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Liban - Liban-Brésil

Dans la Békaa, ces villages qui parlent le portugais

Avec 90 % de « Brésilibanais », quatre localités, Ghazzé, Sultan Yaacoub, Loussi et Kamed el-Loz, ont comme langue principale non pas l'arabe ni le français, mais le portugais, parlé aussi par une minorité à Chtaura.

Le propriétaire de la « Pastelería do Tina », Ali Houssein Jarousheh, a vécu six ans à São Paolo, où il a travaillé dans le commerce de meubles. Photo Martin Roux

« Parlez-vous le portugais ? » demandent en souriant les habitants de Loussi quand des touristes s'arrêtent sur la route pour obtenir des renseignements. Situé à l'extrême sud de la Békaa, Loussi, également connu sous le nom de la « terre du lait et du miel », est un des quatre villages de la Békaa qui, avec 90 % de Libano-Brésiliens, ont comme langue principale non pas l'arabe ni le français, mais le portugais. De retour du Brésil, où vivent aujourd'hui un peu plus de huit millions de citoyens d'origine libanaise, les « Brésilibanais de la Békaa », comme on les appelle, sont généreux et accueillants, et forment la plus grande communauté de Brésiliens au Liban. Celle-ci ne se fait pourtant pas remarquer au premier abord.

 

Des « pastéis » brésiliens en sortant de la mosquée
Les murs blanchâtres des maisons de Loussi ne trahissent aucune influence exotique, tandis que ses ruelles sinueuses pourraient facilement traverser n'importe quel autre village de la région. On ne peut donc que se laisser guider par ses habitants jusqu'à la « Pastelería do Tina », un petit restaurant familial qui attire, chaque jour, les fidèles nostalgiques de la cuisine brésilienne : pao de queijo (choux au fromage), coxinhas (beignets de poulet) et pastéis (chaussons farcis et salés) sont au menu. C'est un vendredi après-midi et les tables sont toutes vides jusqu'à l'arrivée simultanée d'une dizaine de clients bien vêtus, de retour de la mosquée.
Parmi eux, le propriétaire, Ali Hussein Jarousheh, qui a vécu à São Paulo pendant six ans, jusqu'en 1997. « Je travaillais dans le commerce de meubles, mais après j'ai dû rentrer au Liban parce que les affaires allaient moins bien... » explique-t-il. « Une fois de retour, j'ai pris l'habitude de faire des desserts brésiliens, puis les villageois m'ont encouragé à ouvrir ce restaurant, ce que j'ai fait il y a cinq ans », ajoute-t-il. Assise près de lui, sur un fauteuil à rayures foncées, sa fille l'écoute en posant sur lui un regard tendre. Âgée de 26 ans, elle vit au Brésil depuis sa naissance et y est toujours malgré le retour de son père. Elle est mariée à un Libano-Brésilien.
Aujourd'hui, elle a deux petites filles et ne parle avec elles que le portugais. « Jusqu'à maintenant, on ne venait au Liban que pendant les vacances d'été, mais on compte rejoindre le reste de ma famille l'année prochaine », dit-elle. « Je vais devoir moi-même m'assurer que les filles n'oublieront pas le portugais étant donné qu'aucune école à proximité n'enseigne cette langue », ajoute-t-elle, sans cacher son anxiété.

