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Liban - Patrimoine

Un réseau de « villes refuges » pourrait accueillir les biens culturels menacés par le terrorisme

La création d'un fonds mondial dédié au patrimoine en péril sera au centre d'une conférence internationale qui démarre demain à Abou Dhabi.

Photo archives Palmyre (AFP)

Villes historiques, sites archéologiques, monuments détruits et pillés. Après l'émotion et le désarroi, le monde passera-t-il à l'action ?
Plus de quarante pays, ainsi que de nombreuses organisations internationales, fondations, musées et universités, et Interpol participeront à une conférence internationale qui se tiendra les 2 et 3 décembre à Abou Dhabi en présence de plusieurs chefs d'État, dont ceux des deux pays initiateurs, la France et les Émirats arabes unis, ainsi que de la directrice générale de l'Unesco. Cet événement majeur a pour objectif de mobiliser la communauté internationale et de l'exhorter à « prendre des engagements concrets et poser des actes », selon les propos du président François Hollande qui, devant le G7 réuni au Japon en mai dernier, avait annoncé la tenue de cette conférence. Les États vont donc se pencher au chevet de la Syrie, de l'Irak, du Mali, de la Libye, du Yémen, de l'Afghanistan et d'autres zones de conflit où de nombreux biens culturels ont été pillés et détruits par des groupes islamistes. Et où encore des centaines de sites non libérés continuent d'être dévastés.

À l'invitation du Quai d'Orsay, 16 journalistes du Moyen-Orient, du Maghreb et d'Afghanistan ont rencontré des responsables de l'Hôtel de Marigny, des Affaires étrangères, de l'Unesco, de l'Icomos, du musée du Louvre ainsi que Jack Lang, président de l'Institut du monde arabe (IMA), chargé par M. Hollande d'organiser la conférence. Les diverses sources soulignent qu'une mobilisation internationale, scientifique et financière a été lancée pour initier un programme « Renaissance du patrimoine des pays en conflit ». Elles donnent, à titre d'exemple, le sauvetage d'Abou Simbel en Égypte dans les années 1960 ; le modèle du Comité de coordination pour la sauvegarde du site d'Angkor de l'Unesco, créé en 1993 sous la coprésidence de la France et du Japon, ou encore les travaux de la reconstruction du patrimoine de la ville de Tombouctou frappée par les destructions commises par les groupes islamistes.

L'initiative de la France et des Émirats arabes unis pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit devrait contribuer à « une nouvelle dynamique mondiale », a dit l'ambassadeur Hugues Moret, secrétaire général pour la conférence. Une cinquantaine de mesures seront proposées pour protéger l'héritage culturel. Outre les questions traitant de la prévention, de la documentation, de la restauration, de la formation des professionnels aux patrimoines et de la police des douanes, trois axes prioritaires ont été fixés par la France : la lutte contre le trafic ; l'adoption d'un système de « villes refuges », voire plusieurs, pour « accueillir provisoirement » des œuvres menacées ; ainsi que la reconstitution d'un certain nombre de monuments disparus, notamment en Irak et en Syrie, pour conserver « une trace » des lieux de mémoire, ont souligné Jérôme Bonnafont et Adrien Pinelli, respectivement directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et sous-directeur au ministère des Affaires étrangères et du Développement international.

 

(Lire aussi : Une "ville-refuge" pour le patrimoine menacé ?)

 

Un réseau d'abris
La France prône le système de « ville refuge » qui permettrait, pendant un conflit, de mettre à l'abri des biens culturels. La ville refuge peut être établie au sein même du pays tiraillé, en trouvant des lieux susceptibles de résister en temps de guerre. Mais il s'agit de « prévoir », comme l'avait prévu Jacques Jaujard, directeur des musées nationaux de France, pendant la Seconde Guerre mondiale, en organisant l'évacuation de plus de 4 000 trésors du Louvre. D'abord stockées au château de Chambord, peintures, sculptures et archives sont ensuite secrètement dispersées en province selon un plan qu'il avait minutieusement établi. De même, à Tombouctou, au Mali, au cours de l'occupation de la ville par les groupes jihadistes, près de 400 000 manuscrits ont été transférés discrètement par les habitants.
À ce propos, un rappel s'impose : les trésors du musée national de Beyrouth ont pu être sauvés grâce à l'émir Maurice Chéhab, qui les avait mis à l'abri durant la guerre du Liban. Ensuite, il a muré toutes les sculptures et les sarcophages qu'il ne pouvait faire déplacer.

