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À La Une - L'Orient Littéraire

Sciences sans Dieu

« L'intention du Saint-Esprit est de nous enseigner comment on va au ciel et non comment va le ciel. » Galilée (1564-1642)

Photo D.R.

Dans un temps où, sur ce genre de sujets, on a plutôt des tentatives concordistes, il est rafraîchissant d'avoir un discours plutôt ferme. L'auteur, un historien canadien des sciences, aborde un certain nombre de cas pris dans un ordre plus ou moins chronologique. Le plus célèbre et le plus emblématique est évidemment l'affaire Galilée. La science est ici définie comme tentative de rendre raison des phénomènes observables par des concepts et des théories qui ne font appel à aucune cause surnaturelle. C'est le postulat qui fonde la méthode scientifique. Il est plus difficile de définir la religion. Yves Gingras ne s'intéresse pas aux croyances et spiritualité des personnes, qui appartiennent au domaine privé, et n'aborde la religion que comme institution sociale avec des porte-parole gardiens, défenseurs et promoteurs des dogmes. Il est clair que les religions panthéistes, qui identifient la divinité avec la nature, ont eu peu de conflits avec la science, contrairement aux religions monothéistes. Comme la science moderne est née dans un contexte chrétien, les premiers conflits ont eu lieu dans cette partie du monde, si l'on ne tient pas compte des discussions sur la relation entre raison et révélation dans la pensée médiévale islamique et chrétienne.

L'Église catholique a défini au XVIe siècle la subordination de la philosophie à la théologie. Si une proposition est fausse du point de vue théologique, elle ne peut pas être vraie du point de vue philosophique. Il en est de même du côté des protestants qui ont condamné les idées de Copernic faisant du soleil et non de la terre le centre de l'univers. Kepler aura le même sort plus tard. La solution trouvée à l'époque est de dire que l'héliocentrisme est une hypothèse mathématique utile pour faciliter les calculs astronomiques, mais ne correspond pas à une réalité physique, étant entendu que les sciences profanes ne peuvent atteindre la vérité des choses.

L'affrontement majeur vient avec Galilée (1564-1642) qui est convaincu qu'il s'agit bien de réalité physique et non d'hypothèse mathématique. Il conteste la prétention de la théologie à définir le monde physique : « L'intention du Saint-Esprit est de nous enseigner comment on va au ciel et non comment va le ciel. » Si le texte biblique est contraire à la science, alors il ne faut pas le lire de façon littérale, mais de façon allégorique.

Cela conduit à sa condamnation et à de durs traitements. Officiellement, les idées de Copernic et de Galilée resteront interdites, même si très progressivement, elles seront tolérées comme des « opinions » et enseignées comme telles dans les établissements d'enseignement catholique. Il faudra attendre Vatican II pour que l'on aborde officiellement la question de la réhabilitation de Galilée, ce qui ne sera fait que par Jean-Paul II en 1992 à l'occasion du 350e anniversaire de sa mort.
Néanmoins, les sciences continuent de progresser en cherchant le moins possible de conflits avec la religion. De ce fait, on s'en tient de plus en plus à une description/interprétation du monde sans y invoquer une intervention divine. La solution trouvée est le développement de la théologie naturelle qui invoque l'ordre et l'agencement de la nature pour démontrer l'existence de Dieu : l'horloge suppose l'existence de l'horloger. Mais on a de moins en moins besoin de l'horloger pour faire fonctionner le monde...

Les conflits suivants porteront sur la géologie qui établit une chronologie sans commune mesure avec ce que l'on peut tirer de la Bible et qui ignore l'existence du Déluge. Puis il y aura la révolution darwinienne et la lecture philologico-historique de la Bible avec Renan, qui se fera traiter par le pape de « blasphémateur européen ». En physique, l'Église s'en tient à Aristote et sa théorie de la substance. Elle permet d'admettre la transsubstantiation, transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ durant le sacrifice de la messe. L'atomisme fait disparaître la notion de substance d'où sa condamnation encore réitérée par Pie XII en 1950.

Cela n'interdit pas naturellement d'être croyant et scientifique à condition de faire la distinction des deux ordres. Jean-Paul II va même jusqu'à exiger que les théologiens s'informent des résultats des sciences de façon « à bien délimiter le sens propre de l'Écriture, en écartant des interprétations indues qui lui font dire ce qu'il n'est pas dans son intention de dire ».
Si du côté catholique l'affaire semble à peu près réglée, on voit du côté protestant le développement de courants littéralistes représentés par le créationnisme, quelquefois relayés dans le monde musulman. Des fondations richement dotés encouragent le « dialogue » entre science et religion, en accordant des aides financières conséquentes. On en revient à des formes de théologie naturelle avec la volonté de trouver une preuve de l'existence de Dieu ou de lui donner un rôle dans la création.

De même, la société contemporaine connaît toute sorte de dérives, soit intellectuelles comme le post-modernisme et le culturalisme, soit d'ordre religieux (refus de transfusion sanguine par exemple). Plus complexes sont les questions d'éthique, en particulier quand on est conduit à définir ce qu'est une personne.

Ce livre, tout à fait roboratif, est indispensable à lire devant les différentes dérives d'aujourd'hui. Il rappelle fondamentalement que la science ne permet pas d'imposer une lecture littéraliste des textes religieux à l'ensemble d'une société. Il n'y a pas de place pour Dieu dans les sciences et toute tentative de dialogue est volonté de l'y réintroduire. Cela dit, on peut être un grand scientifique et un grand croyant, si on fait la distinction des deux ordres.

Un regret, néanmoins, c'est qu'il n'aborde pas les tristes exemples des « religions séculières » du XXe siècle avec les dévastations de la « science aryenne » du nazisme et de la « science prolétarienne » du stalinisme.

 

BIBLIOGRAPHIE
L’Impossible dialogue, Sciences et religions de Yves Gingras, PUF, 2016, 432 p.
 
 
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Dans un temps où, sur ce genre de sujets, on a plutôt des tentatives concordistes, il est rafraîchissant d'avoir un discours plutôt ferme. L'auteur, un historien canadien des sciences, aborde un certain nombre de cas pris dans un ordre plus ou moins chronologique. Le plus célèbre et le plus emblématique est évidemment l'affaire Galilée. La science est ici définie comme tentative de...

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