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Économie - Agriculture

Produits laitiers : vers un protectionnisme renforcé

Plusieurs ministères ont décidé de coopérer pour venir en aide à une filière en crise depuis plusieurs années, confrontée à la concurrence du lait en poudre étranger.

Avec environ 150 laiteries et un cheptel composé de près de 20 000 bêtes, la Békaa concentre l’essentiel de la production nationale. Joseph Eid/AFP

En proie à de nombreuses difficultés depuis plusieurs années, la filière laitière libanaise est désormais à l'agenda du nouveau gouvernement. Le 14 janvier, le ministre de l'Industrie, Hussein Hajj Hassan, de l'Agriculture, Ghazi Zeaïter, et de l'Économie et du Commerce, Raëd Khoury, se réunissaient sur le campus de l'Université de Kaslik, branche de Zahlé (Békaa), afin de définir les grands axes d'une stratégie commune pour relancer la filière laitière.

Le choix du lieu de cette rencontre n'était pas fortuit : avec environ 150 laiteries et un cheptel composé de près de 20 000 bêtes (vaches, brebis, chèvres), la Békaa concentre l'essentiel de la production nationale, comme le souligne un rapport de l'UE établi en 2014 dans le cadre de son programme Lactimed, visant à promouvoir la filière laitière en Méditerranée. Les auteurs de cette étude y soulignaient déjà les difficultés de la filière, dont la production estimée de laban, labné et fromages divers a reculé de 13 % entre 2003 et 2009, à environ 150 000 tonnes ; tandis que la consommation locale s'est contractée de 9 % sur la même période, à 189 litres de lait en moyenne par an et par personne.

Effondrement des prix
Une situation qui a continué de se dégrader. « En deux ans, les prix se sont effondrés », soulignait à Zahlé le ministre de l'Industrie, Hussein Hajj Hassan. Selon le directeur du département agricole de la Chambre de commerce et d'industrie de Zahlé (CCIAZ), Saïd Gédéon, le litre de lait se vendait ces derniers mois entre 350 et 500 livres libanaises (0,20 à 0,30 dollar), alors que le coût de production atteint environ 800 livres (0,53 dollars). « Avant 2014, les prix du lait avoisinaient les 1 000 livres », indique-t-il.

Une baisse liée au fait que les éleveurs n'arrivent pas à écouler leur production dans les usines à cause de l'importation de produits « des pays frontaliers et de l'Union européenne (UE) », autorisée par le gouvernement « sous prétexte de l'application des accords de libre-échange, mais (contre les) intérêts des producteurs libanais », avaient dénoncé en avril dernier les producteurs du Akkar, cités par l'Agence nationale d'information. Entré en vigueur en 2005, l'accord de libre-échange arabe (Gafta) a levé toutes les taxes sur les échanges commerciaux entre le Liban et 17 autres pays membres de la Ligue arabe. L'accord d'association entre l'Union européenne et le Liban a fait de même en 2015 pour de nombreux produits laitiers, dont le lait en poudre.

« Il y a quelques mois, les éleveurs étaient obligés de jeter leur lait, les usines n'en voulaient pas. Elles préfèrent acheter du lait en poudre pour leur fromage au lieu d'acheter du lait frais », affirme Marc Waked, directeur général de Liban Lait, deuxième producteur laitier au Liban, derrière Taanayel-Les Fermes. Selon plusieurs professionnels, le lait en poudre européen est principalement importé de France et de Suède.

Selon les douanes, les importations de lait et de crème en poudre ont de fait dépassé 6 000 tonnes (pour 15 millions de dollars) à fin novembre 2016, soit presque le double que sur la même période en 2012. Sur le marché local, ces produits se négocient actuellement à environ 400 livres le litre (26 centimes). En ce qui concerne le lait liquide, les importations proviennent surtout d'Arabie saoudite, signataire du Gafta, dont le Liban achète du lait pasteurisé en carton revendu directement en grandes surfaces. Au total, ces importations ont dépassé 3 600 tonnes sur les 11 premiers mois de 2016, pour une valeur d'un peu plus de 3 millions de dollars.

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Réactivation d'un comité interministériel
Afin d'encourager les industriels à se fournir sur le marché local, le ministre de l'Industrie a proposé la mise en place de « taxes spécifiques sur le lait en poudre et certains fromages blancs », sans préciser lesquelles ni leurs montants. Pour rappel, les importations de ces produits sont soumises, depuis avril 2016, à une autorisation préalable du ministère de l'Agriculture. Une mesure qui a permis de les réduire de près d'un tiers sur cette période, selon une source de ce ministère. M. Hajj Hassan, qui n'était pas disponible pour répondre aux questions de L'Orient-Le Jour, souhaite également limiter, sinon interdire, les importations de fromage et le labné en vrac. « Importés, légalement ou non, de Syrie ou d'Europe de l'Est, ils sont revendus sur le marché local à 6 dollars le kilo, alors qu'il est vendu normalement à 12 dollars par les producteurs libanais », explique Marc Waked. Selon lui, cette interdiction entraînerait une augmentation du prix du lait, ce qui soulagerait les éleveurs.

Mais pour M. Hajj Hassan, le gouvernement doit surtout réactiver le comité interministériel dédié aux produits laitiers. Mis en place en 2012, lorsqu'il était ministre de l'Agriculture, ce comité a été délaissé sous le mandat de son successeur, Akram Chehayeb. Réunissant en principe des représentants du ministère de l'Économie et du Commerce, de l'Agriculture et de l'Industrie ainsi que des professionnels du secteur, il avait notamment pour rôle de déterminer le prix du lait chaque année. « Le prix du lait vendu à l'usine doit être fixé à 1 000 livres » (66 centimes), a déclaré à Zahlé l'actuel ministre de l'Industrie, pour qui ce comité doit également « réguler les relations entre les industriels et les producteurs de lait ».

Si les tous les ministres présents à Zahlé ont promis de coopérer pour mettre ces mesures en œuvre, M Gédéon regrette néanmoins que « le secteur laitier dépende des initiatives d'une seule personne », et considère que les mesures évoquées pendant la réunion doivent s'inscrire dans un mécanisme de contrôle plus global dans lequel les rôles de chaque ministère est davantage défini. Il déplore également le fait que « les contrôles sanitaires sont menés par plusieurs ministères – Santé, Économie et Commerce, Agriculture – dont les rôles se chevauchent inutilement » et préconise de déterminer le prix du lait « en fonction de ses caractéristiques (taux de protéine, de matières grasses, etc.), plutôt que sa quantité, afin d'obliger les producteurs à améliorer la qualité de leurs produits ».


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