Confronté à l'afflux de plus de 1,5 million de réfugiés syriens selon la Sûreté générale, le gouvernement n'a cessé de durcir les conditions de leur emploi sur le marché du travail.
Depuis janvier 2015, les ressortissants syriens doivent par exemple renouveler leur permis de résidence tous les 6 mois, qu'ils soient enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) ou non. En octobre 2014 déjà, le Liban avait demandé à l'UNHCR d'arrêter d'enregistrer les réfugiés bloquant son compteur à près de 1,1 million. Deux mois plus tard, le gouvernement décidait de limiter l'emploi des Syriens à trois secteurs : l'agriculture, la construction et le nettoyage.
Naamé, Tripoli, Hadeth, Zahlé
Depuis, les ministres du Travail successifs – Sejaan Azzi et Mohammad Kabbara – ont multiplié les mesures visant à limiter l'emploi de travailleurs syriens au Liban, accusés de livrer une concurrence déloyale. Des griefs qui se sont progressivement étendus aux entreprises, principalement des PME, ouvertes sans autorisation par des ressortissants syriens et qui sont désormais dans le collimateur de plusieurs responsables locaux. À Naamé, par exemple, le chef du conseil municipal, Charbel Matar, a ordonné début mars la fermeture de toutes « les boutiques tenues par des Syriens » ainsi que de ceux qui emploient des ressortissants de ce pays. « Ceux qui peuvent régulariser leur situation ont un mois pour le faire », a-t-il indiqué à L'Orient-Le Jour. Selon ces autorités, Naamé abrite plus de 12 000 réfugiés pour environ 7 000 habitants.
Dans le nord du pays, le gouverneur, Ramzi Nohra, qui a annoncé hier la fermeture de cinq commerces employant illégalement des travailleurs étrangers à Tripoli et Baddaoui, avait adopté des sanctions similaires contre une vingtaine de PME syriennes dans sa circonscription. « La mesure a visé des magasins "à un dollar", des garages et des boulangeries à Tripoli, Zghorta et Batroun », a détaillé le président de l'Association des commerçants du Liban-Nord, Fawwaz el-Helwé. Enfin, des opérations similaires ont été menées par les municipalités de Hadeth (Mont-Liban) et de Zahlé (Békaa), entre février et mars. « Les municipalités ont pris les choses en main vu que l'État est moins efficace quand il s'agit de joindre les actes à la parole », ironise le président de l'Association des commerçants de Zahlé, Élie Chalhoub.
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Le pour et le contre
L'apparition de commerces syriens dans plusieurs régions du pays n'est pourtant pas nouvelle. Dans un rapport publié en 2013, l'Organisation internationale du travail (OIT) avait évoqué l'existence de « centaines de petites entreprises tenues par des Syriens » dans plusieurs secteurs. Le rapport se basait notamment sur des groupes de discussion réunissant des entrepreneurs et des employés dans le Akkar (Liban-Nord) et la Békaa.
La même année, une enquête menée par le ministère de l'Économie et du Commerce recensait près de 1 200 sociétés ouvertes sans autorisation par des Syriens – principalement des commerces – sur l'ensemble du territoire. Les résultats de l'enquête avaient en outre révélé que 54 % de ces sociétés étaient établies dans la Békaa ; 28,8 % à Beyrouth (principalement dans le quartier de Bourj Hammoud) et au Mont-Liban ; près de 9 % au Liban-Nord et enfin un peu plus de 8 % dans le Sud. Ces chiffres avaient poussé le directeur général du ministère de l'Économie de l'époque, Fouad Fleifel, à ordonner la fermeture de 377 enseignes ouvertes par des Syriens dans la Békaa, sans réussir à enrayer le phénomène. En l'absence de mise à jour des données du ministère, M. Chalhoub estime que le nombre de commerces ouverts par des Syriens dans la Békaa a « quasiment triplé en 4 ans ». « La proportion est similaire dans le nord du pays », estime pour sa part M. Helwé.
S'ils reconnaissent qu'il est difficilement concevable d'empêcher toute interaction entre les économies libanaise et syrienne, les commerçants locaux perçoivent la multiplication des enseignes syriennes comme un danger. Les commerçants cités par le rapport de l'OIT leur reprochent notamment de revendre des produits de contrebande en dessous des prix du marché, d'employer exclusivement des Syriens à des salaires moins élevés que ceux des Libanais, de ne pas payer d'impôts ou encore d'utiliser gratuitement les infrastructures du pays...
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Mais, pour certains observateurs, la pérennisation de certains commerces syriens au Liban pourrait avoir des effets vertueux à long terme. « Il faut peser le pour et le contre. Ces commerces permettent à des réfugiés d'exercer une activité qui génère des revenus, ce qui limite la possibilité qu'ils soient contraints de commettre des infractions pour subvenir à leurs besoins », explique une source proche d'une ONG opérant au Liban. Selon un autre observateur anonyme, l'État gagnerait à régulariser la situation de ces commerces afin de les soumettre aux mêmes obligations fiscales que les contribuables libanais, ce qui aurait un impact positif sur les finances publiques tout en rétablissant le jeu de la concurrence. Enfin, M. Chalhoub reconnaît que les difficultés des commerçants libanais sont moins liées à la concurrence syrienne qu'à « l'inertie » de l'État face aux problèmes liés aux infractions aux règles de la concurrence.
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commentaires (6)
"Enfin, M. Chalhoub reconnaît que les difficultés des commerçants libanais sont moins liées à la concurrence syrienne qu'à « l'inertie » de (l'État?) face aux problèmes liés aux infractions aux règles de la concurrence." ! Tout est dit ; et donc trêve de billevesées, please !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
15 h 48, le 04 avril 2017