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Moyen Orient et Monde - Syrie / Témoignages

« Comment puis-je ne pas viser mon frère, alors qu’il combat dans les rangs ennemis... »

Ali et Imad sont frères, l'un se bat aux côtés d'Assad, l'autre avec les rebelles. Quant aux parents, ils sont au désespoir. « L'Orient-Le Jour » les a interrogés...

Des rebelles sur la ligne de front au nord d’Alep. Khalil Ashawi/Reuters

Confronter son rival dans la zone de combat est une réalité. Un devoir. Mais qu'en est-il si celui qui combat du côté opposé est un membre de la famille, et pas n'importe lequel : un frère ? Voilà l'une des (nombreuses) tragédies auxquelles sont confrontés les Syriens aujourd'hui : des familles dont les propres enfants s'affrontent dans une guerre qui détermine chacun de leur mouvement. Parce que, au cœur de cette guerre abominable qui a séparé les membres d'une même famille entre loyalistes et rebelles, il n'est pas surprenant de trouver un père luttant pour soutenir le régime alors que son fils combat dans les rangs de l'opposition, ou deux frères qui se rencontrent dans les champs de bataille et qui tirent sans se rendre compte que l'un pourrait viser celui avec qui il a passé toute son enfance il n'y a pas si longtemps.

Cette réalité, les membres d'une famille syrienne dans la région rurale d'Alep la subissent au quotidien. Les parents vivent dans la peur constante du destin réservé à leurs enfants que tout oppose désormais. Une douleur et une tristesse décuplées à force d'entendre ces deux frères qui jurent de s'entre-tuer. Imad et Ali, qui sont nés et qui ont grandi sous le même toit, sont devenus rivaux pour défendre leurs idéaux et leurs engagements politiques. Imad, jeune recrue de 21 ans, a rejoint les rangs des forces prorégime en 2015 après avoir passé deux ans à travailler en Turquie, tandis que son frère Ali, 30 ans, qui a combattu dans les rangs du mouvement Nour al-Din al-Zenki, a rejoint les forces de l'opposition lorsque celles-ci sont entrées à Alep en 2012. Dans les propos de ces deux frères ennemis, l'on n'entend que des accusations de trahison et des menaces de mort. Des paroles impitoyables, surtout quand elles sont répétées devant des parents désespérés et en larmes, se souvenant de leurs enfants qui ont grandi ensemble dans une même pièce et qui avaient l'habitude de s'entraider.

(Lire aussi : A Alep, une nageuse syrienne pleine de rêves fauchée par un tir rebelle)


« Comment lui pardonner... »
Ali a rejoint les forces de l'opposition pour « lutter contre l'oppression et les massacres des opposants qui ont tenté d'exprimer leurs opinions pour dénoncer un régime despotique et corrompu ». Il a pris les armes « pour se protéger ». Il est certain que « chaque personne qui prend une arme a été contrainte de le faire pour affronter la sauvagerie des soldats du régime. Quant à Imad, il est resté neutre, bien qu'il ait été témoin des massacres du régime dans les quartiers d'Alep libérée ». Ali n'a pas caché son hostilité envers son frère qui a rejoint le camp de Bachar el-Assad après quatre ans de conflit en Syrie, « quatre ans de crimes, de bombardements et de déplacement qui n'ont pas découragé ce mercenaire à rejoindre les rangs des forces prorégime. Comment puis-je lui pardonner ou écarter mon viseur alors qu'il combat dans les rangs ennemis ? » s'étouffe-t-il.
Ali est surpris de voir son frère approuver le siège d'Alep et ces bombardements qui tuent par centaines des civils incapables de prendre la fuite ou de se nourrir. « Nos proches sont dans cette ville. Ils n'ont rien à voir avec cette guerre, comment mon frère a-t-il pu participer au siège d'enfants innocents ? » se demande-t-il encore. Et quand il évoque ses parents, Ali espère « qu'ils pourront convaincre Imad de se rétracter, avant de le pleurer » ...

« Tuer ou être tué »
Le jeune frère, Imad, juge quant à lui l'opposition syrienne comme « défaillante » et « traîtresse », l'accusant d'avoir cru aux promesses de l'Occident et des États-Unis. Interrogé sur les raisons qui l'ont poussé à rejoindre les forces loyales au président syrien, il explique qu'il n'a « jamais été contre le régime. J'ai rejoint l'armée syrienne qui est l'armée nationale ». Imad décrit son expérience en Turquie comme le catalyseur de son retour en Syrie. « Les Syriens qui se réfugient à l'étranger connaissent l'humiliation et subissent le regard inquisiteur et suspect des forces de sécurité, puisqu'ils sont originaires d'un pays occupé par l'État islamique et d'autres organisations terroristes », dit-il. Selon lui, la Syrie est « victime d'un complot qui vise à la détruire par des prétextes mensongers et pseudodémocratiques ».
Imad pense que son frère Ali a été abusé, dupé et abandonné, seul face à son destin, lui et tous les défenseurs de la liberté d'Alep assiégée. Et s'il devait confronter son frère sur le champ de bataille, il ne le tuera pas s'il est capturé vivant : « Il affrontera son destin lorsqu'il sera jugé par la justice syrienne. S'il est abattu par l'une de mes balles, il aura choisi sa mort. Dans la zone de combat, l'équation est simple : tuer ou être tué. »


