Dette politique ou opinion personnelle ? Les propos du président de la République Michel Aoun samedi, selon lesquels les armes du Hezbollah devraient être maintenues tant que des terres libanaises restent occupées par Israël, ont interpellé divers milieux politiques, sans pour autant susciter une pléthore de réactions. Seuls l'ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi, le chef des Kataëb et Saydet el-Jabal s'y sont arrêtés, déplorant la légitimité ainsi accordée à des armes qualifiées d'« illégales ».
« Les armes du Hezbollah n'affaiblissent en aucun cas l'État. Elles représentent l'un des piliers essentiels de la stratégie de défense du pays », a dit le président dans un entretien accordé à la chaîne égyptienne CBC. « Nous avons besoin de la résistance tant que nos terres sont occupées », a-t-il renchéri. Dans les milieux politiques, on n'a pas manqué de s'arrêter sur le timing et les implications de ces propos qui ne correspondent pas au discours d'investiture du chef de l'État, ni à la déclaration ministérielle du gouvernement Hariri, d'autant que le président n'a pas fait mention de l'engagement militaire du parti chiite en Syrie.
Si certains estiment que ce discours porte atteinte au caractère « rassembleur » donné au mandat aouniste, d'autres l'ont interprété comme un geste effectué en direction du Hezbollah que le président Aoun s'est employé ainsi à rassurer. Et pour cause : le Hezbollah suit non sans inquiétude l'ouverture du chef de l'État en direction de l'Arabie saoudite, une inquiétude qui, au plan local, pourrait se traduire par un durcissement de nature à favoriser de nouveaux blocages, s'inquiète-t-on dans les milieux loyalistes. On pense tout de suite aux législatives.
Dans les mêmes milieux, on souligne ainsi que le parti chiite, indisposé par le rapprochement libano-saoudien, pourrait, en maintenant son attachement à la proportionnelle, anéantir toute chance de parvenir à un consensus autour de la loi électorale. Or, Michel Aoun aurait tenu à le réconforter, dans la mesure où il tient à ce qu'une nouvelle loi soit votée, avant les élections parlementaires prévues en juin prochain. Il aurait en même temps montré à son allié, qui avait facilité son accession à la tête de l'État en dépit de son alliance avec le courant du Futur et les Forces libanaises, qu'il n'a pas à redouter son ouverture en direction des pays du Golfe, et qu'en sa qualité de président du Liban, il est tenu, conformément à la Constitution, d'entretenir les meilleures relations avec les pays de la région, sans pour autant lâcher ses alliés. Enfin, en occultant, dans le cadre de l'interview, l'engagement militaire du Hezbollah auprès des forces de Bachar el-Assad en Syrie, le chef de l'État a ainsi évité de s'aventurer sur un terrain miné et de braquer à nouveau Riyad contre le Liban ou d'indisposer le Hezbollah.
Réactions mitigées
Toujours est-il que les propos de Michel Aoun ont suscité des réactions mitigées chez les diverses formations politiques. À l'heure où le Courant patriotique libre (CPL) semble vouloir réduire l'affaire à une « simple question de langue et d'expression », le courant du Futur s'oppose catégoriquement à l'approche ainsi faite du dossier du Hezbollah, et assure qu'elle n'engage pas le cabinet Hariri. À Moukhtara, le Parti socialiste progressiste oscille entre l'opposition totale et la « nécessité d'adopter une approche pragmatique », à l'heure où les Forces libanaises – principal allié chrétien du locataire du palais de Baabda – restent attachées au discours d'investiture de Michel Aoun. De sources au sein de la formation de Samir Geagea, on indique que le parti n'est aucunement embarrassé par les positions de son allié. On en veut pour preuve le fait que les FL se sont alliées au CPL fondé par M. Aoun en dépit du document d'entente signé en 2006 avec le Hezbollah. « Il s'agit d'une simple position politique, voire d'une opinion personnelle qui n'engage pas le gouvernement », affirme un cadre FL à L'OLJ.
Du côté de Saïfi, le chef des Kataëb Samy Gemayel a réagi au raisonnement du chef de l'État en relevant que « toute arme illégale est anticonstitutionnelle ». « La sécurité, la stabilité, la démocratie et la souveraineté ne peuvent être assurées que par l'armée et les forces de sécurité », a-t-il écrit sur son compte Twitter.
L'Orient-Le Jour a également interrogé quatre responsables politiques sur la question.
Marwan Hamadé : Je ne suis pas d'accord
Marwan Hamadé, ministre (joumblattiste) de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, n'a pas modéré ses critiques : « Je ne suis pas d'accord avec M. Aoun et je n'ai jamais caché ce désaccord. Nous faisons partie d'un cabinet de coalition pour assurer la transition, jusqu'au jour où, je l'espère, il n'y aura d'autres armes que celles de l'armée libanaise. Les propos de M. Aoun n'engagent pas le gouvernement libanais, dans la mesure où il détient le pouvoir exécutif. Je me demande de l'utilité des voyages dans les pays arabes si le chef de l'État adopte de tels discours. »
Alain Aoun : Question de langue et d'expression
Pour Alain Aoun, député aouniste de Baabda et neveu de M. Aoun, « le chef de l'État a décrit la réalité des choses. Preuve en est, tous les protagonistes sont conscients du fait que les armes du Hezbollah seront maintenues tant que nos terres sont occupées. À mon avis, la polémique observée aujourd'hui n'est autre qu'un problème de langue et d'expression que certains ont voulu amplifier, alors qu'il ne le mérite pas, d'autant plus que l'arsenal du Hezbollah figure dans la déclaration ministérielle ».
Moustapha Allouche : Cela n'engage pas le gouvernement
Pour Moustapha Allouche, coordinateur du courant du Futur à Tripoli, « l'État ne peut être en harmonie avec une milice. Je pourrais comprendre que l'armée libanaise soit encore incapable d'affronter Israël, mais la solution à ce problème ne réside pas dans le maintien d'armes illégales, mais le monopole du port des armes par les forces de l'ordre. Je crois qu'à travers son discours, Michel Aoun rembourse sa dette présidentielle au Hezbollah. Les propos de M. Aoun n'engagent pas le gouvernement libanais, dans la mesure où celui-ci s'est engagé, dans la déclaration ministérielle, à se conformer au discours d'investiture ».
Ayman Choucair : Une approche pragmatique
Ayman Choucair, ministre d'État pour les Droits de l'homme (PSP), a reconnu que « tant qu'il y a une terre libanaise occupée, il y a une quasi-unanimité sur le maintien des armes du Hezbollah, avec l'approbation du gouvernement. Je rappelle que ce parti a permis au Liban de se débarrasser de l'occupation israélienne. Le chef de l'État est le président de tous les Libanais et il est soucieux de maintenir la stabilité précaire du pays. Il faut adopter une approche pragmatique dans le cadre de cette affaire ».
Lire aussi
Entre Téhéran et Riyad, la politique libanaise avance en terrain miné, le décryptage de Scarlett Haddad
Nasrallah demande au gouvernement de discuter avec Damas
L’appel de Saydet el-Jabal à un sursaut national face à « l’occupation iranienne »
Les tensions régionales et leurs répercussions au Liban, le décryptage de Scarlett Haddad
commentaires (20)
PUISQUE LE HAKIM ET HARIRI NE SE SONT POINT PRONONCES C,EST QUE LA TABKHA KENET MATBOUKHA...
LA LIBRE EXPRESSION
17 h 03, le 13 février 2017