La quasi-totalité des bars d’Uruguay Street ont fermé leurs portes. Photo K.O.
À l'heure où plusieurs enseignes gastronomiques choisissent d'élire domicile au centre-ville de la capitale, certains acteurs optimistes y voient le signe d'un début de redynamisation économique d'un quartier quasi déserté depuis des années. « Ces derniers mois, des restaurants comme Angelina, Butcher Shop, Em Sherif ou encore Sultan Brahim ont ouvert leurs portes au centre-ville, et au moins trois autres vont faire de même très prochainement », se réjouit Tony Ramy, le président du syndicat des propriétaires de restaurants, de boîtes de nuit et de cafés, qui souligne que « malgré les conditions difficiles, les commerçants font confiance au potentiel de croissance du centre-ville et continuent d'y investir ».
Un enthousiasme qui contraste avec la morosité de l'activité d'un quartier qui a payé un lourd tribut du fait de la situation politico-sécuritaire. Déjà frappés de plein fouet par les différents boycottages des touristes du Golfe, qui constituaient leur cible privilégié, les commerces du quartier ont été les premiers touchés par la mise en place de mesures sécuritaires drastiques autour du Parlement, suite aux manifestations citoyennes de l'été 2015 dénonçant la gestion de la crise des déchets. Car, si les rassemblements ont cessé, ces mesures demeurent. « Les commerces se trouvant dans ce périmètre délimité par la rue Weygand, la rue Riad el-Solh, la rue des Banques et la place des Martyrs enregistrent une activité nulle, et les commerces autour de ce périmètre ne s'en sortent pas davantage », se désole le président de l'Association des commerçants de Beyrouth, Nicolas Chammas. Il salue néanmoins « la décision du président du Parlement, Nabih Berry, qui a répondu à notre appel, en organisant désormais les séances de dialogue national à Aïn el-Tiné en vue de réduire la pression sécuritaire sur le quartier ».
Cas d'école
Mais la zone autour du Parlement n'est pas la seule à avoir été délaissée. Créée en 2011, sous l'impulsion de Solidere, par les investisseurs Rabih Saba et Marwan Ayoub, la zone d'Uruguay Street est à cet égard un cas d'école. « Au départ, Solidere souhaitait dynamiser cette rue de locaux vides, pour concurrencer d'autres zones de nuit comme Mar Mikhael ou Gemmayzé. C'était les mêmes acteurs qui avaient des bars dans d'autres quartiers qui sont venus s'installer aussi à Uruguay Street, et c'est également la même clientèle qui fréquentait Gemmayzé et Mar Mikhael qui venait également à Uruguay Street », se souvient Nagi Morkos, PDG du cabinet de conseil en tourisme et hôtellerie Hodema. « Rabih Saba et moi-même louons dix locaux se trouvant dans Uruguay Street à Solidere et notre contrat expire dans 8 ans. Nous avons sous-loué une dizaine de locaux à 800-1 000 dollars le m2, et prenions 12 % des ventes réalisées par les bars », témoigne Marwan Ayoub. « Il y a eu des investissements allant de 250 000 à 750 000 dollars par bar, et la majorité a réalisé un retour sur ses investissements au bout de deux ans », affirme-t-il.
Mais, depuis, le vent a tourné : « La rue a connu une expansion incontrôlée, avec l'arrivée d'une dizaine de bars additionnels. L'offre est devenue nettement supérieure à la demande. Surtout que ces nouveaux bars ont fixé des prix inférieurs et ont attiré une clientèle différente et plus jeune, ce qui a fait fuir les habitués », regrette M. Ayoub. Résultat : alors que, dans l'édition 2013 de son hors-série « Restos Bars Cafés, Beyrouth », Le Commerce du Levant recensait encore une quinzaine dans la rue, il n'en dénombrait plus que trois dans son édition 2016, publiée en août dernier. Et, dans un reportage diffusé le 30 août, la chaîne LBC a annoncé la fermeture de l'un d'entre eux ; contacté, son propriétaire n'a pu confirmer l'information dans les temps impartis. Le PDG de TRI Concept, Toni Rizk, avait, lui, investi quelque 800 000 dollars dans 3 bars à Uruguay Street, tous fermés depuis 2015. « Le contrat de sous-location n'était pas vraiment à notre avantage, et les loyers de base étaient chers. Nous n'avons pu réaliser un retour sur investissement que sur le premier des trois bars ouverts, soit en 2012. Ensuite, il y a eu la crise des déchets et les manifestations, et nous avons décidé de fermer », déplore-t-il.
Loyers renégociés
Au-delà des aléas conjoncturels, le coût des loyers au centre-ville pèse indéniablement sur des coûts d'exploitation qui restent très élevés. « Les loyers sont jusqu'à 50 % plus chers au centre-ville qu'à Achrafieh ou Verdun. Par exemple, un 500 m2 est loué à 250 000 dollars par an à Achrafieh, contre 400 000 dollars au centre-ville », estime M. Ramy. « Les commerçants sont en train de renégocier leurs contrats de location avec Solidere et les autres propriétaires et parviennent à baisser les prix des loyers, d'environ 10 % en moyenne, puisque dans la conjoncture actuelle le marché devient plus favorable aux locataires », indique cependant M. Chammas.
Malgré ces handicaps, de nombreux professionnels y croient encore. « En dépit du fait que les consommateurs locaux ont tendance à bouder le centre-ville depuis quelques années, les restaurants et les salles de cinéma contribuent à les attirer. Cela a créé un trafic important qui profite également aux commerçants », observe M. Chammas. Cette clientèle « recherche des produits de qualité et un excellent service. Les prix moyens pratiqués dans les restaurants du centre-ville vont de 60 à 80 dollars par couvert.
Quant aux taux de fréquentations, ils s'améliorent par rapport à l'an dernier, avec un modeste 65 % en moyenne », précise M. Ramy qui vient d'investir environ 7 millions de dollars cette année – en partenariat avec Solidere – pour l'ouverture d'une nouvelle branche du restaurant Sultan Brahim au centre-ville. « Si la stabilité politique est assurée, nous pouvons réaliser un retour sur investissement dans 3 ans », espère-t-il.
Quant à Marwan Ayoub, il confie « étudier actuellement avec son partenaire Rabih Saba et Solidere de nouveaux plans de développement de la rue pour les prochaines années, alliant cette fois-ci bars et restaurants. Car Uruguay Street garde beaucoup d'avantages comparatifs, dont le fait d'être située dans une zone commerciale et une zone piétonne, relativement épargnée par le vacarme des embouteillages et par la pollution ».
Pour mémoire
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commentaires (6)
Bon, admettons. Et on se parque où si on veut aller passer un moment au centre-ville?
Gros Gnon
04 h 06, le 03 mars 2017