« Même moi, leur mère... »
Quant à leur parent, il n'y a pas de mots ni d'expressions pour décrire la souffrance de deux personnes âgées qui ignorent ce qui va les faire mourir à petit feu : le désespoir de voir leurs fils se haïr et s'entre-tuer, ou l'annonce, un jour, de la mort de ces deux frères.
Leur père, surnommé Abou Abdo, fin soixantaine, était boucher. « Je n'ai plus la force de supporter les malheurs de cette guerre. Peu importe qui sera le vainqueur, que ce soit le régime ou l'opposition, mes enfants seront sacrifiés pour que l'un ou l'autre triomphe. » Abou Abdo a essayé de mettre fin à cette querelle fraternelle, mais il n'a pas réussi à les convaincre. « Depuis le début, j'ai tenté à plusieurs reprises de les empêcher de prendre les armes pour éviter de les perdre, mais leurs opinions ont été bien plus fortes que moi. Ils étaient intraitables. »

Leur mère, début soixantaine, femme au foyer, s'identifie à toutes les mères syriennes qui sont les grandes perdantes de cette guerre. Elle se demande si celui qui est à la tête du régime a envoyé son fils au front pour protéger le territoire syrien, et si les membres de l'opposition ont fait de même avec leurs fils... « Je ne veux pas que mon fils soit tué pour que l'un reste au pouvoir ou que les autres y arrivent. Je suis incapable de soutenir l'un de mes enfants sans m'intéresser à l'autre : si un malheur arrive à l'un, je passerai le reste de ma vie à pleurer celui que j'ai porté neuf mois dans mon ventre. Ils font partie de moi », martèle-t-elle en pleurant, et en répétant qu'elle a tout fait pour les convaincre de renoncer aux armes. « Mais même moi, leur mère, ils ne voulaient ni m'écouter ni m'entendre... »

Imad et Ali s'accordent à dire que leurs parents n'avaient pas prévu « de les voir un jour combattre sur deux fronts opposés, ni même de prendre les armes, mais cette guerre est une lutte entre le bien et le mal ». Cette guerre les a rendus indifférents à la colère de leur père et la détresse de leur mère.
Quelqu'un a dit : « Toutes les guerres sont des guerres civiles, parce que tous les hommes sont frères. » Comment alors qualifier un conflit qui oppose les membres d'une même famille...


"Je vous parle d'Alep", nos témoignages :

VI – Ismaël Alabdallah, Casque blanc à Alep : Nous avons pu trouver à manger aujourd'hui

V- Dr Farida, gynécologue-obstétricienne à Alep : « C'était un jour comme un autre, sous les bombes »

IV- Abou el-Abed, combattant rebelle : Ma mère n’a jamais accepté que j’aille combattre

III-Ameer, photographe : Quand je croise les enfants du quartier, ils m’indiquent des corps en décomposition

II - Yasser, comptable : « Ne t’inquiète pas mon amour, nous sommes en vie, ne sois pas triste pour la maison »

I - Mohammad, infirmier à Alep : « Les enfants ne savent pas qui est Assad ou ce qu'est la rébellion »

Confronter son rival dans la zone de combat est une réalité. Un devoir. Mais qu'en est-il si celui qui combat du côté opposé est un membre de la famille, et pas n'importe lequel : un frère ? Voilà l'une des (nombreuses) tragédies auxquelles sont confrontés les Syriens aujourd'hui : des familles dont les propres enfants s'affrontent dans une guerre qui détermine chacun de leur...

commentaires (3)

Malheureusement c'est le propre des salles guerres. Une guerre civile rien de pire pour détruire un pays pour de très longues années. Cela la Syrie le doit à ceux qui ont déclenché cette horreur......Et toujours pour les mêmes raisons le fric.

Rocchesani Marcel

20 h 45, le 17 octobre 2016

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Commentaires (3)

  • Malheureusement c'est le propre des salles guerres. Une guerre civile rien de pire pour détruire un pays pour de très longues années. Cela la Syrie le doit à ceux qui ont déclenché cette horreur......Et toujours pour les mêmes raisons le fric.

    Rocchesani Marcel

    20 h 45, le 17 octobre 2016

  • "...... Maria avait deux enfants...."

    Christine KHALIL

    19 h 23, le 17 octobre 2016

  • C,EST CA LE MALHEUR DES GUERRES CIVILES... LE FRERE TUE LE FRERE, PARFOIS LE PERE SOM FILS OU L,INVERSE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 04, le 17 octobre 2016

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