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Liban - Conférence

Georges Naccache, l’homme, le journaliste, le visionnaire

Trois personnalités, Samir Frangié, Lucien George et Camille Menassa, ont rendu hommage à Georges Naccache, lors d'une conférence-débat organisée jeudi dernier par les Rencontres culturelles en collaboration avec « L'Orient-Le Jour ».

Les trois conférenciers, Camille Menassa, Lucien George et Samir Frangié. Photo Michel Sayegh

« Deux négations ne font pas une nation. » Cet éditorial désormais célèbre avait valu à Georges Naccache trois mois de prison ferme et six mois de suspension de L'Orient, quotidien qu'il avait fondé en 1924, à l'âge de 22 ans, avec son collègue Georges Khabbaz. Retour donc sur un grand homme, journaliste, poète, politique, diplomate, et surtout visionnaire, en la cathédrale Saint-Élie des arméniens-catholiques, à Bab Idriss, dans le centre-ville de Beyrouth.
Pour rendre hommage à Georges Naccache, trois grosses pointures qui l'ont côtoyé pour avoir travaillé à ses côtés : Samir Frangié, Lucien George et Camille Menassa. Mais aussi un parterre de personnalités politiques, culturelles, religieuses et médiatiques, parmi lesquelles le magistrat Antoine Kheir, membre du Conseil constitutionnel, l'ancien ministre Jacques Tchoukhadarian, l'évêque de Beyrouth des arméniens-catholiques, Manuel Batakian, ainsi que les membres des Rencontres culturelles, le père Rafi Ohannesian, Mireille Khanamerian, Georges Dorlian, Aouni Khoros, Mozart Chahine...

Trois facettes d'un homme
Les trois facettes de l'homme, sa personnalité, le journaliste hors du commun et enfin le visionnaire. C'est ainsi que le journaliste Lucien George présente son ancien mentor qu'il a connu à 18 ans. « J'ai vécu dans sa mouvance jusqu'à sa mort. Il ne m'a rien enseigné, mais il m'a tout appris », dit-il, évoquant son « maître, non pas à penser, mais à apprendre à penser ». Le fondateur du Monde édition Proche-Orient présente Georges Naccache comme « un homme simple, sans un brin de vanité, sans fausse modestie non plus ». Et pourtant, « il aurait pu y avoir de quoi », observe-t-il, se rappelant les éloges de confrères français à l'éditorialiste concernant ses textes clairs, précis, élégants, concis, bien structurés et pensés...
Lucien George raconte alors « le journaliste flamboyant, le polémiste de haut vol, l'imprécateur, l'homme du brillant », celui des éditoriaux « Faites taire monsieur Chamoun » et « Deux négations ne font pas une nation », qui a goûté à la prison, « pour avoir osé dire tout haut cette vérité qui s'est tant vérifiée par la suite et qui est aujourd'hui plus vraie que jamais ». Il raconte aussi les phrases de Georges Naccache qui semblent « couler de source », guidées par son amour des mots justes, par son horreur de la « redondance », par son « perfectionnisme » surtout, qui le poussait à faire « mille et une retouches à ses textes, jusqu'à ce que le mot trouve sa juste place ».

C'est par quelques réflexions sur « le visionnaire » que M. George clôture sa présentation, ponctuée de lectures de passages d'éditoriaux rédigés par son ancien mentor. Visionnaire car le patron de presse, qui a « mené la presse libanaise à l'heure des moyens modernes de transmission et d'édition » et compris que « l'avenir au Liban et au Moyen-Orient appartenait au journal de langue arabe », avait « vu et admis que face au rêve libanais qui était le sien, il y avait un autre rêve, celui de l'islam libanais », sans oublier les difficiles relations avec la Syrie et les invasions israéliennes.

Le visionnaire
C'est également le visionnaire que raconte Samir Frangié, homme politique et ancien journaliste, qui a débuté à L'Orient en 1970 sous la direction de Georges Naccache et de Lucien George. Mais en quoi l'homme a-t-il été visionnaire ? « Ses idées, si elles avaient été prises en considération, nous auraient peut-être permis de faire l'économie d'un grand nombre de crises et de violences », affirme-t-il. Georges Naccache « met en garde – très tôt – contre les dangers du système confessionnel », dans son éditorial publié le 10 mars 1949, « Deux négations ne font pas une nation ». L'article « marque le début de la montée des tensions confessionnelles », et, « pour tenter d'empêcher le déclenchement de la guerre civile de 1958 », le patron de presse participe à la création d'une « troisième force », avant de prendre position pour « Fouad Chehab et son projet réformiste », rappelle Samir Frangié.
C'est aussi par sa volonté de « renouveler la politique à travers la participation de la jeunesse » que Georges Naccache a fait preuve de vision. Le journaliste écoutait les jeunes qui décriaient « le pouvoir confessionnel », « les passions primaires » et « l'exploitation éhontée qu'en faisaient les meneurs de jeu ». Il les entendait aussi récuser « l'avilissement de l'autorité, la corruption généralisée de l'administration, la débâcle d'une classe dirigeante qui a définitivement perdu le sens du respect », ajoute Samir Frangié. À ces jeunes d'ailleurs, le patron de presse avait affirmé que « le Liban qu'ils rejettent... peut s'honorer d'avoir créé la société peut-être la moins inhumaine du monde ».