À la table d'à côté, Mohammad Abou Jokh et son neveu, Tulio, sont déjà en train de savourer les fameux pastéis au poulet et au fromage qu'ils trouvent « aussi réussis que ceux des foires brésiliennes ».
« Nous venons ici parce que nous nous sentons comme au Brésil », dit Mohammad Abou Jokh qui a grandi à São Paulo. De son côté, Tulio n'a jamais vécu dans son pays d'origine et ne parle l'arabe que moyennement, du fait d'une scolarité lusophone et des amis uniquement brésiliens. « Brazilian friends, Brazilian life », dit-il avec son sourire caché sous sa longue moustache pointue.
Âgé de 28 ans, Tulio appartient d'ailleurs à la troisième génération de Brésiliens d'origine libanaise, puisque c'est son grand-père qui s'y est d'abord aventuré, après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Considéré à l'époque comme « l'Eldorado » des propriétaires terriens, le Brésil attirait surtout des hommes issus de familles d'agriculteurs qui devenaient ensuite colporteurs, passant de village en village pour proposer tissus et colifichets.
Embarquant à Tripoli ou Beyrouth, la plupart ignoraient leur destination finale. « Mon père n'a pas choisi le Brésil, il est juste monté sur un bateau et puis c'est tout », raconte Mohammad Abou Jokh. « Les deux premiers mois, il ne mangeait que des bananes. Il ne parlait pas la langue et ne connaissait personne... Il est parti avec 30 dollars en poche, n'en a dépensé que deux et a rendu le reste à son père », continue-t-il, buvant du jus de guarana, adoré au Brésil. À côté de lui, son fils le regarde avec impatience. Il est temps de rentrer à la maison.

 

(Lire aussi : La saga familiale des Gannam au Brésil : l'amour du Liban à travers les générations)

 

De retour au Liban pour trouver un mari
Située plus au Nord, dans le village de Ghazzé, la résidence de Mohammad Abou Jokh fait partie du quartier résidentiel « Margarita », constitué de villas alignées sur la rue ou légèrement en retrait. Devant la porte d'entrée, une grande cour extérieure, composée d'une pelouse et de buissons bien taillés, introduit une terrasse en marbre blanc, où la famille Abou Jokh s'installe pour boire son café. La mère de Tulio ne tarde pas à les rejoindre. Ses yeux en amande et son teint d'épice trahissent ses racines brésiliennes. « Je souris trop », se reproche-t-elle. « Ma fille a honte de son arabe, mais si elle n'essaie pas de s'exprimer dans cette langue, elle ne l'apprendra jamais », ajoute-t-elle avec un certain regret. Mohammad Abou Jokh est, lui, convaincu que celle-ci « est venue au Liban pour se trouver un bon mari libanais ».

Pour Madi Jarousheh, habitant du village élevé de Sultan Yaacoub et âgé de 24 ans, c'est entre autres pour cette raison que sa famille a voulu rentrer au Liban il y a 15 ans. « Il faut comprendre qu'ici les valeurs morales sont différentes. Au Brésil, les femmes sont beaucoup moins réservées vis-à-vis des hommes et mon père ne voulait pas que mes quatre sœurs soient influencées par elles. Mon village est plus strict. On ne peut pas avoir de relations amoureuses sans être mariés », souligne Madi Jarouche, qui s'est marié l'été dernier avec une fille de sa communauté. « Qu'en penses-tu toi, tío ? Reviendrais-tu vivre ici ? » demande-t-il à son oncle, qui vit toujours à São Paulo. Ce dernier ne semble pas tout à fait prêt à quitter son pays d'adoption. « La plupart des gens qui vont au Brésil finissent par gagner de l'argent qu'ils envoient ensuite à leur famille au Liban », précise-t-il. D'après lui, environ 15 000 Libanais de Sultan Yaacoub vivent actuellement au Brésil. « Si tous retournaient vivre ici, on aurait besoin d'un village dix fois plus grand que celui-ci », lance-t-il en s'appuyant sur l'épaule de son neveu.

Il est bientôt 17h et les deux hommes décident de faire un dernier tour à Kamed el-Loz, un village de 6 000 habitants à seulement quatre kilomètres de là. Des deux côtés de la route défilent des champs de blé et de vignes. Un paysage entrecoupé de tentes occupées par des réfugiés syriens. Le village de Kamed el-Loz est plus construit que ses trois voisins. Alignées le long de la rue principale, les imposantes structures en béton de maisons inachevées côtoient des bâtiments en meilleur état. Flanqué en bord de route, un grand panneau jaune et bleu : « Avenida Brazilia ». Avant de continuer son chemin, Madi Jarousheh s'exclame « Bienvenue au Brésil ! »

 

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