Le port de Tartous en Syrie, qui abritera une base navale russe permanente. Image tirée de Google Maps
L'ours russe a décidé de refaire du Moyen-Orient une de ses principales tanières. Moscou a annoncé avant-hier vouloir transformer ses installations portuaires à Tartous dans le nord-ouest de la Syrie en « base navale russe permanente ». Ce n'est pas vraiment une surprise. Malgré l'annonce fin mars par le président Vladimir Poutine du retrait d'une partie de son contingent en Syrie, la Russie continue d'y renforcer sa présence militaire, et ce plus d'un an après le début de son intervention sur le terrain. Le 4 octobre dernier, la Russie a confirmé le renforcement du système de défense aérienne S-300 afin de compléter son dispositif à Tartous. En outre, plus de 4 000 militaires sont déployés en Syrie, à Tartous notamment, mais également à Hmeimim, près de Lattaquié, fief du président syrien Bachar el-Assad. Cette base aérienne construite en 2015 et adjacente à l'aéroport international Bassel el-Assad sert de « centre stratégique des opérations militaires russes contre l'État islamique ». Les députés russes ont d'ailleurs ratifié la semaine dernière un accord avec Damas sur le déploiement « pour une durée indéterminée » des forces aériennes russes.
La base de Tartous, installation de ravitaillement et de réparation en Méditerranée, a été établie à l'époque soviétique, en vertu d'un accord conclu en 1971 avec Damas, puis est mise en sommeil dans les années 90. Mais « depuis la fin des années 2000, il y a des discussions entre Moscou et Damas sur des projets de modernisation de ce qui est aujourd'hui un point d'appui technique et logistique naval pour la Russie au Moyen-Orient », rappelle Igor Delanoë, directeur adjoint de l'Observatoire franco-russe.
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« Perspective de confrontation »
Le message de Moscou est clair : la Russie veut s'inscrire durablement au Moyen-Orient et y jouer un rôle important. Le timing n'est pas non plus anodin. L'annonce intervient dans un contexte de tensions extrêmes avec les Occidentaux, et plus particulièrement avec les États-Unis, notamment depuis l'échec de l'accord américano-russe de cessez-le-feu en Syrie, en septembre dernier. « Le fait d'annoncer l'ouverture de bases militaires s'inscrit dans la perspective de confrontation dans laquelle nous sommes plongés depuis l'effondrement du régime de cessation des hostilités en Syrie », explique M. Delanoë.
Avec le relatif désengagement des Américains dans la région, la Russie semble considérer qu'il y a une place à prendre. Et ne cache plus ses ambitions. « Il était évident que la Russie tenait à combler le vide créé par le retrait américain de la Syrie, et profiter des erreurs des États-Unis en Irak. Et remplir ce vide est une stratégie qui s'inscrit dans la longue durée », affirme un haut diplomate arabe interrogé par L'Orient-Le Jour. Le rôle précis que tendra à jouer Moscou n'est pourtant pas encore très clair. Vladimir Poutine voudra-t-il être un arbitre entre les puissances régionales ? Ou être une grande puissance parmi les puissances ? « Moscou veut prendre part à l'architecture de sécurité qui pourrait émerger du Moyen-Orient post-printemps arabe », analyse M. Delanoë.
(Repère : La Russie renforce sa présence militaire et son arsenal en Syrie)
Inquiétudes
Parce qu'il s'inscrit dans une période de déstabilisation générale et de remise en question des alliances traditionnelles, le retour de la Russie au Moyen-Orient soulève des inquiétudes parmi les puissances régionales. « À part l'Égypte qui a soutenu le projet de résolution russe aux Nations unies au sujet d'Alep, il y a quelques jours, je ne vois pas quels seraient les pays arabes qui accueilleraient favorablement cette présence russe. Les Saoudiens qui, pendant un certain temps, étaient ouverts à la normalisation de leurs relations avec la Russie, ont fait marche arrière à cause de la politique russe en Syrie », affirme le diplomate arabe.
Paradoxalement, le grand retour de Moscou sur l'échiquier moyen-oriental, et plus particulièrement sur le terrain syrien, lui a permis de pouvoir se mettre à table avec les cinq acteurs-clés de la région – Israël, la Turquie, l'Égypte, l'Iran et l'Arabie saoudite – à différentes échelles. La Russie entretient d'excellentes relations avec Israël, même si certaines divergences persistent sur le dossier syrien. Après une crise profonde résultant de la destruction par l'aviation turque d'un bombardier russe survolant la frontière syro-turque en novembre 2015, Ankara et Moscou ont enterré la hache de guerre en scellant notamment, avant-hier, un accord sur la réalisation du projet de gazoduc TurkStream pour acheminer du gaz russe à l'Europe sous la mer Noire.
L'Iran et la Russie soutiennent militairement le régime de Bachar el-Assad, formant une alliance de circonstance. Ce rapprochement avec la République islamique a certainement de quoi exacerber les tensions avec l'Arabie saoudite. Mais pour Igor Delanoë, « les Saoudiens peuvent avoir tendance à voir la Russie comme un contrepoids à l'influence grandissante de l'Iran dans la région ». En dépit de relations certes compliquées, « les Russes et les Saoudiens se parlent et se rencontrent », poursuit le chercheur.
La base navale de Tartous marque de manière claire le renforcement de la présence militaire russe au Moyen-Orient. Mais pas uniquement. Elle présage d'une ambition certaine de Moscou de jouer un rôle plus global, comme au temps de la guerre froide, notamment depuis que la Russie envisage de rouvrir des bases à l'étranger, comme à Cuba, au Vietnam et en Égypte.
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commentaires (6)
L'occident et leurs amis ont déstabilisé le Moyen Orient. En Libye et en Syrie des pays de la communauté Européenne (avant Brexit) ont pris leur part de responsabilité dans ce gâchis (qui peut être a conduit au Brexit). Et aujourd'hui encore les mêmes dirigeants et médias continuent de nous faire croire que la Russie est la seule responsable de cette sale guerre. Il serait temps que le mensonge cesse. Oui la Russie de Poutine sera plus présente en méditerranée que l'ex URSS cela est un fait et le restera longtemps. Pour les dirigeants occidentaux c'est un cinglant revers. A qui la faute ? Mais cela est préférable à l'état islamique de l'EI qui sans l'intervention Russe serait aujourd'hui installé dans les bureaux de Bachar à Damas.
Rocchesani Marcel
14 h 10, le 12 octobre 2016