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Diaspora - Diaspora

La saga familiale des Gannam au Brésil : l’amour du Liban à travers les générations

Cette famille, dont le père a émigré en 1913 vers des cieux plus cléments, est un parfait mélange d'intégration et d'attachement aux racines.

José et Uadiha avec Nacle, au Liban, en 1910.

Il est très difficile de quitter son pays d'origine, surtout quand on laisse derrière soi une famille. En 1913, José (Youssef) Assad Gannam (1878-1945) a fui les difficultés socio-économiques du Liban sous l'Empire ottoman, et a quitté son village de Ras Baalbeck, dans la Békaa. Il laissait derrière lui sa femme Uadhia Mourad Gannam (1888–1974), originaire de Fakiha, également dans la Békaa, enceinte (de Julieta, née le 31 janvier 1914) et deux fils : Nacle (1908) et Felippe (1911). La destination de José était le Brésil. Les difficultés du voyage de Ras Baalbeck jusqu'à Rio de Janeiro étaient immenses, mais il est arrivé au Brésil et s'est installé dans la ville de Formiga, État de Minas Gerais-MG. Il a commencé par y travailler comme colporteur pour ensuite ouvrir un magasin de marchandises de toutes sortes.
Quand il s'est bien installé, José Gannam a essayé de faire en sorte que sa famille, restée au Liban, le rejoigne. Malheureusement, la Première Guerre mondiale (1914-1918) avait commencé et les communications étaient devenues difficiles. Le Liban a connu à cette époque un blocus et, plus encore, le Mont-Liban a souffert d'une grande famine, suivie d'épidémies qui avaient provoqué des milliers de morts. La femme et les enfants de José vivaient dans la Békaa et ont souffert des conséquences de cette dure période. José, de son côté, ne pouvait rien faire à cause du blocus.

Nouvelle vie au Brésil
La Première Guerre mondiale a pris fin en 1918 et José a repris contact avec son épouse : il a enfin pu entamer les formalités pour ramener sa famille au Brésil. En 1922, après neuf ans de séparation, Uadhia, Nacle, Felippe et Julieta sont arrivés au port de Rio de Janeiro, le jour même où la ville célébrait le centenaire de l'indépendance du Brésil (1822-1922), ce qui a rempli de joie la famille après les années de tristesse vécues au Liban.

Pour cette famille, une nouvelle page s'ouvrait au Brésil. José et Uadhia ont eu encore une fille, Suraia, née en 1923. Nacle, le fils aîné, a commencé le travail avec son père dès son arrivée. En 1939, il a ouvert son propre magasin de commerce dans la ville de São Lourenço – MG et le « Café Brasil ». En 1944, il a vécu le drame de la perte de son frère Felipe, suivie du décès de son père José en 1945. C'est à Uadhia qu'il incombait de garder la famille unie jusqu'à son décès, en 1974.

Pour sa part, Nacle a développé le commerce ouvert par son père et a travaillé dans les affaires immobilières. En 1949, il a épousé Julieta Farah, née à Rio de Janeiro en 1918, originaire de la ville syrienne de Qara. Le couple a eu neuf enfants qui ont tous fait de hautes études : Maria Lucia Ganna Lage (pédagogue), Vera Ganna de Castro (journaliste), José Nacle Gannam (avocat), Filipe Nacle Gannam (médecin), Maria Aparecida Gannam de Carvalho (dentiste), Maria de Fatima Gannam Rodrigues da Cunha (médecin), Dimas Nacle Gannam (décédé au troisième jour de sa naissance), Antonio Nacle Gannam (dentiste et professeur) et Vicente Nacle Gannam (architecte).

