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Liban - Interviews express

Face au terrorisme, des réactions à géométrie variable au Liban

Au moins 200 morts dans un attentat à la voiture piégée en Irak, et pourtant, ce sont les attentats-suicide contre des mosquées et la ville sainte de Médine en Arabie saoudite qui émeuvent et suscitent le plus de condamnations au Liban. Discrimination ?
Géométrie variable ? Banalisation de la violence ? Un religieux sunnite, Mohammad Nokkari, et un sociologue, Michel Abs, tentent d'expliquer le phénomène.

Après l'attentat perpétré lundi 4 juillet à Médine, en Arabie saoudite. REUTERS/Stringer

Cheikh Mohammad Nokkari, juge chérié et professeur à l'USJ :
Les morts finissent par devenir des numéros

Propos recueillis par Suzanne BAAKLINI

Pourquoi y a-t-il eu beaucoup plus de réactions politiques et publiques aux attentats en Arabie saoudite, notamment celui qui a visé la ville sainte de Médine, qu'au dernier attentat contre des civils à Bagdad, qui a fait plus de 200 morts ?
Il y a plusieurs facteurs qui expliqueraient cela. D'une part, il faut malheureusement constater que les attentats meurtriers à Bagdad sont de loin plus récurrents qu'en Arabie saoudite et, pour le public, il y a le facteur de l'habitude. D'autre part, le dernier attentat en Arabie saoudite a visé le deuxième lieu le plus saint de l'islam : en soi, cet attentat a prouvé que ces gens-là (les jihadistes), malgré toute leur propagande, n'ont rien à voir avec l'islam. Ils sont étrangers au corps des pays arabes et font revivre un terrorisme vieux de mille ans – comme celui perpétré par la secte des Assassins –, probablement pour concrétiser des visées devant mener à une partition dans la région.

Vous avez vous-même parlé du facteur de l'habitude pour l'Irak. Y a-t-il une banalisation de la violence dans la région ?
Quand la crise syrienne a commencé, nous étions systématiquement scandalisés par les images de guerre et de massacre. Aujourd'hui, Alep est sur le point d'être anéantie et personne ne bouge. Le fait de s'habituer à ces images de violence est très dangereux. Il n'y a plus que les intellectuels engagés qui réagissent. Au Liban, en Syrie et ailleurs dans la région, nous avons vécu les affres du terrorisme et nous savons que la solidarité à notre encontre n'est pas toujours au rendez-vous. Les morts finissent par devenir des numéros plutôt que des noms d'êtres disparus. Pour moi, il faut observer ce qui se passe en Occident en pareil cas : apprendre à parler des victimes de façon plus continue, organiser des événements de commémoration, demeurer proches des familles en deuil. Il faut créer une mémoire collective autour des martyrs, tous les martyrs. Si l'État est négligent, ce sera à la société civile de réagir.

Pourquoi autant d'attentats durant le mois du ramadan, d'après vous ?
Pour ne citer que cet exemple, au cours de la guerre civile en Algérie, la violence montait d'un cran systématiquement durant le mois du ramadan : les terroristes décimaient parfois des villages entiers et s'accusaient mutuellement de crimes avec les forces étatiques. Le mois du ramadan est celui de la grâce : perpétrer des violences en cette période de l'année prouve une nouvelle fois que ces groupes sont essentiellement non religieux. On parle trop peu de toutes les mosquées et tous les sites soufis que l'État islamique a détruits en Irak, tous les cheikhs qu'il a tués... En tant que musulman sunnite modéré et croyant sincère, je me sentirai en danger plus que d'autres si Daech devait attaquer le Liban. Le problème, c'est que ces groupes finissent par donner une idée faussée de l'islam à ceux qui ne connaissent pas bien cette religion, alors même que les violences perpétrées en plein mois saint, au nom de la religion, contribuent à éloigner les musulmans de leur propre foi. Pour moi, ils sont le Mal absolu.

