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Culture - Rencontre

Michel Chidiac : Peindre est nécessaire pour un dialogue avec soi-même...

Dans les trentaines de toiles de Michel Chidiac à la galerie Rochane (Saïfi)*, toutes dimensions confondues, vibrantes de musicalité, flotte un parfum de ville retrouvée et de sensualité éthérée. La voix de la maturité d'un artiste qui donne enfin à voir, en toute élégance, son discret parcours de peintre...

Michel Chidiac, une originalité tissée de culture sans ostentation.

Ses nombreux chantiers d'architecte d'intérieur, exécutés avec minutie et finesse, témoignent d'un talent tissé de raffinement, d'une culture sans ostentation, d'une harmonie simple et aérée. Mais l'autre versant de sa personnalité, et cela depuis des lustres, et que beaucoup de personnes ignorent, ce sont ses dessins, ses ébauches, ses épures, ses épreuves sur papier, cahier ou carnet et sa peinture. Il y a également l'art des bijoux et de la gemmologie. Mais ça aussi c'est une autre histoire, une autre affaire...

Loin d'être seulement un dada cultivé avec amour ou un violon d'Ingres perfectionné, la passion des toiles et des croquis a une assise profonde : une impérieuse présence qui n'a rien à voir avec un frivole délassement ou un défoulement de dimanche. Plutôt un besoin de dire, de se confier, de s'exprimer, de communiquer, d'être en paix avec soi-même, de libérer songes, oppression, angoisse et fantasmes.
Sans le révéler totalement au grand jour, le cheminement est resté discret, malgré une expo à grand fracas (et succès) à Paris en 1976, dans le Ve arrondissement, le long des quais de la Seine, à la galerie Albertus Magnus. Et excusez du peu, avec les sculptures de Miguel Berrocal et les œuvres de Nicolas Radonov.

À l'époque, Michel Chidiac était dans la figuration vaporeuse d'un onirisme vénéneux et voluptueux où des villes, des « atlantides » mi-enfouies, mi-ressuscitées de volutes capiteuses, jaillissaient de nulle part, pour fusionner avec des créatures androïdes échappées aux fantasmes érotiques les plus furieux, les plus étranges, les plus (im)probables où se serait posé, délicatement, le regard d'un Hans Bellmer... Surtout par les hachures et le noirci au fusain de ces espaces rongés par des zébrures tournoyantes comme des toupies folles et possédées.

Avec cette expo actuelle de la maturité, Michel Chidiac, à la peinture aujourd'hui plus lisse et lissée que jamais, dévoile les stridulations et la stridence, mais aussi la douceur embrumée et repliée du monde, des cités criantes de bruits étouffés. Ainsi que les mégapoles modernes, bigarrées et biscornues. Dans un cubisme revisité.

Dans un heurt adouci par l'agencement des angles, des monolithes (évidence même du titre phare de l'expo !) de verre, de béton, d'acier et de métal, le nez dans les étoiles ou mordant le bitume des chaussées, se déploient à l'infini, dans un ahurissant télescopage, comme des rubans rigides ou soyeux. Fausses abstractions qui ramènent aux courbes, aux lignes, aux tracés rarement sinueux mais toujours dressés dans un défi d'équilibre et d'harmonies gymnastes et périlleuses. Surtout dans la part de crayons de couleurs où la virtuosité de la précision et la minutie du geste atteignent des sommets de patience et de labeur. Pour dégager du blanc de la page un simple coin d'ombre, un profil ou un rai de lumière.

Avec cette constante fidélité : ne jamais mélanger les techniques. Chaque œuvre en a l'exclusivité. Dans une altière et féconde solitude, l'huile ne se mêle jamais à l'acrylique, pas plus que l'encre aux crayons. Ici, pas de dévoiement : les pinceaux ne croisent pas les pointes de mine...
Acrylique, huile, crayons de couleurs (tout aussi bien que de feutre), aucun produit et accessoire de peinture n'est mélangé à l'autre, pour un univers tablant toujours sur la transparence, la netteté, la fusion, le miroitement. Un scintillement moderne où affleure une vision particulière, personnelle, mais qui, pour être boostée, revivifiée, réinterprétée, requiert aussi le regard de l'autre. Comme une lecture multiple et ouverte, comme une partition en quête du musicien essentiel qui donnerait vie et incarnation aux notes emprisonnées dans les clefs de sol ou de fa...