Une visite mouvementée au Liban
En 1975, 53 ans après son départ du Liban, Nacle a été encouragé par son fils Filipe, qui avait alors 28 ans et était récemment formé en médecine, à retourner à son pays d'origine pour une visite, dans le cadre d'un programme d'encouragement lancé en 1973 par le gouvernement libanais. Les conditions étaient avantageuses : vol charter, moitié prix de la compagnie brésilienne Varig, Rio de Janeiro-Beyrouth-Rio de Janeiro. Toutefois, la guerre civile éclate cette même année, le 13 avril.
Nacle et Felipe n'ont pas changé leurs plans pour autant, ayant été informés que Ras Baalbeck était toujours calme. Ils prennent donc l'avion le 15 août 1975. Felipe se souvient de l'accueil qui a été réservé aux voyageurs à l'aéroport de Beyrouth par de belles filles libanaises avec des fleurs chantant « Ahlan wa sahlan ».

Beyrouth ayant déjà été touchée par la guerre, Nacle et Filipe se sont immédiatement dirigés vers Ras Baalbeck et Fakiha, dans la Békaa, pour rencontrer leur famille. Ils ont ensuite pu visiter Baalbeck, les Cèdres, Bécharré, Tripoli, Byblos, Harissa... À Beyrouth, ils ont même séjourné dans un bel hôtel, malgré la situation tendue. Le père et son fils ont vécu de très beaux jours au Liban, ce qui n'a pas empêché Nacle de constater que la situation s'aggravait : il a avancé la date de départ pour le Brésil du 11 au 9 septembre. C'était une sage décision : l'hôtel Triumph, où ils avaient séjourné, a été la cible d'un attentat à la bombe le 10 septembre. Nacle a ainsi eu la chance de revoir son pays et de le faire visiter à son fils Filipe malgré la guerre.

Un pont entre le Liban et les descendants
Après avoir perdu sa femme en janvier 1996, Nacle est décédé en juillet de la même année, dans la ville de São Lourenço, où aujourd'hui l'une des ses rues porte son nom, « Rua Nacle Gannam », en hommage à cet homme dynamique qui a contribué à développer la ville et la région avec sa nombreuse famille.
Filipe, dermatologue de formation et qui a toujours tendrement aimé le Liban, est bien connu dans sa région natale de São Lourenço. Il est membre de plusieurs associations de médecine et titulaire de plusieurs titres. Il s'est marié avec Éliane Amelia Toledo, brésilienne d'origine portugaise-espagnole. Le couple a eu deux enfants : Alberto et Filipe, qui sont tous les deux devenus médecins.

Outre son métier, Filipe a écrit durant cinquante ans des chroniques au journal de São Lourenço. Il a toujours cultivé son hobby, la généalogie, qui lui a permis d'étudier ses origines. Il a fait plusieurs voyages en Amérique latine, au Liban et en Europe pour visiter des membres de sa famille qui avaient émigré, comme l'avait fait son grand-père.

S'inspirant de ses expériences, Filipe Gannam a publié plusieurs livres et articles sur le thème de l'émigration, notamment Vivi, vivo e viverei (J'ai vécu, je vis et je vivrai – éditions Alba, Varginha-MG, 1998), qui comporte l'arbre généalogique et des photos de la famille Gannam. C'est un amoureux du Liban, patrie de ses origines. Il en parle souvent et le cite dans ses écrits, multipliant les visites avec sa famille. Bien qu'il n'ait jamais récupéré la nationalité libanaise, son cœur bat pour le Liban, ce qui fait de lui un pont entre son pays d'origine et les autres descendants de sa famille.

Cette saga familiale prouve une fois de plus que le grand livre de l'émigration des Libanais remplit toujours ses pages de joie, de tristesse et de recherche de jours meilleurs. « Sans émigration, nous ne pourrions pas vivre, mais si l'émigration devenait trop importante, nous pourrions en mourir », disait Michel Chiha, homme politique et écrivain, avant de poursuivre : « L'idéal est de laisser le Libanais voyager à sa guise, mais en lui faisant un pays adapté à sa nature, un pays qui l'invite à ne point partir et sûrement à revenir. »
Filipe lui aussi se réfère à Michel Chiha quand il dit : « Le Liban est un petit pays, assurément ; très petit pays ; petite nation peut être, mais non point petit peuple. »

Cette page est réalisée en collaboration avec l'Association RJLiban.
E-mail : monde@rjliban.com – www.rjliban.com

 

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