Rechercher
Rechercher

Économie - Liban - Ressources humaines

L’emploi des handicapés, un atout largement inexploité par les entreprises au Liban

La quasi-totalité des entreprises ne respectent pas les quotas légaux, alors même que le recrutement d'employés handicapés peut apporter de nombreux avantages.

Une personne travaillant dans un atelier de l’association Arcenciel. Photo DR

Au Liban, le code du travail semble parfois si peu connu que le ministre du Travail, Sejaan Azzi, multiplie les rappels de la loi sur des sujets divers. Après les règles encadrant l'emploi des étrangers, en novembre dernier, puis celles sur les licenciements abusifs, en avril, le ministre a abordé le travail des handicapés. L'agence nationale d'information a ainsi rapporté hier que M. Azzi avait écrit au directeur de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS), Mohammad Karaki, pour lui demander de « prendre toutes les mesures administratives et professionnelles nécessaires afin d'assurer le droit préférentiel à l'emploi de personnes handicapées et de personnes aux besoins particuliers au sein de la CNSS (...) conformément à la loi 220/2000 ».

Reste que l'enjeu est loin de concerner la seule CNSS. Selon une étude de l'Organisation internationale du travail (OIT) publiée en 2013, le taux de chômage des personnes handicapées atteignait 81,2 % en 2000. Certes, outre son ancienneté, ce chiffre est d'autant plus à prendre avec des pincettes qu'il date de l'année de l'adoption de la loi n° 220, qui a introduit des quotas d'embauche de personnes handicapées. Cependant, indépendamment des statistiques, l'insertion des personnes handicapées sur le marché du travail semble toujours aussi problématique.

« Les préjugés à l'égard de ces personnes restent très prégnants dans la société et de nombreux employeurs considèrent qu'elles sont incapables de travailler ou d'être efficaces au travail », déplore Doha Yahfoufi, conseillère en handicap au sein de la Lebanese Physical Handicapped Union (LPHU).
Des préjugés que même la loi n'a pu endiguer. Celle-ci dispose que toute entreprise de 30 à 60 employés devrait embaucher au moins une personne handicapée, tandis que celles de plus de 60 employés ou du secteur public doivent leur réserver 3 % de leurs postes à pourvoir. Ces quotas sont en outre assortis d'un système de sanctions : « Les employeurs qui ne respectent pas cette loi doivent payer au ministère du Travail, dans l'année, un montant équivalent au double du salaire minimum (450 dollars, NDLR) pour chaque personne handicapée non employée », note l'article 74 de la loi 220. Las, « le ministère du Travail n'a pas les mécanismes de contrôle nécessaires pour s'assurer de son application. Il a néanmoins adressé plusieurs courriers et avertissements aux entreprises en sollicitant leur humanisme », indique Abdallah Razzouk, ancien président du Comité pour le travail des handicapés au sein du ministère du Travail. En outre, selon plusieurs acteurs interrogés par L'Orient-Le Jour, ces pénalités ne sont pas mises en œuvre du fait d'un conflit de juridiction entre les ministères du Travail et des Finances sur leur collecte...

 

(Pour mémoire : Lenin Garces, envoyé spécial pour le handicap et l’accessibilité, en visite au Liban)

 

« Facteur de richesse »
La non-application de la législation est d'autant plus regrettable qu'elle ne se contente pas de sanctionner les mauvais élèves, mais prévoit également des incitations fiscales pour les bons : pour chaque personne handicapée employée en sus des quotas légaux, les sociétés concernées bénéficient d'une déduction de l'impôt sur les bénéfices équivalente au salaire minimum.

Pour l'entreprise, intégrer des travailleurs handicapés dans ses effectifs peut en outre s'avérer être un véritable atout en terme de gestion des ressources humaines. « Ces personnes sont opérationnelles et tout autant productives que des personnes valides, voire plus. Si elles sont bien accompagnées, c'est un facteur de richesse pour l'entreprise », affirme Lina Chaccour, responsable en ressources humaines à l'association Arcenciel, qui emploie 138 personnes handicapées sur 550 volontaires.

