Rechercher
Rechercher

Diaspora - Langues

Aux States, l’arménien n’a pas dit son dernier mot

C'est par la mobilisation, l'action et une vraie fidélité à la culture arménienne que des chercheurs, des professeurs et des familles issus du Moyen-Orient, principalement du Liban, militent en faveur de la langue arménienne aux États-Unis.

Grace Seferian fait des heures de route par jour pour emmener ses enfants à l’école arménienne.

Elles s'appellent Anny Bakalian et Talar Chahinian. Ces deux chercheuses nées au Liban (lire ci-dessous) sont bien connues par leurs pairs et par les membres de leur communauté. La cause: le rôle incontournable qu'elles jouent pour la promotion de la langue arménienne aux États-Unis. Récemment, les deux chercheuses ont publié dans l'International Journal of the Sociology of Language un article intitulé «Language in Armenian American communities: Western Armenian and efforts for preservation». Il s'agit d'une analyse sur le degré d'efficacité des écoles arméniennes aux États-Unis et sur leur capacité à garantir la pérennité de la langue.
L'article apporte plusieurs informations utiles à ce propos. D'abord, il lève le voile sur les Arméniens issus du Moyen-Orient (dont Beyrouth, évidemment) installés aux États-Unis. Ces derniers constituaient, avant 1980, la plus grande proportion de migrants de cette région résidant aux USA. Cette population a protégé son patrimoine d'origine dès son arrivée. Elle a participé activement à l'établissement d'écoles arméniennes au sein de ce pays dans lequel elle a par ailleurs fait ses preuves.
«Scolarisés au sein d'écoles arméniennes du Liban, de Syrie et d'autres pays de la région, ces Moyen-Orientaux tenaient à ce que leurs enfants soient éduqués dans la même tradition», note l'étude des chercheuses. On y apprend également que c'est grâce à eux qu'un débat crucial s'est posé outre-Atlantique. «Ils ont clairement rappelé à leurs concitoyens que pour se revendiquer arménien, il faut avant tout savoir parler la langue», toujours selon le texte.

« Un effort permanent »
Aujourd'hui, près de 40 ans plus tard, les migrants provenant du Liban n'ont pas changé d'avis. En témoignent les propos de Sarkis Seferian. Ce père de famille, ex-professeur, insiste sur le fait que la transmission de la langue est primordiale pour que la culture arménienne demeure vivante. Il a réussi à transmettre à ses enfants et ses grands-enfants ses idées et son attachement à ses origines. Ainsi, ses deux filles parlent couramment l'arménien.
Grace Seferian, l'une d'elles, fait des heures de route par jour pour accompagner ses petits à une école arménienne. En effet, elle habite dans une région où il n'y a presque pas de membre de sa communauté. «C'est un sacrifice que de passer un long moment sur la route. Mais c'est indispensable que nos enfants apprennent à écrire et à parler l'arménien», explique-t-elle. Sa plus grande peur demeure sans doute l'abandon de la langue et de la culture. «Continuer à parler la langue est un effort permanent, dit-elle. Je comprends que pour certains, cela soit impossible. Mais si on y tient vraiment, on ne doit pas baisser les bras.»
Grace Seferian évoque toutes les difficultés qu'elle affronte au quotidien. «Lorsque les enfants se retrouvent et jouent ensemble, ils parlent anglais, raconte-t-elle. On leur demande alors de changer de langue. Même s'ils le font, il est presque impossible qu'ils le fassent à long terme.»
Selon son père, la situation était très différente au Liban. Ce qu'il déplore, c'est l'absence des ressources dont il disposait à Beyrouth. «Ici, il n'y a ni des médias qui s'expriment en arménien ni la vie en communauté dont on profitait pleinement», souligne-t-il. Sarkis Seferian est d'ailleurs très nostalgique de cette période de sa vie. «Ce pays a été généreux avec nous, dit-il. Dans plusieurs quartiers, tu entendais parler l'arménien. Dans les églises, la messe est célébrée dans ta langue d'origine.»

