Au Moyen-Orient, encore plus qu'ailleurs, le coup d'État avorté en Turquie a été suivi de très près. Dans la soirée de vendredi à samedi, alors que certaines chaînes occidentales n'avaient pas encore donné la moindre information sur le début de l'opération – elles étaient accaparées par les suites de l'attentat de Nice – les chaînes arabes, notamment al-Jazira et al-Arabiya, proposaient des images des rues d'Istanbul et d'Ankara et donnaient des détails sur ce qui était en train de se passer. Cette différence de traitement s'explique assez facilement : au-delà des considérations internes, c'est au Moyen-Orient que la chute du « sultan » aurait eu le plus de conséquences.
La politique étrangère turque dans la région est en effet très marquée par l'empreinte du président Erdogan depuis le début des printemps arabes. Sous son impulsion, la Turquie a essayé de mettre la main sur la région en adoptant des positions très tranchées concernant les deux sujets qui divisent le Moyen-Orient depuis cinq ans : les Frères musulmans et la Syrie.
Le soutien d'Ankara aux Frères musulmans à la suite des printemps arabes a refroidi ses relations avec l'Égypte – depuis la prise de pouvoir par le président Abdel Fattah el-Sissi – mais aussi avec l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, mais l'a rapproché du Qatar. Son soutien à l'opposition syrienne a compliqué ses relations avec Téhéran et avec Moscou – même si la Turquie et la Russie se sont « réconciliées » le 27 juin dernier – et l'a amené à collaborer de façon plus étroite avec l'Arabie saoudite.
(Repère : En Turquie, l'opération de purge a déjà emporté près de 60.000 personnes)
Ces positions ayant conduit à son isolement régional, la Turquie a été obligée de revoir sa politique étrangère, en normalisant ses relations avec Israël et en se réconciliant avec Moscou, pour se concentrer sur ses problématiques internes. Même si elle continue de réclamer le départ de Bachar el-Assad, la Turquie a également fait évoluer ses priorités en Syrie : sa principale hantise est de voir se former une zone kurde indépendante aux mains du PYD (Parti de l'Union démocratique) – qu'Ankara considère comme la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) – à sa frontière. Dans le même sens, après avoir entretenu des relations ambiguës avec les groupes jihadistes, la Turquie a radicalement changé de position sur ce sujet en permettant à la coalition internationale contre l'État islamique (EI) d'utiliser sa base aérienne d'Inçirlik et en participant aux combats contre l'EI.
(Lire aussi : « La Turquie, telle qu'elle est aujourd'hui, n'entrera jamais dans l'UE »)
Le coup d'État avorté s'inscrit dans le contexte de cette réorientation de la politique étrangère turque et ne devrait – a priori – pas la remettre en question. Renforcé sur la scène interne, le président Erdogan ne semble pas disposer de la marge de manœuvre nécessaire pour changer la donne sur la scène régionale. La reprise de la route du Castello – dernière voie de ravitaillement des rebelles d'Alep-Est par les forces du régime de Damas – va considérablement réduire l'influence d'Ankara en Syrie. D'autant que les puissances occidentales ne la soutiennent pas dans sa volonté d'établir une zone d'exclusion aérienne dans le nord de la Syrie.
La principale conséquence du coup d'État avorté sur la politique étrangère turque pourrait être la désorganisation de l'armée, compte tenu des purges qui ont lieu depuis samedi et qui ont touché jusqu'alors 55 000 personnes. Cette déstructuration de l'armée pourrait affaiblir la Turquie au moment où celle-ci est en guerre ouverte contre le PKK et l'EI.
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commentaires (2)
CERTES QUE OUI... MAIS... NEGATIVES OU POSITIVES IL EST TRES TOT DE LE PREVOIR ET OU LE DIRE...
LA LIBRE EXPRESSION
22 h 28, le 21 juillet 2016