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Moyen Orient et Monde - Reportage

« Si ce tank se mettait enfin à tirer, il exploserait leur putain de maison »

Les peshmergas, les combattants kurdes d'Irak, participent à la campagne militaire pour encercler Mossoul. Depuis jeudi, les Kurdes tentent de prendre la ville de Baachiqa, située à 20 kilomètres au nord-est du dernier grand bastion en Irak des terroristes de groupe État islamique. « L'Orient-Le Jour » s'est embarqué au côté des peshmergas pour raconter leur offensive, heure par heure.

Des forces irakiennes près du village de Tall al-Tibah, à 30 km au sud de Mossoul. Ahad al-Rubaye/AFP

06h00
C'est devenu un rituel. Comme pour chaque offensive, c'est avec les premiers rayons du soleil que la colonne de véhicules blindés commence à se former. Des tractopelles mènent la danse : il leur faudra tracer une route à travers la prairie aride qui sépare les combattants kurdes des jihadistes du groupe État islamique (EI). Les moteurs ronronnent, la poussière épaisse s'envole et les peshmergas entonnent des chants victorieux. Au Kurdistan d'Irak, on va à la guerre comme à un mariage : vêtus de ses plus beaux habits traditionnels et la kalachnikov en bandoulière.
Après avoir tapissé la motte de terre qui démarquait la ligne de front, la pelleteuse se retire. La voie est libre pour la colonne de véhicules blindés surmontés de mitrailleuses ou de missiles. Ils avancent pas à pas, puis s'arrêtent, préférant attendre que l'artillerie, positionnée sur un talus avoisinant, harcèle l'ennemi et le force à se terrer. Soudain, la foule pointe le ciel du doigt. Une ombre les survole. Les canons ouvrent le feu dans un grand fracas, éclairant l'aurore de leurs fusées orangées. Touché. Dans un dernier souffle, le drone d'observation envoyé par l'EI tournoie avant de s'écraser. Une première victoire pour les peshmergas : début octobre, un engin similaire avait tué deux d'entre eux et blessé grièvement deux soldats des forces spéciales françaises.
La colonne, composée d'une vingtaine de blindés, peut reprendre son élan. Les combattants kurdes n'entreront pas dans Mossoul, leur rôle est de participer à l'encerclement de la ville. Et depuis jeudi, plusieurs milliers de peshmergas mènent l'assaut sur trois fronts au nord et au nord-est du bastion des jihadistes, ce qui en fait « l'une des plus grandes offensives au sol de la guerre contre l'EI », a estimé le commandement général des peshmergas dans un communiqué.

 

 

Les images tournées par Wilson Fache, embarqué avec les peshmergas.

 

07h30
Au volant d'un Humvee, un véhicule militaire américain, Ali Delshad suit le reste du convoi avec paresse. Équipés de missiles Milan, le soldat de 25 ans et ses coéquipiers, Zamo Latefm à la radio et Ramzi Khaled à la tourelle, n'ont pas vocation à rester en arrière. Ali Delshad s'élance, dépassant par la gauche les véhicules qui le précédent. Entre deux coups de volant, il en profite pour appliquer un peu de beurre de cacao sur ses lèvres gercées par le vent sec. « C'est vraiment cool, on avance bien », s'exclame-t-il avec un sourire en coin.
Comme une plongée en apnée, la longue colonne s'enfonce profondément dans les territoires tenus par l'EI. La contre-attaque ne saurait tarder. Arrivés en bordure d'un village où flotte un étendard noir, les peshmergas subissent un déluge de feu et n'ont aucun moyen de s'échapper : les routes sont minées et l'ennemi invisible. « Ne quittez pas vos véhicules ! » hurle Zamo Latefm dans sa radio. « Ils nous tirent dessus de l'autre côté, près des arbres », explique-t-il. Il n'en faut pas plus pour que le blindé voisin, équipé d'une mitrailleuse lourde, canarde le champ avec des balles de la taille d'une poire. « Mais pourquoi est-ce qu'il ne ferme pas sa porte ? Mais il est débile, c'est qui ce type ? » s'exaspère Ali Delshad en montrant d'un geste de la main un véhicule voisin.