L'homme politique reprend quelques textes de l'éditorialiste sur la débâcle, l'union nationale, les affrontements, les leaders qui se disputent les avenues du pouvoir... « Ces textes pourraient être utilisés aujourd'hui », constate-t-il. Visionnaire, Georges Naccache l'a été jusqu'au bout des ongles, dans son approche sur « la question sociale », lorsqu'il a dénoncé « la psychose du péril communiste », mais aussi en politique étrangère, lorsqu'il a décrit, dans un article publié en février 1937 sous le titre « l'idée fixe », « la nature du problème qui oppose le Liban à la Syrie ».

Le journaliste
Georges Naccache était poète, homme de lettre, homme politique, diplomate, homme d'action, journaliste. « Mais avant tout, il se réclamait journaliste », soutient à son tour Camille Menassa, qui avait fait ses premiers pas dans le journalisme aux côtés du patron de presse. « Les politiciens recherchaient d'ailleurs l'appui de ce polémiste redoutable, et ses collègues, les patrons de presse, ne l'aimaient guère, d'autant plus qu'il a édité un journal en langue arabe, al-Jarida, concurrent de qualité », se souvient M. Menassa. « Quant aux diplomates, ils attendaient impatiemment ses éditoriaux devenus sources précieuses pour la rédaction de leurs rapports. »
M. Menassa fait part de la chance qu'il a eue d'avoir Georges Naccache pour mentor, « cet homme hors du commun » auquel il vouait une « admiration » sans borne, et qui lui accordait une attention particulière, comme à toutes les personnes « de bonne volonté ». « Quand il fut nommé ministre de l'Information, j'ai collaboré avec lui en tant que directeur du journal télévisé et des programmes politiques de Télé-Liban, ainsi que des programmes de Radio-Liban », affirme-t-il.

En revanche, sur le plan professionnel, Georges Naccache était « cinglant, plein de verve, se caractérisait par un style mordant et une vaste culture, en plus d'être admiré et craint de tous. Muni de cet arsenal, il était à même de tenir le rôle principal dans l'assassinat politique de quelqu'un ou à l'inverse, contribuer à son ascension », observe M. Menassa, citant quelques articles de l'éditorialiste qui ont secoué la classe politique et l'opinion publique.
Racontant la petite histoire liée à la fusion entre les deux quotidiens francophones L'Orient et Le Jour, Camille Menassa rappelle les relations tendues entre les deux patrons de presse concurrents de L'Orient, Georges Naccache et du quotidien arabophone an-Nahar, Ghassan Tuéni, basées sur les principes de « respect et vengeance ». Ce n'est que quelques heures avant la signature du contrat de fusion que le patron de L'Orient a appris que son partenaire serait Ghassan Tuéni. « À l'étonnement général, il lance : "Heureusement que c'est lui." Il deviendra le patriarche du nouveau journal (L'Orient-Le Jour) », raconte M. Menassa. Avant de rendre hommage « au militant, à l'homme à plusieurs facettes, toutes brillantes », qui a su démontrer la puissance du verbe, mais aussi et surtout l'écœurement de l'opinion publique face « aux furieux affrontements, aux sordides règlements de comptes d'une classe politique » sous le couvert de la démocratie...

 

Pour mémoire
La double négation au service de la souveraineté libanaise

La pensée « libaniste » de Michel Chiha plus que jamais de mise dans le Liban d'aujourd'hui

« Deux négations ne font pas une nation. » Cet éditorial désormais célèbre avait valu à Georges Naccache trois mois de prison ferme et six mois de suspension de L'Orient, quotidien qu'il avait fondé en 1924, à l'âge de 22 ans, avec son collègue Georges Khabbaz. Retour donc sur un grand homme, journaliste, poète, politique, diplomate, et surtout visionnaire, en la cathédrale...

commentaires (9)

