Rester et probablement mourir, ou fuir dans les zones contrôlées par le régime ou par les Kurdes sans savoir ce que les lendemains leur réserveront : les Alépins de l'est sont plus que jamais confrontés à ce dilemme morbide. Nombreux sont ceux qui refusent de quitter leur quartier, malgré des conditions de vie chaque jour plus insupportables.
« Je ne partirai jamais, quitte à mourir chez moi ! » confie Aref*, joint par WhatsApp. Mais d'autres ont fini par céder, après quatre mois de siège imposé par le régime. Ils seraient près de 20 000, selon la Croix-Rouge internationale (CICR), à s'être rendus dans les zones gouvernementales. Non sans créer une certaine panique au sein des quartiers rebelles de plus en plus acculés par les offensives du régime et de ses alliés.
L'armée a en effet repris en quelques jours plus de 30 % des quartiers rebelles et poursuit son avancée, notamment grâce à l'appui des forces aériennes. Les images de dévastation témoignent de la gravité de la situation. « Croyez-moi, je ne pouvais pas reconnaître aujourd'hui (hier) les quartiers d'al-Chaar et Tarik al-Bab. Le régime a tout détruit, et plus de six quartiers sont désormais entièrement vidés de leurs habitants », témoigne un résident sur place.
« Nous sommes bombardés sans interruption. Les gens se sont retranchés dans nos quartiers plus au centre. Des immeubles où ne vivaient plus que deux ou trois familles sont bondés », raconte Wissam Zarka, sur le groupe WhatsApp du Aleppo Media Center. « On nous jette des bombes non-stop depuis 24h. On n'ose pas bouger d'une pièce à une autre, nous sommes totalement cloîtrés chez nous », raconte Hozaïfa, via Facebook. Autour d'un hôpital de campagne ayant investi le sous-sol d'un immeuble, un médecin décrit la situation comme catastrophique face à l'afflux de blessés. « L'odeur du sang est prégnante, il y a beaucoup de victimes et nous ne pouvons soigner tout le monde », dit-il.
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Combattants aux abois
« En une semaine, près de 8 000 personnes ont fui les quartiers est vers l'enclave de Cheikh Maksoud, qui se trouve sous contrôle des forces kurdes. Deux familles m'ont raconté qu'ils ont pris la décision de fuir à cause de la situation humanitaire, davantage qu'à cause des bombardements intenses, car ils se trouvent totalement démunis en raison du siège », raconte Diana Semaan, chercheuse sur la Syrie pour Amnesty International, contactée par L'Orient-Le Jour. « Nous appelons le gouvernement syrien à ne pas user de représailles contre les civils fuyant ou habitant encore les zones détenues par les rebelles », poursuit-elle. Le conseil local du quartier aurait ouvert ses bureaux et ses écoles pour recevoir les déplacés, selon la chercheuse.
« On m'a relaté que les forces kurdes ont sélectionné des jeunes hommes ayant fui vers Cheikh Maksoud, pour les remettre aux soldats du régime, mais nous n'avons pu vérifier l'information », raconte de son côté Bassam el-Ahmad, activiste exilé en Turquie, directeur de l'ONG Syriens pour la vérité et la justice. Des vidéos ont également circulé hier, montrant des soldats du régime frapper des civils, dont des jeunes femmes, selon l'activiste. Une femme et ses trois enfants seraient notamment détenus dans une mosquée, en attente d'un interrogatoire. « Nous ne savons pas s'ils pourront être libérés », raconte Wissam Zarqa, précisant que ce sont des chabbiha (miliciens du régime) qui seraient en train de procéder à des arrestations.
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Des milliers de familles attendent des nouvelles de leurs proches ayant gagné les zones du régime. Des contrôles d'identité seraient en cours, mais beaucoup ignorent encore comment ils seront traités. « En allant au travail ce matin, j'ai constaté un attroupement important. Des habitants ayant fui l'est était regroupés dans un jardin public, et certains célébraient le fait d'être arrivés de l'autre côté. J'ai vu pas mal de bus verts bondés arriver dans nos quartiers », raconte Hala, une habitante d'Alep-Ouest, qui assure que les arrivants semblent bien traités par les organisations d'aide de l'État. « Nous n'avons pu entrer en contact avec les secours sur place, mais des personnes ayant fui nous ont assuré que tout se passait bien pour le moment, même s'ils restent sur leurs gardes », affirme Diana Semaan.
Sur le terrain, les forces rebelles sont aux abois. « Les bombardements sont tels qu'il est quasi impossible que les forces s'affrontent. Il s'agit de combats ici et là, mais les rebelles ont du mal à pouvoir sortir des tunnels », relate Bassam el-Ahmad. « C'est la panique, les gens sont dans les rues tentant de fuir et il y a des corps partout, et personne ne peut les enlever », témoigne un combattant rebelle. « La bataille est terrible et les avions ne cessent de nous bombarder. Nous espérons une résolution rapide, quelle qu'elle soit, car il nous est impossible de nous rendre au régime, qui nous emprisonnera à coup sûr », poursuit-il.
Dans la soirée, l'Onu s'est alarmée de la situation « effrayante » à Alep-Est. Mais pour Amnesty International et l'activiste syrien en exil, rien de « concret » n'a été envisagé pour venir en aide aux populations civiles, bombardées nuit et jour, et n'ayant reçu aucune aide humanitaire depuis plus de 4 mois. « Le Conseil de sécurité de l'Onu n'a rien fait pour dénoncer les exactions quotidiennes du régime », fustige Diana Semaan. Le silence de la communauté internationale qui s'est volontairement désengagée du conflit laisse un champ libre à Damas, Moscou et Téhéran pour pousser les 250 000 Alépins de l'est à l'épuisement, et grignoter petit à petit ses territoires rebelles jusqu'à ce qu'il n'en reste, comme à Homs ou à Daraya, que des ruines. Viendra alors, probablement, l'heure des négociations...
*Les prénoms ont été changés par mesure de sécurité.
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« Je ne partirai jamais, quitte à mourir...
commentaires (6)
On apprend plus en étant "vaincu?" qu'en étant vainqueur....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
16 h 26, le 30 novembre 2016