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À La Une - témoignage

Sauver des vies au péril de la leur, la mission des Casques blancs en Syrie

Qui sont les Casques blancs? Comment fonctionnent-ils? Abdel Rahman al-Hassan, secouriste syrien, répond aux questions de L'Orient-Le Jour.

 

 

Des Casques blancs portant un corps retiré de décombres d'un bâtiment touché par un bombardement aérien dans le secteur rebelle d'al-Fardous, à Alep, en Syrie, le 23 juillet 2016. AFP/KARAM AL-MASRI

"Pouvez-vous imaginer un seul jour de notre vie ?". Telle est la question lancée par Raëd Saleh, chef de la défense civile de l'opposition en Syrie, à l'adresse du Conseil de sécurité de l’Onu, le 26 juin 2015. "Pour nous, le bruit des hélicoptères volant dans le ciel syrien signifie que la mort guette, avait-il raconté. Une fois le baril largué, nous nous rendons avec nos équipements rudimentaires sur les lieux du raid pour, dans la plupart des cas, ne retirer des décombres que des cadavres ou des parties déchiquetées du corps d’un voisin, d’un ami et parfois d’un parent."

Le 22 septembre dernier, ceux qu’on appelle aussi les Casques blancs ont reçu le prix Right Livelihood qui se veut un "Nobel alternatif" décerné chaque année par une fondation privée suédoise. "Leur courage exceptionnel, leur compassion et leur engagement humanitaire pour secourir les civils face aux destructions causées par la guerre civile syrienne" ont été salués par la fondation, qui couronne pour la première fois des Syriens.

Mais qui sont les Casques blancs ? Et comment cette organisation, officiellement baptisée "Défense civile syrienne", qui se veut apolitique et qui participe aux opération de secours dans des zones tenues par l'opposition, fonctionne-t-elle ? Abdel Rahman al-Hassan, secouriste syrien aujourd'hui basé en Turquie après avoir été chargé de la liaison entre les organisations internationales et les Casques blancs, répond aux questions de L’Orient-Le Jour.

 

Des pelles et des marteaux

"Le premier centre des Casques blancs a été fondé en mars 2013 par un groupe de jeunes Syriens qui intervenaient à chaque fois qu’il fallait secourir des civils et les sortir des gravats, raconte-t-il. Ces jeunes étaient mes amis et je les ai rejoints un peu plus tard. Ils avaient un équipement extrêmement basique : des pelles et des marteaux".

Petit à petit, les rangs des Casques blancs s'épaississent et plusieurs postes de secours ouvrent leurs portes. Aujourd’hui, l'organisation compte 3.000 volontaires, dont 75 femmes, répartis sur 120 centres dans 8 provinces : Alep, Idleb, Hama, Lattaquié, Homs, le rif de Damas, Damas et Deraa. Agriculteurs, ouvriers, médecins, dentistes... ils sont formés par des organisations internationales pour devenir des secouristes. "Il y a aussi des pompiers et d'anciens combattants pro-régime qui se sont joints à nous, raconte Abdel Rahman al-Hassan en citant l'exemple d’un pilote originaire de Lattaquié. "Comme un de nos volontaires à Idleb dit souvent : tuer est facile, sauver une âme est beaucoup plus difficile", dit le jeune homme de 30 ans en référence au revirement de certains.

Selon lui, les volontaires "reçoivent de temps en temps des donations de l’USAID, ou de pays comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Hollande, le Danemark, mais via des ONG".
Début septembre, les Casques blancs faisaient partie des 73 ONG à suspendre leur coopération avec l'Onu pour protester contre la "manipulation des efforts humanitaires" par le régime du président Bachar el-Assad.

 

(Lire aussi : Couvrir Alep, la peur au ventre et le ventre vide)

 

Persécutés par le régime
Bien qu'ils se veuillent neutres et affirment avoir pour objectif, selon Abdel Rahman al-Hassan, "de couvrir toute la Syrie", les Casques blancs n’opèrent pas dans des régions tenues par le pouvoir syrien. "Nous sommes persécutés par le régime, affirme-t-il. Nous avons pu réussir à travailler hors des zones sous son contrôle et cela ne lui plaît pas". 

"Il est très difficile de rester neutre durant une guerre, admet le secouriste, mais notre objectif au final est de sauver des vies. En 2014, à Alep, nous avons sorti des décombres deux Afghans et un Iranien qui combattaient dans les rangs du régime. Nous avons aussi enterré des combattants pro-Bachar el-Assad mais aussi des combattants de Daech (acronyme arabe du groupe État islamique)". Le jeune Syrien affirme toutefois que les Casques blancs "essaient d'être au service des civils et de rester loin des zones de combats".

Si les Casques blancs n’opèrent pas dans les zones tenues par le régime, ils ont un poste de secours dans une zone sous contrôle de l’EI à l’est d’Alep. "Le centre existait avant leur arrivée, nous n’avons donc pas eu besoin de conclure un accord avec eux, indique Abdel Rahman al-Hassan. Nous avons essayé d’ouvrir d’autres postes dans les zones sous contrôle des jihadistes, mais ce n’était pas facile car nous devions sceller des accords avec eux, et nous refusons cela".

