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Culture - Exposition

Les murmures des bois entre pinceaux et installation...

Deux femmes artistes, Karine Boulanger et Marya Kazoun, revisitent l'esprit des espaces forestiers grouillant de vie, dénudés de leurs feuilles, cœur battant du bois. En émerge une exposition qui interpelle à la galerie Janine Rubeiz*. Un enchantement à savourer et décrypter...

Marya Kazoun et Karine Boulanger entre les assemblages de bois noirci et les branches nimbées d’argent. Photo Michel Sayegh

Toniques, vivifiants, à la fois robustes et fragiles, témoins du temps, amis des hommes, mais aussi lourds de secrets et de confidences, sont les bois. Ils apportent les odeurs, les mythes, les légendes et les contes des forêts. Mais inspirent également de nombreux artistes et galeristes. Sous l'impulsion de la maîtresse des lieux, Nadine Begdache, qui voulait combiner et croiser le talent de deux créatrices, l'idée a ainsi germé. Faire naître du bois tout ce qui vibre, frémit, parle, évoque rugosité, douceur, sensations et sentiments. Et voilà qu'à la galerie Janine Rubeiz, Karine Boulanger appose ses images teintées à la feuille d'argent et Marya Kazoun rassemble, en fagots, un bois flotté retenu par une cordelette de jute, peint de noir, garni de boules de verre comme un lavage aux bulles de savon, en un cérémonial purificateur...
Effet saisissant entre ces deux mondes qui s'épousent en courbes sinueuses ou traits droits comme un «i» et un lacis de branchages desséchés et de piques noueuses ou lisses qui vont dans tous les sens sous les verrières de l'espace qui jette à profusion lumière et ciel bleu ou gris...
Aux cimaises, une dizaine de toiles figuratives et épurées (une acrylique pour neuf huiles) habitées de silence, aux dimensions allant de 1,50 m x 2 m à 50 cm x 60 cm, portant la griffe de Karine Boulanger. Cheveux lisses noirs sur les épaules, visage rieur, peau claire, l'artiste, née en 1963 à Beyrouth (joli hasard) de père français et de mère bolivienne (peintre de renom), a la chance et la richesse d'avoir une multiculture.
Après quarante ans d'absence, elle retrouve Beyrouth. « J'en aime la lumière, dit-elle, l'atmosphère intacte, l'énergie, les vibrations, les contrastes de chaos. Pour moi qui viens de l'Australie où je vis actuellement, où tout est plus ou moins organisé et planifié, je suis heureuse de retrouver ici une place pour l'improvisation, une place aux rapports humains... »
Après des études (de stylisme), des recherches pour sa personnalité picturale, après avoir tâté la langue japonaise, travaillé la gravure aux ateliers Friedlaender à Paris et la peinture chez Gonzalo Rodriguez à la Paz, à son actif aujourd'hui plus de trente expositions en un parcours de 26 ans. Pour le public libanais, elle offre « l'essence de l'être ».
Des paysages de sous-bois où se profilent, dans une solitude sereine et presqu'altière, jamais touchée par la tristesse ou la mélancolie (mots d'ailleurs que l'artiste ne profère même pas), en de compactes silhouettes, comme de braves soldats, les troncs des arbres.
Du bleu, du brun, du gris, mais pas de noir. «Le noir tue les autres couleurs» souligne-t-elle. Et d'ajouter: «Ces toiles, fruit de trois ans de labeur, sont nées après les 'bush fires' (incendies) en Australie. Cela m'a marquée. On retourne à l'essentiel, on laisse tout derrière soi et la vie reprend. C'est une renaissance et je m'y identifie ! »

Gargouillis dans les bois
On s'est arrêté, ébahi, devant ses créations, plus d'une fois. Des créations qui sortent de l'ornière empoussiérée des chemins battus. Entre onirisme et baroque, avec des objets de décomposition ou banals, presque de déjection, Marya Kazoun réinterprète les valeurs et les matériaux. Elle invente un monde éblouissant en ennoblissant les matériaux, dans un savant et adroit recyclage. Même le plastique des sacs-poubelle a peau étonnamment neuve sous ses doigts.
Pour cadrer les toiles de Karine Boulanger, tout en ayant leur propre vie, tout en insufflant un vigoureux nerf moteur et une vision encore plus singulière, en correspondance visuelle et tactile aux toiles dans leur babil un peu glacé, ces fagots en noir qui se posent en toute volubilité sur le parquet blanc tels les amoncellements de pierres à Stonehenge, la cité préhistorique du Wilshire en Angleterre...
Née à Beyrouth en 1976 (cette redoutable année charnière de la guerre civile libanaise), Marya Kazoun est aujourd'hui citoyenne voyageuse. De Venise où elle est actuellement installée, son art l'a conduite de New York à Montréal, en passant par la Suisse, la Pologne, l'Autriche, les émirats du Golfe, la Russie. La Biennale de Venise la connaît pour ses multiples participations (2005, 2009, 2013), toujours remarquées.
Pour sa ville natale, après plus de 70 expos dans son parcours émaillé de succès, depuis ses débuts en 1998 avec un bas-relief en trois dimensions au musée Sursock, c'est la troisième fois qu'elle donne à voir «sa domestication des matériaux », comme elle définit son travail.
Le regard noir vif, les cheveux en cascades blondes, la frimousse mutine, Marya Kazoun agence ses vingt « assemblages » de bois flotté cueillis au hasard de ses marches sur les plages de la cité lacustre. Comme des bouteilles à la mer, ce bois est rejeté sur le rivage gonflé, tanné, noirci, fatigué, buriné, érodé. Tant d'histoires, d'aventures, de périples derrière ce bout de morceau de bois...
«J'ai ramassé ces bois en fagots pour les ramener à mon atelier, explique-t-elle. Pour en faire, en un esprit chamanique, une installation circulaire qui parle, certes, d'une forêt magique mais aussi d'une certaine spiritualité. Peints en noir, noués avec des fils de jute tressée – toujours la complexité de l'être qui est entortillé par tant de choses –, c'est l'évocation d'un cérémonial de la mort. Pas macabre. Il faut que je confesse que j'ai toujours vécu dans le film Peau d'âne de Jacques Demy. Il y a du scintillement, mais il y a aussi cet esprit du mal, de la force obscure. Ce combat permanent du bien contre le mal, du vice contre la vertu... Si j'ai mis des boules de verre de pyrex (faites dans une fabrique Murano), avec un intérieur contenant un nuage de vapeur, telle une bulle de savon, c'est pour souligner que même les arbres ont besoin d'être lavés. C'est un rituel de bain...Tout en célébrant la vie, je crée des mondes: c'est un diorama. J'aime le flou entre la réalité et la fiction. J'aime brouiller les limites du temps, de l'espace et des objets... »

*L'exposition « Whispering Woods » de Karine Boulanger et Marya Kazoun à la galerie Janine Rubeiz se prolonge jusqu'au 14 octobre 2016.

Toniques, vivifiants, à la fois robustes et fragiles, témoins du temps, amis des hommes, mais aussi lourds de secrets et de confidences, sont les bois. Ils apportent les odeurs, les mythes, les légendes et les contes des forêts. Mais inspirent également de nombreux artistes et galeristes. Sous l'impulsion de la maîtresse des lieux, Nadine Begdache, qui voulait combiner et croiser le talent...

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