 

 

(Lire aussi : Le monde musulman indigné par l'attentat de Médine)

 

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Michel Abs, sociologue : Un phénomène d'« habitude »
face aux actes terroristes

Propos recueillis par Claude ASSAF

Comment expliquez-vous les réactions inversement proportionnelles à la gravité des attentats de Bagdad et de Médine, sachant que le premier a fait plus de 200 victimes alors que l'autre a causé la mort de quatre personnes ?
C'est d'abord une affaire d'habitude. En Irak, les actes terroristes sont devenus si fréquents que les réactions baissent en intensité face à une violence continue. L'État, déstabilisé par l'intervention des États-Unis (en 2003), est si faible que la sécurité y est incontrôlable, ce qui favorise la multiplication d'attentats vis-à-vis desquels les gens ne s'émeuvent plus beaucoup.
En outre, les Libanais ont exprimé plus vivement leur indignation vis-à-vis de l'attentat-suicide perpétré près de la mosquée du Prophète à Médine, parce que cette cible est un site religieux, ce qui a provoqué chez les croyants le sentiment d'être agressés dans un symbole de leur foi et les a poussés à se mobiliser. Par ailleurs, les Libanais ont beaucoup plus d'intérêts en Arabie saoudite qu'en Irak. Aux plans personnel, politique, économique, ils ont davantage de liens avec le royaume wahhabite, d'autant qu'ils sont nombreux à y résider et à y avoir leur gagne-pain.
Tous ces facteurs expliquent pourquoi les communiqués de condoléances, les déclarations de solidarité et les témoignages de sympathie et de soutien se sont déversés beaucoup plus abondamment après l'attentat en Arabie saoudite qu'à la suite de celui de Bagdad.

Pensez-vous que les Libanais tendent vers une banalisation de la violence ?
Les Libanais sont las. Ils sont écrasés par le poids des problèmes quotidiens dans un pays en débâcle, voire en anémie complète, ils n'ont plus peur et sont devenus fatalistes. Beaucoup ont désormais une tendance suicidaire : il suffit de voir comment les jeunes conduisent. Ils sont même devenus indifférents face à la mort. Celle des autres et la leur propre.

Comment réagissent les Libanais lorsque la violence frappe plus particulièrement leur pays ?
En dépit des tendances suicidaires dont pâtissent de nombreux citoyens, la société libanaise sait qu'on ne badine pas avec la sécurité. Pour faire face au danger qui menace, toutes les dissensions politiques et confessionnelles sont mises de côté. La solidarité est de mise, et on observe beaucoup de compassion entre les individus, à quelque bord qu'ils appartiennent. Je vous donne l'exemple d'un jeune technicien informaticien, militant du Hezbollah, qui se trouvait à mon bureau quand l'annonce de l'assassinat de l'ancien député Pierre Gemayel est tombée (en 2006). Il a réagi d'une façon tout simplement humaine, en exprimant sa très vive indignation face à « la perte d'un jeune », avait-il dit.
Même au niveau des services sécuritaires, l'appartenance politique ou religieuse est mise en veilleuse lorsque la menace guette. Le service de renseignements des FSI, la Sûreté générale, les SR de l'armée et la Sécurité de l'État coordonnent au quotidien, parce qu'ils savent que la solidarité est essentielle au moment où le bateau coule. Mais le plus inquiétant, ce sont les répercussions psycho-socio-politiques des actes de violence qui frappent le pays. Ce sont des messages historiques qui provoquent des blessures à jamais ouvertes, puisqu'ils cherchent à diviser la société en groupes ethno-religieux. Prenez les attentats-suicide de Qaa : par leur crime odieux, les auteurs ont voulu faire fuir les chrétiens de la région.

 

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commentaires (2)

DU GEOCONFESSIONNALISME... GEOOBSCURANTISME... SUNNITO-CHIITE ! LES AUTRES CONDAMNENT LES DEUX COTES...

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 58, le 07 juillet 2016

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Commentaires (2)

  • DU GEOCONFESSIONNALISME... GEOOBSCURANTISME... SUNNITO-CHIITE ! LES AUTRES CONDAMNENT LES DEUX COTES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 58, le 07 juillet 2016

  • L'information et l'émotion ( inséparable )... " c'est comme le jeu du yoyo ...c'est celui qui tient la ficelle ...qui peut le faire monter au descendre ..." (proverbe chinois)..

    M.V.

    09 h 08, le 06 juillet 2016

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