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Économie - Travail

Pourquoi le gouvernement a baissé le salaire minimum journalier

La polémique autour de cette mesure, discrètement adoptée début juillet, a enflé cette semaine. Mais ses conséquences devraient être globalement limitées.

Charbel Nahas (à g.), ministre du Travail de 2011 à 2012, et Sejaan Azzi, qui occupe ce poste depuis février 2014, restent divisés sur le mode de calcul du salaire minimum journalier. Photo Nasser Trabulsi et Ani

Le gouvernement a-t-il baissé le salaire minimum dans le dos des Libanais début juillet ? Depuis le début de la semaine, la polémique a enflé dans les médias et réseaux sociaux jusqu'à donner lieu à une passe d'armes, par voie de presse interposée, entre le ministre du Travail, Sejaan Azzi, en poste depuis février 2014, et Charbel Nahas, qui a occupé cette fonction de juin 2011 à février 2012.

À l'origine de cette polémique, la publication au Journal officiel, le 7 juillet, du décret 3791, adopté le 30 juin par le Conseil des ministres – sur proposition « du ministre du Travail » –, qui ramène le salaire minimum journalier de 30 000 livres par jour (soit 20 dollars environ) à 26 000 livres (un peu plus de 17 dollars). Le texte modifie donc – sans effet rétroactif – l'un des montants fixés par le décret 7426 du 25 janvier 2012 portant sur le salaire minimum pour chaque catégorie de salaire (horaire, journalier, hebdomadaire et mensuel).

Cette révision a provoqué une levée de boucliers – toute relative, compte tenu du sujet – notamment, hier, lors de visite au ministère du Travail d'une délégation d'enseignants qui se sont dit surpris par la publication du décret dont ils contestent les motifs et demandent l'annulation.

« Cette modification n'affecte pas le salaire minimum mensuel – fixé à 675 000 livres (environ 450 dollars) par le décret de 2012 – et ne fait qu'aligner la rémunération des travailleurs journaliers dans les établissements publics et privés sur le salaire minimum mensuel », se justifie M. Azzi auprès de L'Orient-Le Jour. Il précise aussi que les rémunérations horaires et hebdomadaires ne sont pas non plus concernées. Le ministre du Travail ajoute également que le nouveau décret se contentait de « corriger » un montant fixé « suite à une initiative personnelle de M. Nahas, qui a été contestée par le comité de législation et de consultation au ministère de la Justice ».

Contacté par L'Orient-Le Jour, M. Nahas rétorque que le gouvernement « lèse une partie des travailleurs en se cachant derrière cette explication », dans la mesure où le salaire minimum journalier a bien été déprécié de 4 000 livres (environ 3 dollars).

Différence de calcul
Si les deux hommes sont d'accord sur le montant du salaire minimum mensuel, leurs avis divergent quant au nombre de jours retenus pour calculer le seuil minimum du salaire journalier.
Tout commence début 2012, lorsque M. Nahas décide de déterminer le salaire minimum journalier, fixé par le décret de 2012, à 30 000 livres. Pour justifier sa décision, il fait prévaloir que le nombre moyen de jours travaillés par mois gravite autour de 22. Il ajuste ensuite le salaire minimum journalier pour aligner le montant de cette rémunération au salaire minimum mensuel, en accord avec le patronat et la Confédération générale des travailleurs du Liban (CGTL). « Le nombre moyen de jours travaillés par mois prend en considération le nombre de dimanche par an (environ 52), de jours fériés (20) et les congés payés annuels (entre 15 et 20 jours) afin de pouvoir aligner équitablement tous les types de rémunérations autorisées par la loi (mensuelle, hebdomadaire, journalière et horaire) », explique-t-il.

Cette décision est ensuite contestée par plusieurs autorités administratives, qui reprochent à M. Nahas d'avoir augmenté le salaire minimum pour cette catégorie de contrat de travail au détriment des autres. « Le service juridique de la présidence du Conseil, le département de la législation et des consultations du ministère de la justice, le Conseil de la fonction publique ainsi que le Conseil d'État ont tous les quatre contesté ce montant », explique une source proche de la haute juridiction administrative

Ces dernières avaient été consultées après que le ministère de l'Énergie et de l'Eau a demandé, en août 2012, au ministère du Travail ainsi qu'à celui des Finances de clarifier les modalités d'application du salaire journalier à 30 000 livres, amenant ces différentes autorités à rendre leur avis, poursuit-elle. Motif invoqué : la loi 32/67 du 16 mai 1967, par laquelle le Parlement délègue au gouvernement la compétence pour fixer le montant du salaire minimum, fixe à 26 le nombre de jours travaillés par mois. Le salaire minimum mensuel étant de 675 000 livres, cela imposerait par conséquent de diminuer le salaire minimum journalier à environ 26 000 livres pour l'aligner sur son référent mensuel. C'est ce raisonnement qu'a la haute juridiction administrative.

