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Culture - Photo

Pourquoi les Beyrouthins ne prennent-ils jamais le bus ?

Au croisement Cola, le long de la corniche, à toute heure du jour et de la nuit, les bus à Beyrouth sont partout, charriant des effluves de goudron et de... jasmin le long de leurs routes aléatoires. Pourtant, une partie de la population semble fermer les yeux sur leur existence. Avec leurs plaques vermeilles pour la plupart fièrement illégales, leurs colliers de gardénias accrochés au rétroviseur, qui oscillent au gré des pirouettes des conducteurs, et leur application folklorique du code de la route. Au-delà du joyeux capharnaüm de leur organisation pour le moins pittoresque, des Beyrouthins ont décidé d'ouvrir les yeux sur la richesse cachée des transports publics de la ville : c'est la devise du collectif « Bus Map Project ». Jad Baaklini, cofondateur du projet avec Chadi Faraj, utilise la photographie et les cartes afin de regarder les bus autrement.
« Certes, il y a énormément de problèmes dans le secteur, mais pendant trop longtemps, nous, acteurs de la société civile, nous sommes concentrés sur les dysfonctionnements. À tel point que les transports publics ont été entièrement obscurcis. Tout ce qu'on voit, c'est un chaos confus, une mafia et des plaques rouges. Certaines personnes ne connaissent même pas l'existence des bus ici ! Nous, nous avons envie de crier haut et fort : Oui, les transports publics – quelle que soit leur forme – existent bel et bien au Liban, et ils sont utilisés par des milliers d'individus. » Le Bus Map Project entreprend donc de cartographier et de documenter les différentes lignes, qui serpentent et évoluent souvent au gré de l'humeur des conducteurs.

« Le changement n'attend pas de solution idéaliste »
« Un pays développé n'est pas un pays où les pauvres ont des voitures, c'est un pays où les riches utilisent les transports en commun. » Les mots de Gustavo Petro, maire de Bogotá, résonnent dans la capitale libanaise, congestionnée par des embouteillages toxiques qui, selon l'agence de consultation Team International, rallongent le temps de trajet moyen en voiture à Beyrouth de 50 à 70 % et génèrent une perte économique colossale de 10 % du produit intérieur brut (2010). Les milliers de bus en service pourraient être une solution, mais ils sont très peu visibles. « Les transports publics sont négligés autant par les décideurs que par les citoyens, continue Jad Baaklini. Actuellement, il y a un très grand décalage entre les utilisateurs de bus par nécessité et par choix. Au vu du volume de voitures dans la ville, il semble que très peu de citoyens font le choix de prendre le bus. L'excuse traditionnelle est que la situation ne changera pas tant que les transports publics ne seront pas améliorés, c'est-à-dire que les personnes qui peuvent se permettre de ne pas prendre le bus ne le prendront jamais, à moins de monter dans un tramway clinquant et flambant neuf. Nous voulons promouvoir la logique exactement inverse : nous pensons que les habitants doivent être introduits aux transports en commun, pour qu'ils puissent adapter leur rythme à eux, et par conséquent être capables d'influencer directement la façon dont le système se développe. » Alors, le droit au transport public au Liban sera défendu par ses utilisateurs pragmatiques, et non pas par des aspirants bien-pensants qui n'abandonneraient leurs voitures qu'à la seule condition d'un système parfait tombé du ciel – pollué et écroulé de soleil – de Beyrouth.


(Lire aussi : De futurs architectes s’attaquent aux problèmes du transport public au Liban)

 

La photographie contre la nostalgie
Pour combattre les préjugés et les stigmates attachés aux bus bringuebalants de la ville, le Bus Map Project utilise la photographie. À partir de ce jeudi 15 juillet, il lance une vaste initiative à laquelle tous peuvent participer : le Bus Map Photo Action, en collaboration avec l'ONG Frame et leur application de photographie collective et participative. Amoureux de la ville, artistes curieux et utilisateurs nonchalants sont invités à capturer les détails qui font le charme moderne des bus. Les images seront ensuite rassemblées et exposées le 23 juillet à Mansion*, afin de dessiner progressivement des essais photographiques, des cartes thématiques et des textes produits grâce aux fragments collectés par les explorateurs. En se détachant du regret, de la nostalgie, de la complaisance, il s'agit de s'attacher aux différentes composantes anecdotiques ou essentielles qui donnent vie au système : les conducteurs, les passagers, le bus lui-même, les arrêts sur la route... « Nous voulons aussi mettre en lumière les milliers de vies entremêlées dans ce système », ajoute Jad Baaklini. « Nous partons toujours de deux valeurs essentielles à nos yeux : la collaboration et l'incrémentation. La collaboration s'applique dans tout le secteur, entre les activistes, les décideurs et les usagers. Les idées et les politiques ne devraient pas être appliquées par la force ou artificiellement par le haut. Les progrès ne seront faits que graduellement, pour instaurer des solutions durables et pas uniquement techniques. À long terme, nous espérons évoluer dans cette direction », précise-t-il. À Beyrouth, les problèmes ne viendraient finalement pas d'une absence d'organisation mais d'un manque de coordination.

Klaxons fanfarons
Le collectif a également récemment enregistré une nouvelle ONG, Jam3iyet 7u2oo2 el-Rikkeb (l'association des droits des usagers de bus), et attend la réponse du ministère de l'Intérieur. En impliquant directement les utilisateurs, ils espèrent secouer les idées reçues et les sièges de cuir usés des bus et des vans qui sillonnent la ville chaque jour. Avec, à l'intérieur, la même chanson de Shiraz qui passe en boucle, témoignage éphémère du goût musical douteux ou du second degré ravageur des conducteurs. Des mégots et des paquets de chewing-gum goût pastèque qui passent de main en main, des billets bleu-vert de 1 000LL qui s'entassent près du volant, les colliers de gardénias identiques qui se balancent éternellement et les passagers qui tentent leur bonne fortune en grimpant dans un bus qui file, ivre de vitesse, le long du pont Salim Salam. Le mot de la fin revient à Hassan, conducteur espiègle de la ligne 16 qui descend inlassablement de Hazmieh à Cola et qui révèle : « Ne courez jamais après un autobus où une femme à Beyrouth : il en arrive toujours d'autres cinq minutes plus tard. »

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Calendrier du Bus Map Photo Action
– Le 15 juillet : réunion d'information à Mansion.
– Du 16 au 18 juillet : exploration et photographie des bus de Beyrouth.
– Le 23 juillet : collecte, exposition et exploitation des photographies à Mansion.

 

 

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commentaires (4)

Parce qu'ils préfèrent ...le chemin de fer et le métro...

M.V.

14 h 55, le 13 juillet 2016

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Commentaires (4)

  • Parce qu'ils préfèrent ...le chemin de fer et le métro...

    M.V.

    14 h 55, le 13 juillet 2016

  • ILS LE DETESTENT ET EN ONT PEUR... DE QUOI ? DE CE QUI EST DEJA ARRIVE UNE FOIS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 18, le 13 juillet 2016

  • Parce qu'on prefère le metro...

    Nadine Naccache

    13 h 14, le 13 juillet 2016

  • D'un côté on sollicite l'aide de la France et d'un autre on anglicise le pays au pas de course... "Bus map project" ne veut rien dire pour un Libanais normal bilingue francophone, né avant 1940. Entre le trilinguisme et le bilinguisme, il faut choisir.

    Un Libanais

    12 h 05, le 13 juillet 2016

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