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Liban - Société

Georges Haddad, coiffeur, de Souk el-Tawilé à Gemmayzé, se souvient du vieux Beyrouth

Petit à petit, Beyrouth perd son cachet de ville méditerranéenne. Des bâtiments, des métiers et aussi une certaine douceur de vivre disparaissent.

Georges Haddad a travaillé toute sa vie. Il aurait aimé bénéficier d’une assurance-vieillesse.

Gemmayzé, rue de la Sainte Famille. L'école qui était bâtie sur 6 500 mètres carrés n'existe plus. Elle a été déménagée depuis trente-cinq ans à Fanar, dans le Metn. À son emplacement, plusieurs tours ont été construites. Et, en face de ces tours, se trouve un coiffeur, qui est là depuis 1965, au même emplacement, dans le même petit « salon » de coiffure, comme pour maintenir, contre vents et marées, le souvenir – voire la nostalgie – de l'âge d'or du Liban, de l'époque radieuse du vieux Beyrouth.

Georges Haddad a 83 ans. Il a appris le métier jeune. Il avait 11 ans. « J'ai commencé à travailler dans un salon au centre-ville de Beyrouth. À la fin de Souk el-Tawilé, à côté du restaurant al-Ajami », raconte-t-il.
Il comptait parmi ses clients, dans ce salon, Georges Naccache, fondateur de L'Orient, Kesrouan Labaki, directeur de la rédaction de L'Orient, et Gebran Tuéni (le père de Ghassan Tuéni), fondateur d'an-Nahar. « Camille Chamoun venait aussi au salon. Mais c'est le propriétaire des lieux qui lui coupait les cheveux », précise-t-il.

Georges Haddad a épinglé sur un calendrier de 2016 le portrait en blanc et noir de l'ancien président de la République, Camille Chamoun. Une photo qui date du début de la guerre, montrant un Camille Chamoun aux cheveux blancs et portant de grandes lunettes noires. Le coiffeur ne se sépare pas de cette photo.
« Pourquoi j'aime Camille Chamoun ? » Il répète la question, comme si pour lui le seul fait de la poser constituait un blasphème. « Parce que c'est Camille Nemr Chamoun », dit-il, mettant l'accent sur Nemr, dont la traduction française est « tigre ». « C'est un tigre, c'est le seul président qui a tenu tête à tout le monde, qui a défendu vraiment les chrétiens, souligne-t-il. Écoutez bien, moi-même je suis kataëb, pas PNL, mais je sais que Camille Nemr Chamoun était un homme d'exception. Au début de la guerre, j'ai porté les armes dans les vieux souks de Beyrouth. Nous n'avons pas voulu faire du mal. Nous nous défendions. S'il n'y avait pas les Kataëb et Camille Nemr Chamoun, aucun chrétien ne serait encore au Liban aujourd'hui », souligne-t-il sur un ton résolu.

 

 

 

Une livre pour la coupe de cheveux
Georges Haddad est originaire de Mousseitbé. « Ma maison était collée à l'église Saint-Élie des orthodoxes, indique-t-il. Puis nous avons déménagé. C'était avant la guerre. Nous avions des terrains à Rmeil. Aujourd'hui, j'habite à deux pas du salon. Au centre-ville, j'ai côtoyé des journalistes. Ma femme était journaliste, elle travaillait à al-Jarida (publication disparue). Elle possédait avec sa famille un titre de presse, Nisrine, qu'ils ont vendu plus tard », dit-il.

Durant les années soixante, une coupe de cheveux coûtait une livre libanaise. « Mais la livre avait son poids, relève Georges Haddad. Une livre, ce n'était pas rien. Aujourd'hui, même 100 000 livres ne comptent pas vraiment... Il y avait un train qui reliait Dora au Bourj (la place des Martyrs). On payait cinq piastres pour avoir accès aux chaises en bois et dix pour des chaises aux coussins rembourrés », se souvient-il encore, comme pour prouver que la livre libanaise était une monnaie bien forte avant la dévaluation.
Georges Haddad fait payer aujourd'hui une coupe 15 000 livres ou 20 000 livres, si celui qui vient se faire couper les cheveux n'est pas un habitué.

Le coiffeur utilise un rasoir moderne et une pince à épiler, si certains veulent enlever des poils disgracieux au visage. Il est bien révolu le temps où il utilisait les rasoirs traditionnels, dont il fallait affûter souvent les lames, ou encore un fil pour se débarrasser des poils.
« Je n'ai plus vraiment de dents. Comment-voulez-vous que je coupe le fil ? » demande Georges Haddad, qui a envie de s'arrêter de travailler. « J'ai 83 ans. J'ai payé ma Sécurité sociale et celle de mes employés, quand j'en avais. Je n'ai rien eu en contre-partie. J'aurai voulu avoir une sorte d'assurance-vieillesse. Dans ce pays, les dirigeants sont des voleurs, tous des voleurs », dit-il, calmement, sans se mettre en colère, comme s'il racontait une quelconque histoire.

Georges Haddad – qui a trois enfants, dont une fille médecin – passe son temps dans son salon. Parfois, quand il fait très chaud, il s'installe sur une chaise en plastique sur le trottoir, seul ou avec des amis qui viennent lui rendre visite. Ils parlent de tout et de rien, se souviennent parfois du bon vieux temps, celui de l'ancien Beyrouth.

 

* Remarque : Le nom du coiffeur est Georges Haddad et non Georges Khoury. L'erreur a été corrigée sur notre site le 21 septembre.

 

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Gemmayzé, rue de la Sainte Famille. L'école qui était bâtie sur 6 500 mètres carrés n'existe plus. Elle a été déménagée depuis trente-cinq ans à Fanar, dans le Metn. À son emplacement, plusieurs tours ont été construites. Et, en face de ces tours, se trouve un coiffeur, qui est là depuis 1965, au même emplacement, dans le même petit « salon » de coiffure, comme pour...

commentaires (1)

J'ai 4 ans de plus que Georges Khoury. Le salon de coiffure à la fin de Souk Tawilé à côté de Ajami, serait celui tenu par le coiffeur Georges Halabi, ce dernier l'avait hérité de son oncle Elias Hesni ? C'est là où je coupais mes cheveux entre 1952 et 1970. Georges Halabi était originaire de Sarba-Jounieh.

Un Libanais

11 h 39, le 21 septembre 2016

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Commentaires (1)

  • J'ai 4 ans de plus que Georges Khoury. Le salon de coiffure à la fin de Souk Tawilé à côté de Ajami, serait celui tenu par le coiffeur Georges Halabi, ce dernier l'avait hérité de son oncle Elias Hesni ? C'est là où je coupais mes cheveux entre 1952 et 1970. Georges Halabi était originaire de Sarba-Jounieh.

    Un Libanais

    11 h 39, le 21 septembre 2016

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