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Liban - Survivants de la guerre

Victimes de mines, ils se forgent quand même une vie

Une coopérative du village de Azour permet à des survivants de la guerre d'accéder à une autonomie économique.

Victime d’une munition non explosée à l’âge de 33 ans, Charbel Khawand est un des premiers membres de la coopérative B. Balady.

Créée en 2002, une coopérative du Liban-Sud mène sa propre lutte pour la réhabilitation socioprofessionnelle des victimes de guerre et de munitions non explosées. Une lutte solitaire et souvent instrumentalisée tant par les pouvoirs publics que par les organisations internationales.

De loin, la vie de Charbel Khawand n'a rien d'exceptionnel. La plupart de son temps, quand il ne le passe pas dans son magasin de meubles à Saïdoun, un village montagneux du caza de Jezzine, il le consacre à son poulailler. Deux à trois heures de travail chaque matin suffisent pour une récolte de 300 à 450 œufs par jour, et un revenu supplémentaire de 300 dollars par mois. Un exploit non négligeable si on considère que Charbel a survécu à l'explosion d'une mine en 1988 qui l'avait gravement blessé au bas du dos et au visage. « J'étais au volant et j'allais en direction de mon terrain quand l'explosion a eu lieu. La mine était probablement enterrée sous la route », raconte-t-il.

Une coopérative pas comme les autres
Âgé de 61 ans et père de trois fils, Charbel Khawand n'est pas seul aujourd'hui dans ses efforts. Depuis presque 15 ans, il est membre de B. Baladi, une coopérative du village voisin de Azour, qui se charge de l'emballage et de la vente des œufs qu'il produit.

Établie en 2002 à l'initiative de l'ONG World Rehabilitation Fund (WRF), avec le soutien du Leahy War Victims Fund et de l'USAid, la coopérative est principalement composée de victimes de guerre, de mines et de munitions non explosées, et vise à leur autonomisation économique. Ses 200 membres participent à trois domaines d'activités : la production de volailles et d'œufs, l'apiculture et la fabrication du miel, ainsi que les herbes médicinales. « Nous entretenons un système de production décentralisé. Par exemple, si un membre choisit de travailler dans la production d'œufs, nous lui fournissons les poules et les aliments pour qu'il les élève dans son propre terrain, puis nous récupérons les œufs pour les emballer et les transformer en produits finis », explique Jean-Claude Karam, directeur général de la coopérative. Quant aux apiculteurs, chacun reçoit des ruches pour récolter le miel, avant que celui-ci ne soit extrait et tamisé, pendant trois à six jours, dans des maturateurs métalliques.

Outre l'équipement fourni, des formations de trois jours sont offertes à tous les membres, à condition qu'ils remplissent les critères des bourses disponibles. D'après Toufic Rizkallah, directeur adjoint du WRF, 335 bourses ont, en tout, été attribuées, jusqu'en 2012. « En incitant ces personnes à travailler depuis leurs villages, à acheter localement leurs matières premières et à vendre leurs produits organiques sur les marchés locaux, non seulement on les a aidés à reconstruire leurs vies, mais on a aussi réussi à créer un cycle économique », indique-t-il à L'Orient-Le Jour. Depuis la création de la coopérative, plusieurs de ses membres se sont détachés pour créer leurs propres entreprises.

Or la gestion est en réalité beaucoup plus exigeante qu'elle peut le paraître. Issus de milieux divers et distincts, les membres de la coopérative n'ont, au départ, aucune compétence managériale. « Certains d'entre eux étaient des soldats, d'autres des fermiers ou des professeurs. Ils n'ont aucune idée de la mise en place d'un système comptable commun, voire d'un système tout court, et doivent être formés à partir de zéro », déplore Toufic Rizkallah. Défi considérable, d'autant plus que depuis 2013, B. Baladi ne bénéficie plus d'aucun soutien financier, à l'exception des bourses occasionnelles d'organisations internationales ou des maigres subventions du gouvernement. Bien que la coopérative soit exonérée de TVA, la concurrence enflammée par les produits illégalement importés sur le marché libanais l'a contrainte à baisser sa production d'œufs d'environ 40 % et à limiter les points de ventes pour certains de ses produits.

L'aide aux victimes « n'est plus sexy »
La baisse des financements coïncide d'ailleurs avec une réduction générale des dons destinés à l'action antimine au Liban ces dernières années. « Suite au retrait des Israéliens en 2000, le Liban avait reçu un grand nombre de donations internationales destinées tant au déminage des terrains contaminés qu'à la réhabilitation des victimes », précise Habbouba Aoun, coordinatrice du Centre de ressources sur les mines à l'Université de Balamand. « Après le largage d'au moins quatre millions de munitions à fragmentation sur le Liban par Israël en juillet 2006, malgré la mobilisation de ressources supplémentaires, l'aide financière a commencé à diminuer à cause de l'apparition de plusieurs crises parallèles », ajoute-t-elle. Cela dit, dans un pays où la majorité des fonds alloués à la lutte antimine proviennent de l'étranger, cette diminution a affecté beaucoup moins les activités de déminage que les programmes d'assistance aux victimes.

En effet, les services de réhabilitation des ministères de la Santé ou des Affaires sociales, ainsi que des organisations internationales, sont souvent limités à des services de court ou de moyen terme (qui consistent principalement à leur procurer des appareillages orthopédiques), négligeant leur réinsertion socioprofessionnelle et une assistance médicale inscrite dans la durée. « L'assistance aux victimes reste l'aspect le moins sexy actuellement ; il a toujours été débattu mais aujourd'hui on en parle beaucoup moins », souligne Henri Francois Morand, directeur de programme au sein de la Finul, qui contribue de façon marginale au déminage des abords de la ligne bleue. « C'est un secteur qui est mal organisé et faiblement intégré aux politiques sociales.
Or ce qu'il faut éviter en termes de prise en charge sociale, ce sont les politiques parallèles ; il faut, au contraire, que les mêmes instruments soient utilisés pour la prise en charge d'une victime de mine et d'une victime d'accident de voiture par exemple, même s'il s'agit de cas complètement différents », ajoute-t-il. Lui-même attribue le manque d'une assistance à long terme à « l'effet CNN » qui entraîne une baisse d'intérêt après une certaine période de temps.

Face à cette « amnésie passagère », les ONG locales sont les seuls remparts fiables. Installées tant dans des centres urbains que dans des zones rurales, leur longue présence sur le terrain et leur approche communautaire permettent une assistance stable et personnalisée, que les organisations internationales et le gouvernement ont du mal à fournir. « Le gouvernement ne se concentre que sur les activités de déminage, aux dépens des services de réhabilitation. De leur côté, les grandes organisations internationales sont souvent politisées et utilisent les victimes des mines et des munitions à fragmentation pour attirer des fonds », déplore Raëd Mokaled, ambassadeur du combat contre les armes à sous-munitions auprès de Handicap International.

 

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