« Si j'avais peur de Fateh al-Cham, je ne reviendrai pas à Alep ! » confie R. Tam, étudiant à Alep-Ouest. La grande bataille d'Alep n'en est qu'à ses débuts mais le premier round remporté par les rebelles ne semble pas effrayer outre mesure les populations des quartiers sous contrôle du régime.
Samedi dernier, les rebelles ont infligé un revers au régime et ses alliés en brisant le siège instauré le 17 juillet dernier par le régime. Les combattants du Fateh al-Cham (ex-Nosra, branche d'el-Qaëda en Syrie) ont joué un rôle primordial dans cette offensive. Fin juillet, le groupe jihadiste avait rompu le cordon avec la maison mère (el-Qaëda), avec son approbation, afin de se rapprocher des autres groupes rebelles et de gagner le cœur des populations. Connu pour ses multiples exactions et ses attentats-suicide, Fateh el-Cham se retrouve désormais aux portes d'Alep, accueilli comme des libérateurs par les habitants d'Alep est (voir l'article de notre édition du 8 août, « Voilà pourquoi je n'ai pas peur de Fateh el-Sham... ») mais considéré comme le groupe le plus radical par les habitants d'Alep-Ouest.
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« Si j'ai peur de Fateh al-Cham ? Oui, mais nous avons une superarmée », estime Jack Kazanji, 23 ans. « Cela fait quatre ans que, nous autres Alépins, souffrons terriblement, et que notre niveau de vie a beaucoup baissé, mais jamais nous n'abandonnerons notre ville », confie de son côté Georges J. Khoukaz, un commerçant des quartiers ouest. « Nous n'avons pas peur des groupes qui nous combattent, mais si les choses empirent, nous, le peuple, sommes prêts à prendre les armes pour notre pays », poursuit-il.
Le week-end dernier a mis à rude épreuve les nerfs des Alépins de l'ouest, comme ceux de l'est. Si la joie et l'espoir a muté dans le camp rebelle, la peur a pris de court les populations des quartiers progouvernementaux, qui ont craint l'encerclement. Entre l'est et l'ouest, le contraste était saisissant.
Mais hier, la détermination et l'espoir ont vite balayés les craintes à Alep-Ouest. « Quand nous avons vu que Nosra a attaqué le sud de la ville, nous avons été choqués. Mais la peur s'est vite dissipée car nous sommes prêts à nous battre », affirme de son côté Tony Sakkal, 37 ans. En 2012, il décide de quitter Alep pour Tartous, après que Fateh al-Cham (al-Nosra à l'époque) se fut emparé de ses usines à al-Schkayef, dans une des zones industrielles d'Alep. Après la récente alliance entre le groupe jihadiste et les rebelles à Alep, Tony Sakkal redoute désormais le pire. « Les jihadistes épargneront-ils les chrétiens ? Sûrement pas, ils nous couperont la tête. Ils sont pires que l'État islamique (EI) car si les combattants de l'EI viennent tous de l'étranger, ceux de Fateh al-Cham sont bien de chez nous, ce qui les rend bien plus dangereux, estime-t-il. J'espère qu'ils ne vont pas pénétrer dans la ville, sinon on ferait mieux de s'apprêter à affronter une troisième guerre mondiale, dit-il. Tous les Alépins de l'ouest les détestent, chrétiens comme musulmans, parce que nous avons tous perdu un proche à cause de leurs obus », conclut Tony.
(Lire aussi : « Voilà pourquoi je n'ai pas peur de Fateh al-Cham... »)
Étudiant à l'université d'Ebla, située dans le gouvernorat d'Idleb, mais dont les locaux ont été transférés à Hamdaniyé, au sud-ouest de la ville d'Alep, R. Tam vit entre la Syrie et la Suède où une partie de sa famille réside depuis plus de 40 ans. Il n'a pas encore obtenu la nationalité suédoise. Il y a un an, il décide pourtant de revenir habiter à Alep, alors que la situation sécuritaire est au plus bas. Samedi dernier, le quartier avoisinant Hamdaniyé, Ramoussa, est tombé aux mains des rebelles. « Les cours à l'université sont suspendus, mais je ne peux pas vraiment dire que la situation est plus mauvaise que d'habitude », confie le jeune homme.
Depuis que la ville a été divisée en deux en 2012, de nombreux résidents d'Alep-Ouest disent s'être habitués à la situation. « Les premiers jours de l'offensive, durant le week-end, les gens ont eu un peu peur, mais pas plus que d'habitude. Nous sommes passés par pire que cela il y a un an et demi », raconte encore Jack Kazanji. Malgré la bataille, le jeune homme n'a rien changé dans son train de vie habituel. Hier soir, il partait rejoindre ses amis dans un café à deux pas de la place Aziziya, fréquenté notamment par les chrétiens de la ville. Pourtant, juste à côté, les combats font rage. « On n'a pas d'eau, pas d'électricité, sans parler de la connexion à Internet sur nos téléphones qui laisse à désirer. Mais quand je vois les gens sourire autour de moi ce soir, je sais que c'est parce qu'on ne sent plus la peine et la douleur. Il y a des bombes et des morts et dans la rue d'à côté, on fait la fête. C'est parce que nous sommes fatigués de la guerre et que nous n'avons pas peur de la mort », confie Jack.
« La route principale a été fermée, donc mes parents n'ont pas pu se rendre à Beyrouth pour prendre un avion. Mais dans nos quartiers, la situation est bonne », confie de son côté Lara*, 22 ans. « Je ne peux pas dire que depuis ce qui s'est passé ce week-end, la situation est plus dangereuse qu'avant », poursuit la jeune femme. Dimanche, certaines rumeurs rapportaient que les habitants de l'ouest faisaient des provisions de nourriture et d'eau en prévision d'un siège. « C'est très exagéré, estime Lara, il y a de tout, mais les commerces font en sorte de retenir la marchandise afin de faire payer aux habitants trois fois plus cher ». « C'est vrai que depuis que la route est coupée, les prix ont augmenté de manière très étrange », raconte Jack Kazanji. Un kilo de tomate qui valait 100 livres syriennes (1 000 livres libanaises) la semaine dernière se vend désormais 400, voire plus. « Le pain et le fuel aussi », poursuit de son côté R. Tam. Tous gardent toutefois espoir que la route principale sera rouverte dans les prochains jours.
*Le prénom a été modifié
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Super triste de voir encore une fois les chrétiens d'Alep devenir martyrs des jeux des Grands , et soumis au fanatisme religieux musulman .
18 h 51, le 09 août 2016