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Culture - Série télé

« Baby Reindeer », la série qui cartonne autant qu'elle dérange

Dans la mini-série de sept épisodes qui bat tous les records d'audience, le comique britannique Richard Gadd détaille, jusqu’au bout de l’horreur, le harcèlement qu’il a subi entre 2015 et 2018 par une femme dont il dissimule soigneusement l’identité. 

« Baby Reindeer », la série qui cartonne autant qu'elle dérange

Donny et Martha dans la série « Baby Reindeer ». Photo Netflix

Le 11 avril, les abonnés à Netflix du monde entier découvraient, dans la section nouveautés proposées par la plateforme, une série intitulée Baby Reindeer. Mon petit renne, en français. Contrairement aux séries lancées en grande pompe et dont on peut prévoir le succès avant même leur sortie, Baby Reindeer ne bénéficiait pas au départ d’une promotion substantielle. Et pourtant, il aura suffi de seulement trois jours pour que la mini-série britannique plutôt « confidentielle » totalise d’abord près de 3 millions de vues, pour ensuite, dès la semaine suivante, enregistrer une augmentation de 408 % de ses heures de vue, se plaçant à la première place du classement mondial Netflix, dont celui du Liban, avec pas moins de 13,3 millions de vues. En troisième semaine, Baby Reindeer conservait sa première place sur ce classement avec un chiffre record de 22 millions de vues. Comment expliquer ce triomphe totalement imprévu et que le communiqué de presse de la plateforme de streaming qualifie de « jamais vu » ? Pourquoi Baby Reindeer est-elle sur toutes les lèvres et tous les écrans, suscitant même une fascination proche de l’obsession auprès de certains de ses fans ? On vous explique tout.

41 071 e-mails, 350 heures de messages vocaux, 744 tweets, 46 messages Facebook et 106 pages de lettres

À première vue, ou sinon par facilité, on serait tenté de ranger Baby Reindeer au rayon des documentaires criminels. C’est qu’en sept épisodes de trois heures au total, la série raconte, jusqu’au moindre recoin de sa terreur, le harcèlement subi par Donny (Richard Gadd) – un humoriste perdu et prêt à tout pour le devenir –, de la part de Martha Scott (Jessica Gunning) pendant deux ans, avant qu’il ne se décide à porter plainte et que la harceleuse ne soit finalement arrêtée et jugée.

Pour joindre les deux bouts, Donny habite gratuitement chez la mère de son ex-copine et officie en tant que barman dans un pub de Camden, à Londres. Un après-midi, une femme ronde d’à peu près vingt ans son aîné s’installe au comptoir du pub en question. Elle pleure. Donny, dont on découvre au fil des épisodes l’étendue des fêlures, ressent de la compassion, peut-être même une sorte de connexion envers cette étrangère en larmes et en pleine détresse. Il lui offre une tasse de thé, poliment. Et là, à partir du moment où son regard croise celui de Martha, dont il est impossible de ne pas tout de suite discerner la folie, les portes de l’enfer s’ouvrent pour Donny. À cette seconde même, les pleurs de celle qui se fait passer pour une avocate se transforment en un rire fou et aux accents sardoniques, et celle-ci se construit, dès lors et à la force de sa maladie mentale, une réalité parallèle où elle est en couple avec Donny qu’elle surnomme déjà « my baby reindeer ».

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À quelques détails près, l’histoire ou plutôt le cauchemar de Donny ne sont autres que ceux de Richard Gadd, acteur et réalisateur de Baby Reindeer. Ce dernier avouait à The Independent en 2019 qu’à l’instar du protagoniste de sa mini-série, il avait reçu de sa harceleuse, entre fin 2015 et 2018, 41 071 e-mails, 350 heures de messages vocaux, 744 tweets, 46 messages Facebook, 106 pages de lettres, des somnifères, un bonnet en laine, un caleçon et un renne en peluche. D’ailleurs, la même année, en 2019, il jouait sur les planches du festival Edinburgh Festival Fringe son spectacle Baby Reindeer dont le succès a sans doute conduit Netflix à en produire une adaptation.