 

(Lire aussi : Les forces kurdes attaquent des positions jihadistes près de Mossoul)

 

 

12h00
Coincés dans une cage de verre et d'acier, Ali Delshad et ses hommes enchaînent les cigarettes, prennent des photos avec leur téléphone portable ou se moquent de l'ennemi qu'ils combattent. « Oh oui, brûlons les peshmergas », imite-t-il avec un accent arabe. Après six heures dans un Humvee, même le bruit des balles qui ricochent finit par lasser. La colonne de peshmergas réussit à s'arrêter dans un lieu sécurisé, mais le feu ennemi est omniscient. À peine sorti pour uriner contre la roue arrière de son carrosse et déjà le souffle d'une balle qui fend l'air avant de s'écraser dans la poussière. Le jeune combattant sursaute, esquisse un sourire et remonte dans son Humvee la braguette ouverte.
– « Je tuerais pour une tasse de thé », soupire-t-il, affalé sur son volant.
– « Pourquoi est-ce qu'ils ne tirent pas ? » lui répond Zamo Latefm.
– « Qui ça ? »
– « Les forces spéciales. »
– « Ils n'ont plus de balles... »

 

14h00
Un drapeau blanc. Des civils pris en étau tentent d'échapper aux combats. Immédiatement mis en joue par les combattants kurdes, les hommes sont obligés de se déshabiller. Il faut s'assurer qu'aucun d'eux n'est en fait un jihadiste équipé d'une ceinture piégée.
À nouveau, les balles sifflent à une cadence infernale et les obus de mortier s'écrasent toujours plus près. Devant le Humvee d'Ali Delshad, un groupe de combattants kurdes iraniens se déplacent à l'arrière d'un simple pick-up. Il y a là des femmes tenaces et des hommes souriants. Deux d'entre eux seront tués d'une balle dans la tête. « Si l'État islamique continue à se battre comme ça, on n'arrivera pas à avancer avant ce soir », estime Zamo Latefm, inquiet. « Si ce tank se mettait enfin à tirer, il exploserait leur putain de maison », lui rétorque son compagnon. Au loin, une frappe de la coalition internationale menée par les États-Unis obscurcit l'horizon.

 

(Lire aussi : Abadi : À Mossoul, les forces irakiennes progressent « plus vite » que prévu)

 

16h00
À l'aurore ils chantaient une victoire certaine. Il est désormais temps de pleurer les morts. Après avoir trouvé refuge derrière une colline, les visages désormais couverts de poussière des combattants kurdes se sont fermés. Des pelleteuses se mettent immédiatement à ériger des fortifications de fortune pour protéger leur camp improvisé.
Un soldat prie, un autre nettoie le moteur de son blindé. Brusquement, un murmure parcourt la foule. Une exclamation, des doigts sont pointés. Au loin, une voiture fonce à toute allure, laissant derrière elle une grande traînée de poussière. « Voiture piégée ! » s'écrie un soldat. Certains courent, la peur aux tripes. Des tirs retentissent, puis sont stoppés nets. Fausse alerte : la voiture appartient à un peshmerga. La frénésie retombe aussi vite qu'elle est apparue. Plus que deux heures avant le crépuscule. Ils dormiront là ce soir. À l'aube, il sera à nouveau l'heure de faire la guerre.

 

 

 

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06h00C'est devenu un rituel. Comme pour chaque offensive, c'est avec les premiers rayons du soleil que la colonne de véhicules blindés commence à se former. Des tractopelles mènent la danse : il leur faudra tracer une route à travers la prairie aride qui sépare les combattants kurdes des jihadistes du groupe État islamique (EI). Les moteurs ronronnent, la poussière épaisse s'envole et...
commentaires (2)

C'est erdo qui doit pas être content de lire ce récit sur les peshmergas..

FRIK-A-FRAK

12 h 39, le 22 octobre 2016

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • C'est erdo qui doit pas être content de lire ce récit sur les peshmergas..

    FRIK-A-FRAK

    12 h 39, le 22 octobre 2016

  • LES PAVILLONS RELIGIEUX COMME CELUI SUR CE BLINDE DE LA PHOTO QUI MONTRENT QU,ON NE COMBAT PAS UNE ORGANISATION TERRORISTE MAIS UNE AUTRE COMMUNAUTE RELIGIEUSE AURAIENT DU ETRE INTERDITS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 53, le 22 octobre 2016

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