Inauguré en mars 2015 par la municipalité de Bickfaya, le centre de tri Bi Clean dirigé par Nicole Gemayel collecte à présent plus de 80 % des déchets ménagers en provenance de Bickfaya, Mhaidsseh, Sakiet el-Misk et Bhersaf, pour les redistribuer à des associations qui se chargent du recyclage.
Dans les rues de Bickfaya, pas un bac à ordures ni d'odeur fétide de déchets pour gâter le centre-ville. Trois fois par semaine, les agents de la municipalité effectuent un drôle de porte-à-porte. Ils ramassent les ordures au pas de chaque maison. « Il y a un suivi, les gens de la municipalité vérifient pendant la collecte que le tri a été correctement effectué. Si ce n'est pas le cas, ils laissent les sacs », raconte Michel Abi Raad, responsable du Centre de lecture et d'animation culturelle de la localité de Bickfaya, heureuse que sa municipalité « donne l'exemple pour le reste du Liban ».
À quelques kilomètres en contrebas, l'usine de tri des déchets Bi Clean turbine pour traiter les 10 tonnes de déchets hebdomadaires, contre les 8 tonnes à sa création en mars 2015. Sous un dôme en aluminium, les 16 ouvriers trient le plastique, les déchets organiques et le papier. En 6 minutes, à la chaîne, ils en feront un paquet, comme une compression de l'artiste César. Deux chefs de chantier s'ajoutent à la main-d'œuvre du site. Payés par Bi Clean, donc par la municipalité, les ouvriers travaillent « plus de 14 heures par jour pour 500 dollars par mois », indiquent à l'arrière de l'usine, en anglais, Raj Vinder Kumer et Ravindra Gouma, deux employés de Bi Clean, venus du Penjab en Inde.
Les ordures sont ensuite envoyées aux associations qui réutiliseront les matériaux, à l'instar de Soliver pour le verre ou de fermes locales, qui transforment les déchets organiques en compost. Le papier propre, lui, est racheté par Gemayel Frères, dont l'usine est à un jet de pierres de celle de Bi Clean. L'entreprise Gemayel Frères les transformera en présentoirs en carton ou des reliures de livre.
Demeurent les 20 % de papier sale, comme le papier hygiénique, « dont même l'État ne sait pas quoi faire », explique Lina Gemayel, l'une des responsables de Bi Clean. Ce papier est transporté par la municipalité dans les déchetteries nationales. Aucun des déchets de Bickfaya n'est enfoui. « Nous sommes en pourparlers avec un pays arabe pour envoyer tous les verres colorés, non traités au Liban, avec celui récolté par les autres ONG », ajoute Lina Gemayel, fière de présenter ce qui serait une première dans le tri des déchets au Liban.
Une aide de l'État encore inexistante
Avant d'être élue récemment présidente de la municipalité de Bickfaya, Nicole Gemayel fonde le centre de tri. « Bi Clean n'est ni une entreprise ni une association, c'est une initiative de Nicole Gemayel, en lien avec la municipalité », précise Lina Gemayel. Bi Clean a reçu un soutien logistique de l'ONG Arcenciel, qui lutte contre l'incinération et l'enfouissement. L'ONG est elle-même soutenue par l'Union européenne et l'ONG Acted.
En mars 2015, lorsque Samy Gemayel était venu inaugurer le centre de tri, le chef du parti Kataëb avait comparé Sukleen à des « voleurs ». Lina Gemayel y va aussi de son compliment : « Sukleen disait qu'elle traitait 20 tonnes par mois, nous sommes à 10 tonnes par semaine, mais le coût a diminué de trois quarts. Sukleen faisait payer à la municipalité 100 dollars par tonne de déchets traités. Nous en sommes à 44 dollars par tonne », souligne Lina Gemayel.
« Nous sommes encore trop jeunes pour établir un budget cette année. Les machines et l'usine ont coûté près de 100 000 dollars », précise Lina Gemayel. Les outils ont été achetés en partie par les fonds propres de Bi Clean et grâce à l'aide d'entreprises locales.
Bi Clean travaille pour la municipalité de Bickfaya, mais ne reçoit pas encore d'aide de l'État pour le tri qu'elle effectue : « L'État n'a pas encore rendu l'argent que prenait Sukleen à la municipalité, nous ne savons pas quand ce sera fait », relève Lina Gemayel. La responsable ajoute que c'est pour cette raison que les habitants de Bickfaya ne paient encore aucun impôt pour ce tri : « Nous ne prélevons pas encore de taxe municipale. »
L'éducation au tri des ordures
Au cœur du centre-ville, Marie-Thérésa el-Kazzi, 16 ans, Manuella el-Kazzi, 14 ans et demi, Joya Janho, 13 ans, vivent toutes les trois à Bickfaya. Les trois jeunes filles attablées à la bibliothèque municipale s'emmêlent les pinceaux lorsqu'elles doivent se souvenir de quelle couleur est le sac où l'on dépose le plastique. La plus grande n'a jamais reçu de formation au tri à l'école. Joya, elle, a été sensibilisée très tôt grâce aux ateliers organisés par l'école et Bi Clean. Le musicien Paul Abi Rached de l'association T.E.R.R.E Liban est venu dans sa classe pour raconter le recyclage en chanson.
À côté d'elles, Nahida el-Murr et sa fille Farah Saliba habitent à Bteghrine, à quelques kilomètres de Bickfaya : « Chez nous, les déchets sont jetés dans le vallon ou brûlés. » Les deux femmes sont remontées : « Même si on essaie de sensibiliser les femmes de la municipalité en particulier au tri, personne ne nous aide au quotidien pour transporter les déchets. L'État doit imposer le tri aux citoyens. »
Dans la grande rue de Bickfaya, sur la terrasse qui donne sur le Sérail, gît un tas d'ordure abandonné. « Les gens des villages alentour qui passent par Bickfaya jettent leurs déchets n'importe où, nous avons donc retiré les grandes poubelles », dit d'un ton désolé Lina Gemayel. Bi Clean est en pourparlers avec deux villages voisins sans municipalité, sur les 11 annoncés en mars 2015, pour gérer le tri de leurs déchets en priorité.
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commentaires (6)
Bravo.
Paul Chapman
01 h 04, le 19 juillet 2016