Donny (Richard Gadd) dans la série « Baby Reindeer ». Photo Netflix

Pas de victime ou de bourreau

Tout au long des sept épisodes, Richard Gadd détaille, avec un réalisme symptomatique du style anglais, l’invasion de la vie de Donny par Martha Scott. La réalité est en ce sens la seule et unique matière première à partir de laquelle il compose sa semi fiction. L’incursion psychotique de Martha dans le public de ses spectacles d’humouriste, sur son lieu de travail au pub, sur le seuil de sa maison, et même de celle de ses parents, puis, à chaque fois qu’il tente de se sortir d’elle, la violence de Martha qui va crescendo et finit par se manifester, physiquement, contre lui et ses proches, notamment la femme trans qu’il voit en cachette... Certes, Richard Gadd découd avec une minutie obsessionnelle le moindre fil de cette toile d’araignée où Martha l’a pendant deux ans enfermé, hissant de ce fait sa mini-série à la trempe des grands thrillers. Mais plus profondément, la force et le côté troublant de Baby Reindeer résident d’abord et surtout dans le fait que Richard Gadd y dépeint son autoportrait, trouble et troublant. Il montre Donny, et se montre, donc, comme victime de lui-même, avant d’être la victime de Martha. Cela dit, il ne cherche pas à inverser les rôles ou même exempter celle qui le harcèle et l’envahit, au nom de quelque féminisme. Richard Gadd fait en revanche avancer son récit sur le fil ténu qui sépare la complexité de sa masculinité explosée, et les troubles psychologiques de Martha Scott. Il va même jusqu’à mettre en scène son masochisme et son incapacité à se sortir de ses démons ; ce qui explique pourquoi il a mis, dans la vraie vie, autant de temps pour finalement aller porter plainte contre sa harceleuse et pourquoi, surtout, par moments, il allait lui-même la chercher. Tout cela en ayant pourtant appris dès le premier jour, à la faveur d’une simple recherche sur internet, que cette dernière avait déjà été condamnée pour le harcèlement d’un enfant. Un autre élément crucial du récit, les viols à répétition qu’a subi Richard Gadd par un mentor de l’industrie qu’il appelle « Darien » dans la série, quelques années avant de rencontrer « Martha ». En détaillant ces agressions, non seulement le réalisateur et acteur révèle sa faille intérieure où s’est vraisemblablement glissée  « Martha », mais il met aussi en lumière le système d’oppression silencieuse qui sous-tend le show business. Sur le papier, l’histoire aurait pu s’arrêter là, d’autant plus que comme l’avait confié Richard Gadd au magazine GQ au moment de la sortie de la série, « Nous avons pris toutes les précautions possibles afin de dissimuler l’identité de la vraie harceleuse, au point que je ne pense pas qu’elle pourra elle-même se reconnaître. » Pourtant, en choisissant de semer le doute entre le réel et l’imaginé, Gadd ne pouvait pas imaginer que les fans de la série, et les siens en premier, resteraient sur leur faim et prendraient les choses en main pour démêler le faux du vrai…

Martha, jouée par Jessica Gunning. Photo Netflix

Quand la fiction devient réalité

Aussitôt la mini-série sortie et devenue virale, les internautes, en masse et enflammés, se sont lancés dans une véritable chasse aux sorcières pour retrouver le vrai Darien et, bien entendu, la vraie Martha. Au fil de leurs recherches dignes d’une véritable enquête policière, certains internautes ont affirmé avoir d’abord deviné l’identité de Darien. Selon eux, il s’agissait de l’un des proches collaborateurs de Richard Gadd, l’écrivain et scénariste Sean Foley, qui s’est aussitôt retrouvé harcelé et menacé de mort. À tel point que Gadd a dû prendre la parole sur son compte Instagram pour défendre son ami, arbitrairement mis en cause : « Bonjour tout le monde, des personnes que j’aime, avec qui j’ai travaillé et que j’admire – y compris Sean Foley – sont injustement pointées du doigt. Veuillez ne pas spéculer sur l’identité des vraies personnes. Ce n’est en aucun cas l’intérêt de notre série. » De son côté, Sean Foley a réagi sur son compte X en disant que « la police a été informée et enquête sur tous les messages diffamatoires, abusifs et menaçants à mon encontre ». En même temps, sur la toile embrasée, le nom d’une certaine Fiona Harvey s’est mis à circuler, et un hashtag à son nom compte à ce jour plus de 100 millions de vues sur TikTok seulement. Comme son double imaginaire dans Baby Reindeer, il se trouve que Fiona Harvey est écossaise, elle a environ vingt ans de plus que Gadd, elle a étudié le droit et, selon le Daily Mail, elle avait auparavant harcelé l’enfant d’un avocat. Sur son compte X @FionaHarvey2014 retrouvé par des internautes et où elle s’adresse régulièrement à Richard Gadd à coup de messages insistants et incompréhensibles, on découvre également un tweet datant de septembre 2014 et qui dit : « @MrRichardGadd, my curtains need hanging badly. » Cette phrase n’est autre qu’une réplique de Martha qui revient souvent dans Baby Reindeer. À force d’avoir été harcelée, il semblerait que Fiona Harvey soit la femme dont le Daily Mail révélait qu’elle s’était anonymement présentée aux bureaux de sa rédaction pour donner sa version de l’histoire. Elle aurait dit avoir déjà rencontré l’acteur qui lui aurait fait des avances, mais elle nie l’avoir harcelé, prétendant être une victime et se comparant même à Johnny Depp dans son affaire avec Amber Heard. En somme, en voyant la manière dont Richard Gadd s’est débrouillé, exprès ou par accident, pour que la fiction déborde sur la réalité et vice versa, on comprend mieux le succès phénoménal de Baby Reindeer… 

Le 11 avril, les abonnés à Netflix du monde entier découvraient, dans la section nouveautés proposées par la plateforme, une série intitulée Baby Reindeer. Mon petit renne, en français. Contrairement aux séries lancées en grande pompe et dont on peut prévoir le succès avant même leur sortie, Baby Reindeer ne bénéficiait pas au départ d’une promotion substantielle. Et pourtant,...
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