 

(Lire aussi : « J'en veux à tous ceux qui laissent les Alépins face à une mort certaine »)

 

"Ne trouver qu'un bras"
Trois ans après leur naissance, les Casques blancs affirment avoir sauvé la vie de plus de 60.000 personnes. Dans les rangs des volontaires, 141 ont été tués et 45 gravement blessés. "Ils sont aujourd’hui amputés ou paralysés", indique le secouriste. A l'instar de Abdel Malek, un des fondateurs de l'organisation. Il a perdu une jambe en 2013 lors d’une opération de sauvetage. Aujourd’hui, il s’occupe des affaires administratives des Casques blancs, depuis la Turquie.

"Perdre l'un des nôtres est terrible", lâche le jeune homme. Il y a quelques semaines, quatre secouristes ont perdu la vie le même jour, deux à Idleb et deux autres à Alep, raconte-t-il. "A Idleb, nos collègues ont été tués dans un raid de l’aviation russe et à Alep alors qu’ils sortaient des personnes des décombres. Ils ont péri sous les barils d'explosifs probablement largués par le régime".

Avant de s'installer en Turquie, le jeune Syrien, qui a fait des études d’ingénierie mécanique, était lui-même secouriste à Alep. Jusqu'à ce jour, les visages des mères et pères venant d'apprendre la mort de leur enfant le hantent. "Je me souviens de cette femme qui cherchait désespérément son fils après une frappe à Alep, en 2014. Elle avait mis l’eau sur le feu alors qu'il était parti chercher des pommes de terre pour le dîner. Il n'est jamais revenu, raconte-t-il la gorge nouée. Je n'oublie pas non plus ce père de famille qui est rentré chez lui après une journée de travail et n’a trouvé personne…".

Il y a aussi des sensations et des images, gravées dans la mémoire du secouriste. "Rien n'est plus horrible que de marcher dans une mare de sang. Rien n'est plus terrible que de réaliser, après avoir vu une touffe de cheveux dans les gravas et avoir cru pouvoir sauver quelqu’un, que les cheveux ne sont pas attachés à une tête, mais seulement à un morceau de peau. Le pire, c'est de penser avoir repéré un corps dans les décombres et ne sortir qu'un bras", souffle encore Abdel Rahman al-Hassan. Et de poursuivre : "Sur le terrain, on ne sent rien, on n'a pas le temps de ressentir quoi que ce soit sous la menace des raids aériens. C'est en rentrant, en marchant dans la rue après, qu'on réalise ce qu'on vient de vivre".

 

"Ce monde est un mensonge"
Pour tenir, les Casques blancs s'accrochent au souvenir de ces opérations qui ont permis de sauver quelqu'un. Parmi ces histoires, celle de Omrane, ce petit Syrien sorti des décombres de son immeuble le 17 août à Alep, hébété, ensanglanté et couvert de poussière. Une photo qui avait fait le tour du monde.

Cette image ne vient pas de nous précise d'emblée Abdel Rahman al-Hassan, qui a des sentiments mitigés par rapport au buzz provoqué par les photos du petit Omrane. "Il est vrai qu'elles ont suscité de vives réactions à travers le monde. Mais ce n'était finalement qu'un instant de solidarité et de compassion qui s'est vite éteint".

Et le secouriste d'ajouter : "Nombreux sont les enfants qui ont vécu la même expérience que Omrane sous les yeux du monde entier. Nombreux sont les enfants qui vont encore souffrir. Mais ce monde est un mensonge. Les gens réagissent à une photo mais ne bougent pas le petit doigt pour mettre un terme à un conflit qui a fait plus de 300.000 morts en cinq ans".

Si pour Abdel Rahman al-Hassan, "le monde regarde la Syrie comme un long film, ou une série qui ne finit pas", il espère que les Casques blancs pourront au moins changer la donne. "Nous avons été très heureux d'apprendre par certaines sources que nous sommes sélectionnés pour le prix Nobel de la Paix, affirme-t-il. Cette nomination est très importante pour notre pays. Il faut que le monde sache qu'il y a en Syrie un groupe qui veut la paix".

 

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"Pouvez-vous imaginer un seul jour de notre vie ?". Telle est la question lancée par Raëd Saleh, chef de la défense civile de l'opposition en Syrie, à l'adresse du Conseil de sécurité de l’Onu, le 26 juin 2015. "Pour nous, le bruit des hélicoptères volant dans le ciel syrien signifie que la mort guette, avait-il raconté. Une fois le baril largué, nous nous rendons avec nos...

commentaires (1)

Ils méritent le noble de la paix et abderahmenteur-osdh un prix équivalent à celui qui a été donné au roi des bensaouds par hollandouille .

FRIK-A-FRAK

15 h 39, le 30 septembre 2016

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Commentaires (1)

  • Ils méritent le noble de la paix et abderahmenteur-osdh un prix équivalent à celui qui a été donné au roi des bensaouds par hollandouille .

    FRIK-A-FRAK

    15 h 39, le 30 septembre 2016

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