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Culture - Exposition

L’humanité, perdue dans l’infini, alertée par Raffi Tokatlian

Neuf sculptures massives et quatre grandes toiles éthérées de Raffi Tokatlian se partagent l'espace de la galerie Connaissance des Arts à Saifi Village. Le béton, le bronze, le bois, la fluidité des mixed medias et du café pour le dire...

Photo Galerie Connaissance des Arts

Un molosse nu teint en blanc, torse bombé et transpercé par des éclats effilés de bois telles des flèches acérées, couvert d'un pagne, les mains engoncées dans la gangue coulée d'un béton brut pesant huit cents kilos, revendique, coléreux et insoumis, la liberté sous les spots, dès l'entrée de la galerie.

D'une grandeur de deux mètres cinquante centimètres de hauteur pour une largeur d'un mètre trente centimètres, cette colossale sculpture donne le ton à une exposition qui se place d'emblée dans la lignée de la révolte, de la contestation, de la mise en garde et de l'éveil des consciences bâillonnées. Attention, l'art ici n'est pas simple élément de décoration, mais porteur aussi de violents messages sociaux et alertes, en électrochoc et pointes brutales, aux dérives environnementales. Et ces dérives, écarts et incartades sont fleuve, aussi bien au pays du Cèdre qu'ailleurs...

Prédominent ici en silhouettes agressives, mais à peine touchées, légèrement rabotées ou lissées, ni le bronze ni la résine, mais de noueux troncs d'arbres avec leurs fantomatiques radicelles, ramassés lors de grandes randonnées dans les zones boisées. Ces symboles absolus de la déforestation et du déboisement sont au rang des premiers accusés pour la perte d'énergie et ressources naturelles.

Que dire de ces racines desséchées et griffues encore attachées au tronc, montées en châssis et suspendues en l'air par une barre de fer à un écrin de plexi? Et que des businessmen avec mallettes et costumes (personnages en résine) regardent à même le sol, comme on regarde une curiosité dans un musée...
Des tubes en plastique, où coule un sang rouge dans des poumons, s'enfoncent dans cet autre tronc gisant mort à cause de toutes les pollutions et nuisances qui l'ont assassiné... Pitoyables sont ces racines à l'allure des doigts de vieillards, décharnés et rachitiques, littéralement couverts d'un bandage comme ces blessés qui ne survivront pas longtemps à la gangrène de leurs plaies, même soignées ou cautérisées.

 

(Lire aussi : Raffi Tokatlian médaillé à Erevan)

 

Tout s'effiloche
Les yeux bandés, hiératique et mystérieuse, droite et altière est cette femme comme vêtue d'une robe fourreau moulante hérissée de lamelles de bronze qui balayent l'espace. L'artiste explique: «Malgré tout le confort, on s'éloigne de la réalité et tout s'effiloche... Et puis regardez cette femme nue en bronze, cheveux au vent, heureuse et offerte à l'air libre dans ces branchages pourtant desséchés mais aux bras grands ouverts qui la portent en toute tendresse. La nature nous donne beaucoup plus que nous lui donnons et sait nous réconforter et nous consoler. La nature nous donne aussi des leçons. Les animaux connaissent mieux la nature que les hommes. Nous, on s'en éloigne. Ce que je sculpte ici ce sont de petits messages pour alerter l'humanité. Pas seulement chez nous, mais à l'échelle mondiale...»
Regard sur les quatre grandes toiles (1,40 m x 2 m) aux couleurs estompées, aux transparences insaisissables, qui tiennent la garde, en tonalités évanescentes, devant un univers d'une nature agressée et saccagée. Mais toujours amie d'une humanité qui change, inquiète et effrayée. Devant le manque ou les cataclysmes imprévisibles.

Les toiles sont un contrepoids avec leur cosmos peuplé de galaxies et de constellations étoilées où l'être n'est que grain de poussière. «On peut être perdu dans l'infini à chaque instant», souligne Raffi Tokatlian avec ses personnages longilignes et vaguement proches du E.T. spielbergien, entre lucioles et luminescence, au regard de verre, à la fois tendre, compatissant et rêveur.
Comme ce qu'il a rapporté de son dernier voyage en Inde en visitant Hari Dwar, mythique ville où, venues en pèlerinage avec les «nagababa», ces hauts prêtres voués à la cause de l'immatériel, plus de dix millions de personnes, souriantes mais affamées, se jettent au Gange. Pour se purifier, oublier le poids de la terre et joindre l'infini...

Exposée également, comme un salut d'amitié, de complicité et de connivence, dans le même esprit de poing levé, une photographie surréaliste en images de fusion, signée Rodrigue Najarian. Dont cette main ouverte, comme contre le mauvais œil, avec des racines rebelles. Symbole (et outil) même de l'œuvre destructrice de l'homme, aussi bien dans l'environnement que le climat.
Par-delà courbes sensuelles, perspectives, mouvements ondulants, vision audacieuse, force des matériaux aux combinaisons inédites, originalité créative, l'art ici, dans tout son pouvoir secret, est au service de la réflexion. Pour une évolution humaine plus saine et un plus grand respect des dons de Dieu.

*L'exposition « The black destiny for mankind » (Destinée noire pour l'humanité), sculptures et peintures de Raffi Tokatlian à la galerie (CDA) Connaissance des Arts à Saifi Village, se prolonge jusqu'au 15 janvier 2017.

 

Pour mémoire

« Brisé comme l’intérieur de tout Arménien »

Les mondes limitrophes de Piero Mascetti et Raffi Tokatlian

Un molosse nu teint en blanc, torse bombé et transpercé par des éclats effilés de bois telles des flèches acérées, couvert d'un pagne, les mains engoncées dans la gangue coulée d'un béton brut pesant huit cents kilos, revendique, coléreux et insoumis, la liberté sous les spots, dès l'entrée de la galerie.
D'une grandeur de deux mètres cinquante centimètres de hauteur...

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