Et la musique, justement, est le monde parallèle de ces toiles vibrantes de sonorités luisantes. « Pour accompagner mes toiles, et peut-être en donner un reflet, mieux que Debussy ou la musique baroque que j'affectionne, ainsi que les CD de Kruder und Dorfmeister, il y a les mélodies des opus d'Erik Satie », confie l'artiste. Et de citer Les Gnossiennes comme un décor sonore (un accompagnement au mouvement à l'impulsion du pinceau) pour ces images faussement sereines, témoins à la fois silencieux et éloquents, impassibles mais parfois troublés, qui n'en disent pas moins, sur une vie moderne agitée, trépidante. Tout en pointant du doigt les rouages d'une industrie vorace et omniprésente où la mécanique est plus qu'envahissante et inquiétante. Avec l'incursion d'une sensualité jamais en défaut. Malgré les allures, un peu hautaines et distantes, d'une élégance et d'une paix dans les lignes, les contours, les incurvations et le mélange des couleurs, jamais pris en faute de goût.

 

« Faire sortir quelque chose de soi »
Peindre ? « C'est un langage pour faire sortir quelque chose de soi... dit le peintre. J'ai toujours, et depuis toujours, fait des dessins. C'est une nécessité, une fièvre. C'est un dialogue avec moi-même. Mais pour dresser un bilan, et cela m'intéresse, j'ai toujours besoin du regard de l'autre, des autres... »
Autant en décoration le règne est aux couleurs du beige clair et du sable, autant le soin est apporté à ne jamais heurter le regard et l'harmonie, autant sur la toile, tout en faisant péter parfois les tonalités et les timbres (un rouge grenat par-ci, un marron brûlé par-là, une touche outrancièrement vermillonnée), l'artiste se tourne vers une certaine fantaisie tout en usant des couleurs aquatiques. Comme un (r)appel à sa Bretagne aimée et au chant de la Méditerranée qui l'a toujours bercé.

Une voilette et un écran pour un subconscient où domine, avec un panache adroitement dosé, une cascade de couleurs enserrées dans la palette. Cascade qui va d'un camaïeu de vert (céladon) aux frémissements de gris, de bleu cobalt, glacier ou « atlandide ». Teintes poudrées et toniques pour dynamiser et régenter un ciel, un bâtiment, le cœur et le ventre d'un assemblage hétéroclite, l'allusion à un corps ainsi qu'à la perception de ses galbes, ondes à la fois magnétiques et séductrices...
Une brume imperceptible, une atmosphère zen, un soupçon de cruauté contemporaine, une aspérité tranchante, une indicible fraîcheur recouvrent ces toiles où certains espaces tamponnés, comme le reflet d'une guipure insaisissable et translucide, admirablement saisie dans la gangue du temps, sont autant d'invitations à un enchantement moderne. Dans ses paradoxes d'anxiété, d'ultraconfort et ses point(e)s de refuge et d'évasion.

*L'exposition « Monolithes » de Michel Chidiac à la galerie Rochane (Saifi Village, centre-ville) se prolonge jusqu'au 5 octobre.

Ses nombreux chantiers d'architecte d'intérieur, exécutés avec minutie et finesse, témoignent d'un talent tissé de raffinement, d'une culture sans ostentation, d'une harmonie simple et aérée. Mais l'autre versant de sa personnalité, et cela depuis des lustres, et que beaucoup de personnes ignorent, ce sont ses dessins, ses ébauches, ses épures, ses épreuves sur papier, cahier ou carnet...

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