entre eux, surtout dans le cadre des déclarations successives faites à partir de Riyad par le ministre saoudien des Affaires étrangères et le département d'État américain sur le fait que cette formation serait « l'une des plus importantes organisations terroristes créées par l'Iran ».
Ce jugement du tribunal de Bahreïn intervient aussi au lendemain d'une décision américaine d'inclure le chef du bureau exécutif du Hezbollah, Hachem Safieddine, sur la première liste américano-saoudienne de « désignation terroriste ». La décision, qui implique des sanctions économiques, est d'ailleurs essentiellement symbolique, car il y a bien peu de chances que le responsable chiite ait des comptes ou des intérêts économiques et financiers aux États-Unis. Les milieux proches du Hezbollah mettent donc ensemble ces indices et aboutissent à la conclusion suivante : l'administration américaine et les dirigeants saoudiens préparent une action d'envergure contre l'Iran et ses alliés, en Syrie et ailleurs.
La condamnation de Issa Qassem serait dans ce cadre un premier test pour mesurer la réaction des chiites du royaume de Bahreïn et celle de leurs alliés, les Iraniens et le Hezbollah. Elle exprime aussi une volonté claire de défier les chiites dans le monde arabe, en les considérant directement comme des suppôts de l'Iran, sans plus craindre d'envenimer le climat de discorde confessionnelle.
Si la condamnation de la plus haute autorité religieuse chiite de Bahreïn, dont la notoriété dépasse les frontières du petit royaume, passe sans provoquer des remous à Bahreïn même et au sein des communautés chiites dans le Golfe et le monde arabe en général (il y en a notamment qui sont importantes au Koweït et en Arabie) et sans susciter des réactions belliqueuses de la part de l'Iran et de ses alliés, l'alliance américano-saoudienne pourra frapper un coup plus fort et plus direct contre le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah et prendre aussi des mesures plus concrètes contre des personnalités iraniennes de premier plan. La décision d'adopter des sanctions économiques contre Hachem Safieddine serait ainsi un avant-goût de ce qui pourrait se passer au cours des prochaines semaines. Les dirigeants saoudiens ne cachent d'ailleurs pas leur satisfaction d'avoir pu rallier l'administration américaine et son chef à leur point de vue sur la nécessité de considérer l'Iran comme la plus grande menace contre les pays de la région, soit directement, soit à travers ses alliés, le Hezbollah en tête.
Entendre le président américain confirmer le rôle négatif de l'Iran, tout en qualifiant Daech, el-Qaëda, le Hezbollah et le Hamas de visages différents du terrorisme, les mettant ainsi sur le même plan, est donc pour les dirigeants saoudiens une grande victoire. Pour eux, ce langage est la plus douce des musiques après les terribles phrases du prédécesseur de Donald Trump, le président Barack Obama, qui avait déclaré dans une entrevue que le plus grand danger qui menace les pays du Golfe ne vient pas de l'Iran mais d'eux-mêmes.
Désormais, le fragile statu quo établi après la conclusion de l'accord sur le nucléaire iranien qui avait poussé les dirigeants saoudiens à accepter, entre autres concessions, l'élection du général Michel Aoun à la présidence de la République, parce qu'ils pensaient ne plus avoir les moyens de l'empêcher, pourrait être ébranlé. La tension monte, discours après discours, et menace après menace. Même si le Liban n'est pas directement concerné, le rapport des forces politiques ne permettant pas (encore) un renversement de la situation, il n'en reste pas moins sensible à ce changement de climat régional. La première concrétisation des menaces américano-saoudiennes devrait donc avoir lieu en Syrie, dans la bataille autour de la frontière avec l'Irak, qui cristallise aujourd'hui les enjeux régionaux et internationaux. Mais cela pourrait aussi se traduire au Liban par le refus des différentes forces politiques de s'entendre sur une nouvelle loi électorale, chacune estimant qu'il n'est pas nécessaire de faire des concessions pour l'instant, alors que toute la région est sur la sellette... Pour l'instant, l'entente est encore possible, mais, jour après jour, les chances d'adopter une nouvelle loi électorale s'amenuisent un peu plus.
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Mais voyons, comme si les tensions régionales sont nouvelles et qu'il fallait attendre la visite du hâbleur en chef en Arabie, pour réaliser qu'il n'y aura pas de nouvelle loi électorale de sitôt au Liban? Mais les dés politique sont pipés depuis des décennies et le Liban n'est que la caisse de résonance du conflit millénaire sunnite-chiite, avec les chrétiens et autres minorités pris en otage entre les deux... Entre-temps, on abreuve les gens de promesses fictives,de soit-disant changements démocratiques, alors que le statuquo est de mise, et on attend les nouvelles de Riyadh et de Téhéran... Mais à part ça, Mme la Marquise, tout va très bien, le Libanais est un bon viveur, a la mémoire courte et d'une résilience à toute épreuve...
16 h 36, le 22 mai 2017