Valsant entre la loi électorale et le budget, les acteurs internes seraient-ils inattentifs au risque qu'encourt le Liban de perdre sa légitimité régionale, voire internationale ?
La 147e session ordinaire de la Ligue arabe, qui se tient aujourd'hui au Caire, risque en effet de confirmer un retour à la phase de crispation des rapports entre le Liban et les pays du Golfe.
Depuis que le président de la République, le général Michel Aoun, a tenu à des médias égyptiens des propos justifiant l'existence des armes du Hezbollah, l'Arabie saoudite aurait constaté plus d'un indice sur son parti pris manifeste en faveur de l'axe Damas-Téhéran.
Ses propos auraient en effet été traduits par des actes lors de sa tournée en février dernier en Égypte et en Jordanie, où il aurait « exprimé son appui direct aux armes du Hezbollah et manifesté des signes d'appui au régime syrien », révèle à L'Orient-Le Jour une source libanaise bien informée des affaires saoudiennes.
Entre autres « signes d'appui », celui d'avoir mené de concert avec Le Caire une tentative diplomatique visant à restituer au régime syrien sa qualité de représentant de la Syrie à la Ligue arabe, selon la même source.
Ce que confirment d'autres milieux opposés au Hezbollah en déclarant à L'OLJ, de but en blanc, que c'est désormais « le chef de l'État lui-même qui s'active dans les chancelleries, sans le biais du ministre des Affaires étrangères », pour défendre les intérêts du régime syrien. Si les efforts libano-égyptiens de réintégrer le régime syrien à la Ligue arabe se sont vite heurtés à la menace des pays du Golfe de s'en retirer le cas échéant, d'autres options pourraient fort bien avoir été concertées entre Baabda et Le Caire en soutien à l'axe Téhéran-Damas, constate la source précitée.
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La première réaction de l'Arabie n'a pas tardé: lors d'une réunion avant-hier au Caire des représentants de la Ligue arabe, devant préparer la session ordinaire de la Ligue aujourd'hui, l'Arabie, rejointe par les Emirats et le Bahreïn, a émis une réserve sur une clause de solidarité avec le Liban qui porte sur un appui à « l'action de la résistance » contre Israël –une clause classique qui n'avait jusque-là pas posé problème dans les débats. Le ministre saoudien des AE, Adel Jubeir, entendrait maintenir aujourd'hui cette réserve lors de la session ordinaire, en dépit du souhait contraire que lui aurait transmis avant-hier le représentant du Liban, par le biais du délégué de l'Arabie, selon des sources diplomatiques citées par l'agence d'informations al-Markaziya. En tout état de cause, l'absence annoncée du chef de la diplomatie libanaise, Gebran Bassil, à la réunion du Caire aujourd'hui ne présage pas de quelque règlement de la situation.
Pour les milieux cités par L'OLJ, il ne fait pas de doute que l'Arabie n'est plus disposée à croire au pari fait par ses alliés libanais, notamment le Premier ministre Saad Hariri, sur un recentrage du général Aoun. Le roi saoudien ne se rendra plus à Beyrouth, comme il avait projeté de le faire en marge de sa visite en Indonésie, sachant que cette escale avait été envisagée dans le but d'aider le tourisme à reprendre son souffle à Beyrouth, selon la source bien informée des affaires saoudiennes. En outre, l'incertitude continue de planer sur la désignation d'un ambassadeur saoudien au Liban dans les prochaines semaines.
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Un retour à la phase qui avait marqué la vacance présidentielle s'annonce ainsi, lorsque l'Arabie s'était quasi retirée d'un pays livré aux desiderata iraniens visant à bloquer les institutions et mener la guerre en Syrie. Maintenant que le vide est comblé, la mainmise iranienne sur le Liban décriée par l'Arabie se confirme par la couverture officielle que Baabda révèle de plus en plus en faveur du camp Damas-Téhéran.
La présidence de Michel Aoun serait donc plus « dangereuse » que le vide, constate la source précitée, comme le prouve la mobilisation des diplomates occidentaux à Beyrouth pour rappeler la nécessité pour le Liban de respecter la 1701. Depuis que Sigrid Kaag a invoqué la 1701 dans un tweet le jour même de l'interview controversée du président de la République, cette mobilisation se poursuit loin des feux de la rampe. « Si l'Arabie a désormais un avis tranché sur le positionnement stratégique de Michel Aoun, l'Occident attend encore le bon moment pour exprimer sa position », explique une source indépendante. Ce timing pourrait coïncider avec le débat, prévu le 15 mars prochain à New York, autour du rapport annuel de l'ONU sur l'application de la 1701 qui sera rendu public demain. Une prise de position de Washington, qui se réserve pour l'heure de s'exprimer sur la région, serait aussi à prévoir.
À l'échelle interne se pose une nouvelle fois la question du contrepoids politique au Hezbollah et ses alliés. Sachant que le gouvernement réuni a seul compétence à se prononcer sur les questions régaliennes et de politique étrangère du pays, étant seul responsable de ses actes, contrairement au président de la République, les positions récentes du chef de l'État « n'ont aucune valeur juridique », mais seulement politique, explique un juriste à L'OLJ.
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Si Saad Hariri entendait sortir de son silence, il pourrait solliciter le vote des deux tiers du Conseil des ministres en faveur d'une position qui neutralise celle du chef de l'État. Que le vote soit ou non obtenu, le résultat en serait une cohabitation déclarée entre deux blocs antinomiques sur les questions stratégiques.
Le Premier ministre ne ferait que révéler au grand jour une situation de cohabitation difficile qui couve depuis la présidentielle. D'ailleurs, la nouvelle concomitance introduite par le ministre Bassil entre loi électorale et budget –alors qu'il avait été convenu que le second soit examiné avant la première – serait un moyen de « bloquer le vote du budget tant qu'une nouvelle loi électorale n'a pas vu le jour », selon une source du courant du Futur. Le risque se présente d'un retour à la menace du blocage largement exploitée par le bloc du Changement et de la Réforme avant la présidentielle.
Les nominations militaro-sécuritaires qui sont prévues en Conseil des ministres demain confirmeraient elles aussi le retour de Michel Aoun dans le giron du Hezbollah. Selon des sources proches de l'institution militaire, ces nominations avaient été bloquées dans un premier temps pour cause de litige entre le Hezbollah et Baabda autour du nom du commandant de l'armée: à la candidature du général Joseph Aoun, chef de la brigade ayant fait ses preuves à Ersal et dont l'intégrité est saluée par ses pairs, le Hezbollah avait opposé la candidature de l'actuel directeur des services de renseignements de l'armée. Les nominations ont été débloquées au moment du revirement du président de la République. Et la direction des renseignements de l'armée, elle, est la seule, avec la direction générale de la Sûreté générale, à ne pas bénéficier des nouvelles nominations.
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18 h 58, le 08 mars 2017