Je vous remercie de votre excellent article sur georges naccache. Vous avez malheuresement mr rene aggiouri qui a ete le bras droit de georges naccache directeur general de l orient et egalement un grand visionaire. Dommage

charles s gennaoui

09 h 34, le 05 juin 2016

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • Je vous remercie de votre excellent article sur georges naccache. Vous avez malheuresement mr rene aggiouri qui a ete le bras droit de georges naccache directeur general de l orient et egalement un grand visionaire. Dommage

    charles s gennaoui

    09 h 34, le 05 juin 2016

  • DES HOMMES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 08, le 04 juin 2016

  • De Naccache, fondateur de plusieurs institutions, on ne retient que ‘’’deux négations ne font pas une nation’’’, comme s’il s’agit d’une épitaphe. Sans céder à la moindre pédanterie, l’idée dans ce titre n’est pas de Naccache. Il l’a reprise pour en faire une formule en remplaçant dans la déclaration d’origine deux négations. Visionnaire ! Qui ne se méfie pas d’un visionnaire ou du conseiller d’un chef. Qui a prévu le désastre se lève, peut-être dans le marc d’un café. Quant au passé, chacun a sa propre vérité. Une histoire qu’on raconte et qu’on choisit de croire

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    11 h 41, le 04 juin 2016

  • … "semblent « couler de source », guidées par son amour des mots justes, par son horreur de la « redondance », par son « perfectionnisme » surtout, qui le poussait à faire « mille et une retouches à ses textes, jusqu'à ce que le mot trouve sa juste place". Quand ça coule de source, on ne procède à aucune retouche. Il fallait faire des textes sur mesure, de la culture générale… On n’est jamais parfait…

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    11 h 41, le 04 juin 2016

  • Georges Naccache : La peur fait divaguer les gens. J’ouvre un journal très respectable, et j’y trouve le propos d’un écrivain connu qui suppute les chances de sauvegarde "de la dignité du Minorisé et.... de la propriété privée." ! Qui préfère aussi les Barils d'Explosifs.... aux Takfiristes", ce distingué moraliste pour qui la désagrégation de civils à l'aide de Barils d'Explosifs est la nouvelle figure de la Grâce ! "Et moi les Takfiristes aux Barils d'Explosifs" lui répond un lecteur, qui promet cet esthète -là au poteau ! Qu’est-ce donc à dire, Hors de ces Barils d'Explosifs et de ces Takfiristes, nul choix n’est-il laissé à l’esprit ? Tel est le ton, cependant, du dialogue en ce 21ème siècle ; et il donne la mesure du désarroi universel !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    08 h 29, le 04 juin 2016

  • Deux négations ne font pas une nation résume toujours l'entité libanaise entre musulmans et chrétiens qui se voient toujours obligés de cohabiter sans jamais s'aimer .

    Sabbagha Antoine

    08 h 08, le 04 juin 2016

  • Interview de Georges Naccache : Quel sens a pour vous, aujourd’hui, ce passage du côté du pouvoir ? "Je ne ferai pas le dégoûté. On a fait appel à moi. Je n’étais pas un homme politique dans le sens conventionnel du terme. Je n’avais pas de base électorale. Dans une période de transition, on m’a confié des portefeuilles ministériels importants ! Je dois dire que dans la mesure où on sert la chose publique, et où on la sert vraiment en se dépassant, c’est une chance immense de n’être pas un politicien tout en ayant des fonctions gouvernementales. Car, à ce moment-là, vous n’avez pas les hypothèques et les servitudes des obligations électorales. On en retire des satisfactions immenses, dans la mesure où on peut aboutir à des réalisations dont l’efficacité s’étend à la collectivité. On est vraiment en service, mais dans une espèce de service supérieur. Cela dit, j’avais plus ou moins vécu en franc-tireur échappant à toutes les classifications, et tout d’un coup, j’étais investi d’une certaine dignité, d’une responsabilité et je me suis senti dédouané, non pas aux yeux des gens, mais à mes propres yeux. Et je me suis dit : Puisqu’on te confie une responsabilité assez importante dans des secteurs vitaux, c’est que tu n’es pas simplement un esthète et un bohème !".

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    08 h 07, le 04 juin 2016

  • M. Menassa : "Quand il fut nommé ministre de l'Information, j'ai collaboré avec lui en tant que directeur du journal télévisé et des programmes politiques de Télé-Liban, ainsi que des programmes de Radio-Liban." ! Aux temps du "Deuxième Bureau ? !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 31, le 04 juin 2016

  • Lucien George raconte l'homme du brillant, celui des éditoriaux "Faites taire monsieur Châmäoûn." ! Mais qu'est-ce qu'il aurait été bien aujourd’hui, face au béSSîîîl !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 25, le 04 juin 2016

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