Définition plus «souple»
Certes, ce professeur à la retraite reconnaît que les États-Unis offrent plusieurs avantages pratiques. Mais selon lui, le maintien et la sauvegarde de la culture d'origine deviennent de plus en plus difficiles à mesure que passent les générations. Cela est d'autant plus vrai qu'actuellement, les immigrés issus du Liban, de Syrie et de Turquie ont une moyenne d'âge de plus en plus élevée.
À ce propos, Mmes Bakalian et Chahinian rappellent que près de 1% seulement de la communauté de nouveaux migrants a moins de 18 ans. Cette situation a des conséquences inéluctables sur l'arménien occidental, parce que ces migrants sont ceux qui ont lutté le plus pour la sauvegarde de la culture arménienne aux États-Unis.
Sushan Karapetian, chercheuse auprès du département des langues et cultures du Proche-Orient à l'université de Californie, estime dans une présentation que «les écoles communautaires arméniennes sont visiblement peu aptes à produire des diplômés maîtrisant l'arménien». «Ce qui les conduit à des énoncés de mission qui ne mettent plus l'accent sur la compétence linguistique et qui insistent sur des objectifs tels que le développement d'un fort sentiment national et spirituel», explique-t-elle.
Ainsi, la deuxième et la troisième génération d'Arméno-Américains définissent d'une manière «plus souple» l'identité arménienne. Pour eux, il s'agit de «l'activisme au sein de la communauté et de la lutte pour la cause arménienne», ajoute Mme Karapetian. À cela, il faut ajouter que la situation varie entre les côtes est et ouest des États-Unis. Ani Garmiryan, responsable auprès de la fondation Calouste Gulbenkian (octroyant des bourses et soutenant des projets dans divers domaines), note qu'à l'est, une bonne partie des Arméniens des troisième ou quatrième générations a cessé d'être arménophone. Mais à l'ouest, la situation est bien différente.
Preuve que la langue arménienne, l'une des plus anciennes toujours vivantes, n'a pas dit son dernier mot.

Un débat linguistique inexistant
Les chercheuses Anny Bakalian et Talar Chahinian déplorent qu'aujourd'hui, contrairement à deux décennies plus tôt, « le débat linguistique sur la langue arménienne est inexistant ». Avec de moins en moins d'immigrants qui arrivent du Moyen-Orient, « l'usage de la langue arménienne à la maison est en déclin », selon elles.
Dans leur étude, elles soulignent également que les méthodologies utilisées dans l'enseignement de l'arménien en classe sont insuffisantes. Selon elles, « la mission et le but pédagogique du programme des écoles arméniennes ont évolué de la transmission de la langue à des termes abstraits tels que "l'esprit arménien" ou la "culture" ».

Nées à Beyrouth, actives outre-Atlantique
Diplômée de l'Université américaine de Beyrouth (AUB), Anny Bakalian y a enseigné pendant la guerre civile. En 1981, elle émigre aux États-Unis pour poursuivre un doctorat à Columbia et décide d'y rester. Mme Bakalian est l'auteure de plusieurs livres, dont Armenian Americans : From Being to Feeling Armenian, aux éditions Transaction Publishers, ou encore Backlash 9/11: Middle Eastern and Muslim Americans Respond.
Pour sa part, Talar Chahinian a quitté le Liban à l'âge de 10 ans. Elle a obtenu son doctorat en littérature comparée de l'université de Californie et enseigne aujourd'hui à la California State University, à Long Beach.

Elles s'appellent Anny Bakalian et Talar Chahinian. Ces deux chercheuses nées au Liban (lire ci-dessous) sont bien connues par leurs pairs et par les membres de leur communauté. La cause: le rôle incontournable qu'elles jouent pour la promotion de la langue arménienne aux États-Unis. Récemment, les deux chercheuses ont publié dans l'International Journal of the Sociology of...