« Avoir une politique d'intégration envers les handicapés fait également partie d'une démarche de responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) », souligne Omar Sakr, directeur des ressources humaines et de la RSE de la chaîne de restaurants Schtroumpf. Or adopter une politique de RSE est de plus en plus considéré comme étant un facteur de bonne réputation et d'image, ce qui peut se traduire à terme par plus de profits pour les sociétés. « Mais au Liban, la RSE reste cantonnée au domaine du marketing et des relations publiques, et n'est pas réellement intégrée au modèle économique de l'entreprise », déplore Nahed Khaïrallah, directeur général de l'agence de recrutement Dynamic Recruit. « Si le but est la bonne réputation et l'image, alors ce n'est pas du vrai RSE », ajoute Omar Sakr.

Cependant, même lorsqu'elles ont pris conscience des avantages à employer des handicapés, les entreprises restent confrontées à de nombreux obstacles.
Premier obstacle, un problème de formation en amont : « Nous cherchions à employer davantage de personnes handicapées, mais soit nous n'avions pas de candidats, soit ils n'étaient pas assez qualifiés. Sinon, nous nous tournons vers des associations, comme Arcenciel qui possède un centre pour l'emploi des personnes en difficulté », indique Omar Sakr, dont l'entreprise compte un salarié handicapé sur un total de 250 employés, soit bien moins que les quotas légaux. « Les personnes handicapées n'ont pas les mêmes opportunités d'éducation que les personnes valides, les universités n'étant pas accessibles, que ce soit au niveau des infrastructures, ou avec des cursus adaptés. De fait, la plupart des personnes handicapées occupent des emplois peu qualifiés », explique Doha Yahfoufi. « Quelque 50 % des personnes handicapées sans emploi n'ont pas terminé leurs études complémentaires, tandis que 8 % n'ont jamais été à l'école », ajoute un volontaire d'Arcenciel sous couvert d'anonymat.

 

(Lire aussi : Victimes de mines, ils se forgent quand même une vie)

 

Carte de handicap
Deuxièmement, la volonté des entreprises à embaucher des personnes handicapées peut potentiellement se voir freinée par les investissements que cela suppose. « Lorsque vous employez des personnes handicapées, il faut mettre en place un système adéquat pour leur rendre l'entreprise accessible, que ce soit avec l'aménagement de l'espace, avec des horaires allégés ou l'investissement dans des systèmes utilisables par des malvoyants par exemple... Cela peut décourager les entreprises », explique Lina Chaccour. « Nous avons investi dans des équipements nécessaires et les frais n'étaient pas conséquents, alors que ces équipements ont dopé sa motivation au travail », se félicite Omar Sakr. Les deux interlocuteurs n'ont cependant pas pu estimer le montant de ces investissements.
Dernier obstacle et non des moindres : le ciblage par les entreprises d'un candidat étant en situation de handicap. « Généralement, les personnes handicapées ne le signalent pas sur leur CV, de peur de se voir fermer des portes », explique Nahed Khaïrallah.

Tout repose sur la carte de handicap, octroyée par le ministère des Affaires sociales, depuis 1995, aux handicapés afin qu'ils bénéficient de certaines aides sociales. Or au Liban, la définition de ses bénéficiaires semble plus restrictive qu'ailleurs. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les personnes handicapées représenteraient environ 15 % de la population mondiale contre 3 % au Liban, selon le ministère des Affaires sociales. Un écart étonnant dans un pays où 15 ans de guerre civile ont laissé de nombreux mutilés. « Cette carte est octroyée selon des critères liés à la déficience organique des personnes comme défini par la loi 220, c'est-à-dire que celle-ci leur empêche d'accomplir les tâches de la vie quotidienne normalement. Par exemple, une personne ayant un œil éteint mais une bonne vision de l'autre œil ne bénéficiera pas de cette carte », explique un volontaire du programme mobilité d'Arcenciel. Du coup, selon l'étude précitée de l'OIT, seules 20 % des personnes handicapées au Liban possèdent une carte d'identification.

 

 

Lire aussi

Liban : « L'équipe des Survivants », invincibles dans la vie comme sur le terrain

Pour de jeunes malentendants, le handicap ne doit pas être un obstacle au travail

Au Liban, le code du travail semble parfois si peu connu que le ministre du Travail, Sejaan Azzi, multiplie les rappels de la loi sur des sujets divers. Après les règles encadrant l'emploi des étrangers, en novembre dernier, puis celles sur les licenciements abusifs, en avril, le ministre a abordé le travail des handicapés. L'agence nationale d'information a ainsi rapporté hier que M. Azzi...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut