Il en fallait du courage, et le juge unique du tribunal pénal du Metn, Rabih Maalouf, en a eu. Dans le cas qui opposait un groupe de 9 personnes au parquet, il s'agissait de trancher si oui ou non celles-ci pouvaient être – entre autres accusations de prostitution et de troubles à l'ordre public – incriminées d'homosexualité, selon les termes de l'article 534 du code pénal. Le juge a finalement estimé que cet article ne s'applique pas tant que l'homosexualité est exercée comme un droit et de manière non abusive, autrement dit, dans le respect d'autrui. Il a donc usé de l'article 183 pour démontrer que l'article 534 du code pénal ne s'appliquait pas en l'espèce. Il s'est ainsi refusé de criminaliser une orientation sexuelle du fait de sa simple pratique, invoquant au passage le sacro-saint droit à la vie privée.
Pour rappel, l'article 534 du code pénal libanais dispose que « toute union charnelle contre l'ordre de la nature sera punie de l'emprisonnement jusqu'à une année. Les relations sexuelles contre nature sont punies d'emprisonnement pour une durée d'un mois à un an, et d'une amende entre 200 000 et un million de livres libanaises ».
Or rien dans le texte de cet article ne fait mention de l'homosexualité en tant que telle, même si, selon l'ancien député Salah Honein, il a traditionnellement été interprété pour criminaliser les faits et gestes de la communauté homosexuelle au Liban.
Ce texte offre en fait, sur le plan juridique, une certaine latitude, « une certaine marge propice à l'interprétation », souligne à cet égard Salah Honein, avocat et ancien député. « Comment traduire l'expression "relations contre nature" », s'interroge-t-il, « elle ne désigne pas forcément l'homosexualité » dont le mot ne figure d'ailleurs nulle part dans le code pénal. De plus, « ce qui était contre nature lorsque le code pénal a été rédigé ne l'est plus aujourd'hui », ajoute le député, qui relève d'ailleurs que ce manque de précision de l'article 534 est sans aucun doute « voulu par le législateur ». Ce dernier ouvre une brèche, permettant au juge d'exercer sa libre appréciation.
C'est probablement dans cette brèche que s'est engouffré le juge Maalouf. Pour aller au-delà de l'interprétation traditionnelle de ce texte, il a invoqué les principes généraux du droit, et, en premier lieu, la sacralité de la liberté personnelle, tant que l'exercice de celle-ci ne nuit pas à autrui.
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« Contre la pensée barbare »
Certains droits sont en effet universels, n'en déplaise à un certain pan de la société qui s'autoproclame conservateur mais n'en reste pas moins obscurantiste. « À l'heure où le monde est en train d'évoluer, à l'heure où certains pays ont instauré le mariage homosexuel et l'ont reconnu, la moindre des choses est de dépénaliser au Liban, ce qui constitue véritablement une liberté personnelle », souligne à cet égard l'ancien député qui se demande comment est-il possible de criminaliser, de punir « un sentiment » ? « C'est là le propre d'une dictature, de chercher à étouffer un sentiment », ajoute-t-il. Il insiste également sur la nécessité de sortir la société de « l'hypocrisie dans laquelle elle est plongée sous le couvert du conservatisme ».
Pour étayer sa décision, le juge Rabih Maalouf s'est fondé – entre autres – sur les travaux de Jack Donnelly, Universal Human Rights in Theory and Practice. Ce dernier estime en effet que « les droits de l'homme reposent sur l'idée que tous les êtres humains bénéficient de certains droits simplement parce qu'ils sont humains (...). Les droits de l'homme n'ont pas besoin d'être gagnés, et ne peuvent être perdus à cause des opinions ou croyances contraires de la plupart des membres de la société ». Il est également revenu sur le fait que le Liban a rayé, en 1990, l'homosexualité de sa liste de maladies, adoptant ainsi l'argumentation de l'Organisation mondiale de la santé qui estime dans ce cadre que l'homosexualité ne saurait constituer, « dans aucun de ses aspects individuels, un trouble ou une maladie, et ne requiert pas par conséquent de traitement ».
« Il est grand temps de commencer à prendre des décisions modernes, humaines », note Salah Honein, qui salue au passage « l'initiative de ce juge qui a choisi de lutter contre la pensée barbare ».
Après quatre décisions dans le même sens depuis 2004, celle rendue par le juge unique du Metn, alors que 2017 en est à ses balbutiements, est une impulsion de plus dans le sens de la modernisation, de l'humanisation de la société. La jurisprudence est en marche « et tout retour en arrière semble aujourd'hui difficile », note M. Honein. « Quelques fois, les juges ont besoin d'un arrêt qui casse la jurisprudence classique pour les aider à se libérer du poids de l'hypocrisie sociale. C'est ce que ce juge a fait », ajoute l'ancien député.
(Pour mémoire : Au Liban, la communauté LGBT toujours en guerre contre les discriminations)
Code de procédure civile, article 2
Quant à l'avocat Akram Azouri, il rappelle que le juge aurait pu, dans sa décision, se servir également de l'article 2 du code de procédure civile, qui fait primer conventions et traités sur le droit interne. M. Azouri souligne dans ce cadre que le Liban a ratifié le pacte de 1966 sur les droits civiques et politiques, et que celui-ci peut être invoqué pour contredire les dispositions de l'article 534 du code pénal. Autre élément sur lequel M. Azouri estime important d'axer dans de telles affaires : le courage des juges, qui, pour lui, est la clé de l'évolution jurisprudentielle. Il cite pour illustrer ses propos la décision rendue en 2007 par le juge John Azzi, dans laquelle il estimait qu'une mère pouvait octroyer la nationalité libanaise à ses enfants. « L'establishment n'a pas apprécié ni accepté cette décision. Aux premières mutations, il a été mis à l'écart puisqu'on lui a octroyé un poste où il ne pouvait prendre des décisions par lui-même sans en référer à quelqu'un d'autre », indique M. Azouri. Pour lui, il reste évident que, sans les magistrats et leur courage, la jurisprudence et par conséquent la législation ne peuvent évoluer. « Ce sont les magistrats qui peuvent aller plus loin que le législateur. Par leurs décisions courageuses, en n'ayant pas peur d'être mutés, ce sont eux qui font évoluer les lois », martèle l'avocat.
Même si la reconnaissance par le législateur du mariage pour tous comme droit humain inaliénable demeure à l'heure qu'il est impensable, il est grand temps de dépénaliser l'homosexualité en tant que telle. Le crime, le vol sont des actes objectifs. L'homosexualité n'est autre qu'un sentiment. Qui n'a certainement pas sa place dans les pages du code pénal.
Pour mémoire
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les relations contre nature, ce n'est pas aussi le mariage d'hommes de certains âges avec des gamines ?
18 h 51, le 30 janvier 2017