Il est également possible d'opter pour une « ville refuge », à l'étranger. Quelques États, dont la Suisse, ont adopté des législations le permettant. Pour exemple, en pleine guerre civile espagnole, le musée du Prado est menacé par les bombardements et un petit comité international organise l'évacuation de ses œuvres. Soixante-dix camions remplis de chefs-d'œuvre traversent les Pyrénées et les acheminent sains et saufs jusqu'à la Société des nations à Genève. Plus récemment encore, près de Bâle, des individus avaient créé un musée du patrimoine afghan en péril. Il a fonctionné pendant une dizaine d'années. C'était en fait une forme de refuge, et lorsque la situation s'est améliorée en Afghanistan, tous les biens ont été restitués au musée de Kaboul, sous l'égide de l'Unesco. Ce choix est toutefois « une décision lourde, qui doit être homologuée au niveau international et financée par le fonds de dotation », souligne Marielle Pic, directrice du département des Antiquités orientales au musée du Louvre. Mais « l'idéal serait de trouver un abri dans un pays proche du leur ».

 

(Pour mémoire : Bis repetita, pour ne pas oublier Palmyre)

 

Quid du financement ?
En plus de ces orientations, la conférence abordera les moyens nécessaires à la mise en œuvre de cette opération d'envergure. Bruno Favel, chef du département des Affaires européennes et internationales à la Direction générale des patrimoines, relève que François Hollande va proposer la création d'un fonds de dotation international qui pourrait recueillir jusqu'à 100 millions de dollars. « Il sera de statut privé et disposera d'une gouvernance qui associera des partenaires publics et privés », dit-il. Il y aura aussi « des dispositifs d'incitation fiscale » pour encourager le maximum de mécènes à investir dans cette mission. La contribution de la France s'élèvera à « 30 millions de dollars, sur les deux ans ». Ce fonds sera attribué en transparence à des actions précises. Il comprend un conseil d'administration, un comité scientifique et opérationnel pour mener les opérations sur le terrain, un comité financier, et s'appuiera sur l'Unesco avec laquelle il signera un accord de partenariat.

D'autre part, pour mener à bien les résolutions qui seront prises lors de la conférence, Laurent Stefanini, ambassadeur de France auprès de l'Unesco, souligne qu'aux conventions et recommandations élaborées par l'Unesco viendront s'ajouter d'autres règles que « les États doivent intégrer dans leur législation » pour que soit appliqué un système efficace de protection collective du patrimoine culturel. Il ajoute que la convention Unidroit, élaborée par l'agence en 1995, n'a jusqu'alors été approuvée que par 35 États sur les 195 membres que compte l'organisation onusienne. Unidroit pose pourtant un principe simple : « Le possesseur d'un bien volé doit le restituer. »

 

(Lire aussi : Des chrétiens d'Irak réinvestissent leur monastère saccagé par l'EI)

 

Tribunal pénal
La destruction du patrimoine est un crime de guerre et les terroristes devront désormais répondre de leurs actes. À l'instar du chef de la brigade des mœurs d'Ansaruddine, Ahmad Faqi al-Mahdi, dit Abu Tourab, condamné à neuf ans de prison par la Cour pénale internationale (CPI) pour avoir démoli des mausolées à Tombouctou en 2012. Même « dans 20 ans, 15 ans ou 50 ans, toute personne qui s'est livrée à la destruction du patrimoine se retrouvera face à la justice », affirme Claire Chastanier, responsable à la Direction générale des patrimoines (service des musées de France).

Interpol au cœur de l'action
Le patrimoine est non seulement détruit, il est aussi utilisé pour financer le terrorisme. Pour assécher le marché illicite, Interpol pourra apporter sa contribution. Mais, pour ce faire, l'organisation internationale de police a besoin de documentation. Le pays vulnérable doit établir l'inventaire de ses biens et rassembler le plus de détails possible sur l'objet, l'envoyer ensuite à l'Icom, l'Icomos et Interpol, pour qu'une banque de données soit constituée. « Ne pas le faire serait une démarche irresponsable », ajoute Mme Chastanier. D'autre part, sans nier la réalité du trafic, elle trouve que les chiffres avancés sont « délirants ». « Comme les grands objets sont difficiles à transporter, beaucoup de biens culturels sont cachés dans le pays d'origine, le temps de se faire oublier. Je rappelle que, sur les millions de biens spoliés durant la Seconde Guerre mondiale, 100 000 objets n'ont pas encore été retrouvés. Soit ils ont été détruits, soit on a totalement perdu leur trace », souligne-t-elle. D'autre part, pour stopper le trafic, chaque pays doit adopter une loi nationale intégrant la convention 70.
Parallèlement, selon France Desmarais, directrice de l'Icom, seule ONG accréditée auprès de l'Onu pour la lutte contre le trafic illicite, les listes rouges qui couvrent 25 pays ont donné aux douaniers les moyens d'agir. À titre d'exemple, elle a indiqué que 1 500 objets (3,4 tonnes) ont été récupérés par Kaboul et une stèle égyptienne a été interceptée en Suisse.

« La conférence est tout à la fois un aboutissement et un commencement. Il y a du gros travail à faire », a dit Jacques Lang, ajoutant que l'enjeu du rendez-vous d'Abou Dhabi est d'affirmer « la volonté d'une opposition totale à la barbarie. Et de bâtir l'humanité selon nos valeurs. La voie de l'avenir passe par le savoir, la culture et la paix ».

 

 

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