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Liban - Anniversaire

Raï et Joumblatt reconduisent le pacte historique de réconciliation dans la Montagne

Samedi était jour de fête dans la Montagne, qui a célébré hier l'anniversaire des 15 ans de la réconciliation entre ses habitants druzes et chrétiens lors d'une messe célébrée à Moukhtara, à l'occasion de l'inauguration de l'église restaurée de Notre-Dame de Moukhtara.

Lancée en août 2001, à l'initiative de l'ancien patriarche maronite Nasrallah Sfeir et du leader druze Walid Joumblatt, la réconciliation de la Montagne, qui a constitué le coup d'envoi d'un processus sociopolitique visant à renouer, en dépit du joug de la tutelle syrienne, les liens interlibanais disloqués par la guerre, reste vivace jusqu'à ce jour dans les esprits, puisqu'il s'agit effectivement d'un travail sur la mémoire de la guerre qui se construit dans la durée.

Tout au long de la route qui mène de Damour jusqu'à Moukhtara, les armoiries du patriarcat maronite, des drapeaux libanais et des banderoles avaient été accrochées, souhaitant la bienvenue au patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, ainsi que des portraits du prélat maronite, attendu pour la messe en l'église fraîchement rénovée de Notre-Dame de Moukhtara. Bâtie au XIXe siècle par Bachir Joumblatt, aïeul de Walid Joumblatt, cette église avait été érigée pour que la famille Khazen puisse y célébrer la messe lors de ses passages dans le village. C'est pourquoi l'ancien député du Kesrouan, Farid Haykal el-Khazen, avait fait le déplacement à la tête d'une importante délégation de sa famille.
Le village de Moukhtara (moukhtar signifiant élu en arabe) doit son nom, selon certaines sources, au fait d'avoir été longtemps considéré comme principal village estival du Chouf. Mais son nom pourrait également indiquer qu'il a été élu, voire prédestiné, pour présider au rapprochement des communautés du pays du Cèdre – rôle qu'il assume, du reste, avec brio.

(Lire aussi : Les principales personnalités présentes à Moukhtara)

L'office

C'est assisté de l'archevêque maronite de Beyrouth, Mgr Boulos Matar, ainsi que de l'évêque maronite émérite de Saïda, Mgr Tanios el-Khoury, et d'un grand nombre de prêtres que le patriarche Raï est arrivé à Moukhtara – après un passage par Deir el-Qamar où il a visité l'église Notre-Dame du Tell – pour célébrer l'office dans l'église restaurée. Il y a été reçu par une délégation importante de cheikhs druzes et de notables locaux, emmenée par Walid Joumblatt et le chef du Parti démocratique libanais, le député Talal Arslane.
La messe, dont la tenue à Moukhtara était fortement symbolique, a regroupé de nombreux politiques et religieux (voir par ailleurs). Mais le Premier ministre, Tammam Salam, et le président de la Chambre, Nabih Berry, n'ont pas fait le déplacement, préférant déléguer des personnalités afin de les représenter et de « respecter le protocole en l'absence d'un président de la République, ce poste étant vacant depuis le 25 mai 2014 ». Le président des Forces libanaises, Samir Geagea, et le fondateur du Courant patriotique libre, Michel Aoun, étaient également absents, invoquant des raisons de sécurité. Ils ont toutefois eux aussi dépêché des représentants, à l'instar du chef du courant du Futur, Saad Hariri. Sur sa page Twitter, M. Hariri a salué la réconciliation, estimant que celle-ci a « jeté les fondations de la coexistence au Liban et a tourné une page douloureuse ».
Dans son homélie, le cardinal Raï a remercié Walid Joumblatt pour son initiative de restaurer l'église, « poursuivant ainsi l'initiative de Bachir Joumblatt qui l'avait construite en 1820 près de son palais en hommage aux cheikhs de la famille Khazen, amis de la famille (...) ». « Cette occasion est embellie par le 15e anniversaire de la réconciliation de la Montagne, dont les assises ont été jetées par le cardinal Nasrallah Sfeir, le leader Walid Joumblatt et l'émir Talal Arslane », a ajouté Mgr Raï.

