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Culture - Festival de Beiteddine

Et si tout le monde aspirait à s’aimer à la manière de Roméo et Juliette ?

Vingt-cinq ans après sa création, la tragédie éternelle est reprise par Angelin Preljocaj à l'Opéra de Vichy dans une relecture de son propre ballet, en collaboration avec Enki Bilal, qui en a dessiné les costumes et les décors. Ce spectacle voluptueux et bouleversant de sensualité a été présenté hier soir (et l'est ce soir encore) au palais des émirs.

Durant des instants de pure émotion, certains mouvements entre Roméo et Juliette se multiplient à l’infini... Press Photo Agency

D'origine albanaise et de mère analphabète, Angelin Preljocaj, adolescent, dévorait Enki Bilal, mais aussi Corto Maltese et Gotlib. À 12 ans, sa camarade de classe lui prête un livre, Le Monde merveilleux de la danse, avec une photo de Rudolf Noureev et une légende fascinante : « Noureev transfiguré par la danse ». Vêtu de son kimono de judo et d'un tee-shirt, il pourchasse l'image et avouera : « La figure du danseur russe fuyant le régime soviétique alors que mes parents étaient eux-mêmes réfugiés albanais m'a impressionné. Noureev était une étoile à atteindre. » Il réussira à l'approcher bien des années plus tard, quand il dirigera le ballet de l'Opéra national de Paris. Sa carrière était déjà toute tracée.

Un thème pour l'éternité
Le drame des amants, que tout sépare et qui tendent inlassablement l'un vers l'autre, est réactivé sans arrêt par la société et par la politique. C'est ce qui fait la contemporanéité de ce ballet, présenté hier soir (et ce soir encore) au Festival de Beiteddine. Partout où il y a des conflits, il y a de potentiels Roméo et Juliette. Sur la musique intense de Prokofiev et la scénographie sombre et inquiétante d'Enki Bilal, qui exprime cet univers totalitaire, le thème de l'amour tragique est exprimé avec toujours autant de force et il plonge le spectateur dans une empathie absolue avec les interprètes. Le chorégraphe Angelin Preljocaj transforme une histoire de famille en affrontement où deux classes sociales rivales s'opposent avec violence et radicalité.

L'histoire modernisée
Écrite dans le contexte des régimes totalitaires et concentrationnaires des pays de l'Est des années 90, la pièce du chorégraphe aixois s'inscrit encore en force dans l'actualité. Pas de Montaigu ni de Capulet, mais un affrontement entre une milice chargée d'assurer l'ordre social et un monde de sans-abris. Une mise en scène qui va dans le sens d'un univers sombre et austère où se confrontent oppresseurs et oppressés et qui renvoie à celui du joug soviétique qu'ont subi les parents du chorégraphe d'origine albanaise et ceux de son décorateur, né à Belgrade. Le drame de Shakespeare est emprunt de futurisme et de fantastique, et Roméo et Juliette, qui incarnent des amants mythiques à l'union proscrite, soulèvent encore, à travers les siècles, cette idée essentielle, celle de la liberté d'aimer.

Sensualité et tragédie
Le chorégraphe a habillé l'histoire d'un vocabulaire de gestes, de bras qui tournoient et qui se confondent avec les matraques ; de jambes qui se déploient à l'infini et qui poussent la forme le plus loin possible. Nul mouvement n'est gratuit et chaque pas a un sens dans cette danse très contemporaine. Preljocaj a totalement modernisé l'histoire. Il n'y a pas de scène de balcon, mais une sentinelle qui fait les cent pas à la lumière d'un projecteur braqué sur le public. Il réussit à revenir à la source du compositeur, en respectant la trame, du prélude romantique au funeste épilogue, tout en créant sa propre interprétation. D'une souplesse étonnante, les danseurs trouvent leur équilibre dans une puissance qui révèle une fragilité pour laisser passer la grâce. La musique fait écho aux vertiges de l'amour et à son déchirement. Durant des instants de pure émotion, certains mouvements se multiplient à l'infini telle la scène d'amour, comme si tout le monde aspirait à s'aimer à la manière de Roméo et Juliette. Dans un silence total accentuant la beauté des gestes d'une esthétique sublime, Preljocaj réussit à nous envoûter en achevant le spectacle sur un duo qui sublime le défaut de mouvement et sa puissance. Une fois de plus, il aura foulé avec brio ce territoire où le corps est l'ultime moyen d'expression.

« Ya mal el-Cham », samedi 23 juillet

Plus qu'un spectacle, une prière, un chant pour appeler à l'espoir, à la paix et la tolérance. C'est ainsi que se présente Ya mal el-Cham, concert mené samedi 23 juillet dans le magnifique cadre du Salamlek du palais de Beiteddine par les maîtres du oud Naseer Shamma et Charbel Rouhana, avec la chanteuse syro-arménienne Lena Chamamyan, accompagnés par l'Orchestre oriental libanais et l'ensemble canadien OktoEcho dirigé par Katia Makdissi-Warren.
Une production du Festival du monde arabe de Montréal qui avait invité ces artistes arabes, figures emblématiques de leurs pays, à «rendre hommage aux peuples arrachés à leurs rêves printaniers qui assistent, impuissants, au spectacle de leur destinée».
Ya mal el-Cham est le titre d'une célèbre chanson du patrimoine musical syrien, mais aussi l'héritage de l'âge d'or du monde arabe.
Un concert/hymne dédié à ceux et celles qui, de la Syrie à l'Irak, en passant par l'Égypte, la Palestine et le Liban, «vivent sous le joug de l'oppression, mais qui continuent tout de même à résister, à réclamer, à vouloir».

 

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