L’opposant turc Fethullah Gülen lors d’une interview le 18 juillet 2016 à Saylorsburg en Pennsylvanie. Thomas Urbain/AFP
C'est un homme fatigué qui a reçu lundi plusieurs médias, dont l'AFP, dans ses appartements au sein du complexe de Saylorsburg, en Pennsylvanie, où il a élu domicile depuis 1999. À 75 ans, Fethullah Gülen est atteint de complications cardio-vasculaires et de diabète, selon son entourage, et assure n'avoir quasiment pas quitté ses appartements depuis deux ans. Une nouvelle fois, il réfute son implication dans la tentative de coup d'État qui a fait au moins 308 morts vendredi, dont 100 mutins, dans des propos traduits en anglais par un interprète.
« J'ai toujours été contre l'intervention des militaires en politique intérieure », assure-t-il. Il condamne cette tentative de putsch, qu'il considère « comme une trahison de la nation turque ». Pour lui, le déroulement de cette tentative interroge, notamment, sur le rôle éventuel joué par le gouvernement. « Vous avez des informations de presse indiquant que des membres du parti au pouvoir étaient au courant de la tentative huit, dix, voire quatorze heures à l'avance », relève-t-il. « Ce coup d'État manqué, quels qu'en soient les auteurs ou les meneurs, renforce » le président et ses partisans, conclut-il.
Ex-allié devenu opposant du président Recep Tayyip Erdogan, il s'inquiète aujourd'hui des conséquences de la reprise en main qu'a initiée le dirigeant turc depuis l'échec de la tentative de coup d'État.
L'ancien imam évoque des appels lancés par des partisans du président Erdogan à s'en prendre aux sympathisants d'Hizmet, le mouvement qu'a inspiré Fethullah Gülen. « Dans un paysage comme celui-là, il n'est plus possible de parler de démocratie, de Constitution, d'une forme de gouvernement républicain », estime l'opposant. « Ce régime ressemble davantage à un clan ou à un gouvernement tribal », a-t-il dit, d'une voix faible. « L'histoire nous enseigne que les dictateurs peuvent accéder au pouvoir avec le soutien d'un grand nombre de gens », avance-t-il, évoquant même Adolf Hitler, Saddam Hussein et Gamal Abdel Nasser.
« Un État de droit »
Interrogé sur son éventuelle extradition, réclamée par le président Erdogan, il assure n'avoir « pas d'inquiétude » face à une tentative qu'il juge vouée à l'échec.
Interrogé par CNN, le président Erdogan a assuré qu'Ankara présenterait sous peu à Washington une demande formelle en vertu d'un « accord réciproque d'extradition des criminels ». Fethullah Gülen rappelle, lui, que le gouvernement a déjà tenté, en vain, d'obtenir son extradition après l'éclatement du scandale de corruption qui avait secoué la Turquie en 2013 et entraîné la démission de trois ministres. Les États-Unis « sont un État de droit », explique Fethullah Gülen. « Le droit est au-dessus de tout ici. Je ne crois pas que ce gouvernement va prêter attention à quelque chose qui n'est pas fondé en droit », martèle-t-il.
Le secrétaire d'État américain John Kerry a indiqué lundi qu'une extradition de Fethullah Gülen n'était pas envisageable en l'absence de preuves et qu'il appartenait aux autorités turques d'en fournir. Quand bien même la demande d'extradition aboutissait, l'opposant se dit serein. « Je mourrai un jour. Que ce soit dans mon lit ou en prison, je m'en fiche », lâche-t-il.
Si l'opposant ne s'inquiète pas pour son propre sort, il se dit en revanche préoccupé par celui des relations entre Turquie et États-Unis. Il rappelle que des troupes turques s'étaient battues aux côtés de l'armée américaine durant la guerre de Corée et que les deux nations collaboraient depuis des décennies au sein de l'Otan, que la Turquie a rejointe dès 1952. « Si elle devait quitter l'Otan, la Turquie serait confrontée à un chaos de problèmes. Elle s'évaporerait. Elle serait finie », estime-t-il.
Thomas URBAIN/AFP
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20 h 36, le 20 juillet 2016