(Lire aussi : Joumblatt : La guerre est à jamais révolue, préservons tous le Grand Liban)

Au palais de Moukhtara

Après l'office, le patriarche Raï s'est rendu au palais des Joumblatt où l'attendaient les figures religieuses chrétiennes, druzes et musulmanes de la région, les chefs politiques qui avaient assisté à l'office religieux ainsi qu'un grand nombre de notables de la Montagne. M. Joumblatt a prononcé aussitôt un bref discours axé sur la volonté de paix, du rapprochement et du vivre-ensemble entre les Libanais. Un discours durant lequel il a rendu un vibrant hommage au patriarche Sfeir et a souligné le caractère définitif de la réconciliation de la Montagne, appelant également au déblocage de la présidentielle et des institutions au vu des dangers régionaux. « La guerre de la Montagne est révolue à jamais », a-t-il souligné sous les applaudissements de l'assistance.
Des thèmes auxquels a fait écho le patriarche Raï, qui a appelé à son tour à « poursuivre la réconciliation afin que la vie reprenne dans la Montagne, notamment au niveau social ». Il a également salué les propos de M. Joumblatt concernant la fin définitive de la guerre. « Nos yeux sont aujourd'hui rivés sur la réconciliation entre les coalitions du 8 et du 14 Mars, sans oublier les centristes. Voilà la porte d'entrée vers la présidence de la République, car il est insensé d'aborder n'importe quel dossier avant d'avoir mis un terme à la vacance à la présidence », a ajouté le patriarche maronite. Mgr Raï s'est ensuite vu remettre un blason commémoratif de l'inauguration de Notre-Dame de Moukhtara.
À l'issue de la cérémonie, Walid Joumblatt a retenu ses hôtes à déjeuner à Moukhtara, dans une ambiance amicale et détendue.

Témoignages

Présent sur les lieux, le ministre de la Santé, Waël Bou Faour, a estimé que la cérémonie a servi à ancrer la réconciliation de la Montagne dans les esprits. « Il s'agit d'un message envoyé par Walid bey, en espérant que d'autres forces politiques en seront inspirées dans le futur », a-t-il indiqué à L'Orient-Le Jour, tout en confiant toutefois que personne d'autre que le chef du PSP n'est prêt à entreprendre ce genre de pas à l'heure actuelle. « Ils attendent le bon timing régional pour libérer la présidentielle. La présidentielle devra peut-être attendre la fin de la guerre au Yémen pour être débloquée », a ajouté M. Bou Faour sur un ton ironique.

Le père Abdo Abou Kassem, directeur du Centre catholique d'information, a souligné pour sa part que « la Montagne a enfin commencé à respirer pleinement ». « La cohésion qui existe à l'heure actuelle dans les villages s'est traduite aujourd'hui à Moukhtara. L'église de Brih (caza du Chouf) a même été inaugurée il y a quelque temps », a-t-il dit. Détruite durant la guerre, l'église Saint-Élie de ce village mixte a récemment été reconstruite. Brih est l'un des derniers villages qui, jusqu'à récemment, n'avait pas encore été englobé dans le processus de retour des chrétiens ayant fui les massacres perpétrés dans les années 80 dans la région.
Un jeune cheikh de Brih, rencontré dans le jardin du palais Joumblatt, a estimé pour sa part que le retour des chrétiens au village était « essentiel ». « Il n'y avait rien dans le village quand les chrétiens étaient absents, même pas d'infrastructures », a-t-il confié, ce manque de projets de développement étant sans doute dû à des problèmes de cadastre, puisqu'il a ajouté : « Un bâtiment officiel avait été construit sur un terrain appartenant à des déplacés chrétiens, ce qui avait créé des problèmes. Mais toutes les infractions commises ont été réglées depuis. Les chrétiens ont commencé à retourner à Brih il y a trois ans, mais ils ne sont pas très nombreux. Le ministère des Déplacés ne leur a payé que la moitié de ce qu'il leur devait, ce qui a retardé leur retour. Malgré cela, il y a une très bonne ambiance au village depuis la réconciliation, le patriarche s'est même déplacé jusqu'à Brih », a-t-il déclaré.

(Lire aussi : La reconstruction de l'église Saint-Élie de Brih, fruit du mariage entre tradition et modernité)

« Avant la guerre, il y avait plus de chrétiens au Chouf qu'au Kesrouan, a indiqué pour sa part Georges Habre, maire de Mansouriyet Bhamdoun, village chrétien du caza de Aley. Ils sont peu nombreux aujourd'hui en raison des déplacements et certains se sont même inscrits dans les registres d'état civil ailleurs que dans leurs villages d'origine ». « Deux églises détruites durant la guerre ont été reconstruites à Btater (village druze du caza de Aley). À Sebeel (village chrétien limitrophe de Btater) la première pierre de l'église du village a été posée il y a une vingtaine de jours », a-t-il souligné.

Selon le père Joseph Azzi, président de la municipalité de Jadra (village sunnite et maronite du caza de Aley, où le retour des chrétiens s'est effectué en 1993), « les gens s'entendent bien, mais c'est la situation politique délétère qui se répercute quelquefois sur eux. Face à la rencontre positive d'aujourd'hui, il y a malheureusement beaucoup de surenchères politiques ».

La journée s'est terminée par une séance photos dans l'un des salons du palais Joumblatt où prêtres et cheikhs ont posé ensemble pour des photos souvenir, après avoir partagé un repas, et beaucoup de pain et de sel, gages de leur rapprochement et de leur amitié.

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