« Le Conseil d'État n'avait pourtant pas bronché en 2012 », se souvient M. Nahas. Il rejette surtout cette interprétation restrictive de la loi de 1967 dont « l'article 2 dispose que le nombre de jours travaillés, servant de base pour le calcul des différentes rémunérations, peut être de 26 par mois au plus... ». De fait, il s'agit bien d'un plafond, qui ne prend notamment pas en considération les jours fériés.
Si ce débat a été tranché par la justice administrative en défaveur de l'ancien ministre, son décret n'en est resté pas moins applicable juridiquement pendant quatre ans, créant une situation de fait pour les bénéficiaires.

« Acquis social »
Successeur de M. Nahas et prédécesseur de M. Azzi au ministère du Travail (de février 2012 à février 2014), Salim Jreissati n'a pour cette raison pas voulu « prendre le risque de revenir sur cet acquis social en adoptant un décret qui réviserait le montant fixé par le ministre précédent à la baisse », selon des propos qu'il a tenu à L'Orient-Le Jour. Or, le fait que le texte n'ait pas été dénoncé dans les deux mois qui ont suivi sa publication au JO obligeait alors le gouvernement à en adopter un nouveau pour rectifier le montant du salaire minimum journalier.

M. Azzi mettra lui-même plusieurs mois avant de « réactiver le dossier auprès du Conseil des ministres » en novembre 2014, mais avance avoir simplement repris le décret préparé par M. Jreissati, ce que l'intéressé n'a pas confirmé. Le sujet étant sensible, il faudra alors attendre près de deux années supplémentaires pour que le Conseil des ministres se décide à adopter la modification, M. Azzi affirmant par ailleurs qu'il était « absent lors des délibérations du Conseil des ministres sur ce sujet ».

Aussi défavorable soit-elle pour les travailleurs concernés, cette baisse du salaire minimum journalier devrait avoir une portée globalement limitée, selon plusieurs observateurs.
« La portée du décret est déjà limitée par la loi de 1967 qui, selon son article 10, exclut le personnel de maison (domestiques, femmes de ménage, etc.), dont le salaire mensuel minimum est beaucoup moins élevé (environ 200 dollars) », rappelle l'avocat Karim Daher.

« De manière générale, ce type de rémunération n'est pas répandu au Liban, sauf dans certains secteurs qui connaissent une hausse ponctuelle de leur activité », indique de son côté l'avocat spécialisé en droit du travail Georges Mallat. Contactés, des représentants d'agriculteurs, d'industriels et de commerçants ont indiqué ne pas connaître la proportion de travailleurs journaliers employés dans leurs secteurs respectifs.
M. Mallat relève enfin que « si le décret du ministre Nahas a bien été, en droit, applicable pendant 4 ans, l'existence d'un différend concernant le nombre de jours par mois servant de base au calcul du taux journalier a dû servir de levier de négociation pour les employeurs ». Un scénario qui devrait, selon lui, se reproduire avec l'adoption du nouveau plancher.

 

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Comment le ministre du travail, M. S. Azzi, qui à notre connaissance a démissioné, peut-il encore prendre des décisions au sein du gouvernement ? Dans quel cirque vivons-nous, et jusqu'à quel degré de ridicule ce gouvernement va-t-il encore nous amener ? Irène Saïd

Irene Said

16 h 54, le 23 juillet 2016

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Commentaires (1)

  • Comment le ministre du travail, M. S. Azzi, qui à notre connaissance a démissioné, peut-il encore prendre des décisions au sein du gouvernement ? Dans quel cirque vivons-nous, et jusqu'à quel degré de ridicule ce gouvernement va-t-il encore nous amener ? Irène Saïd

    Irene Said

    16 h 54, le 23 juillet 2016

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