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Culture - Beirut Design Week

Collaborations, curations, installations ? On ne badine pas avec le « design »...

Impressions mitigées post-événement où le terme design a été quelquefois relégué au deuxième plan et maintes fois employé à tort et à travers...

Les tapis de designer chez Iwan Maktabi.

L'Orient-Le Jour était parti pour saluer bien bas les efforts laborieux fournis pour la mise en place et l'organisation de la Beirut Design Week. Un parcours emballant la ville d'une étreinte bienveillante, des acteurs bigarrés et enjoués, des portes ouvertes à tout vent et des nuits blanches et fauves qui nous ont renvoyés aux temps bénis d'un Beyrouth souriant. Et puis, suivant le chemin tracé par les fanions rouges et au passage assez mal organisé, nous nous sommes retrouvés finalement face à une évidence : la Design Week, c'est surtout de la poudre aux yeux. Beaucoup d'euphorie et une énergie palpable comme l'on sait si bien en injecter ici, mais toutefois à la faveur d'un design tristement recalé au énième plan, et c'est un euphémisme. À quelques exceptions près évidemment, pour être justes et ne pas jeter tout ce beau monde dans un même panier de lacunes (cf. notre top 10).

Les mêmes héros
Les voix des moralisateurs bienséants se cachant sous le nénuphar du « La critique est facile ! » et affirmant que « cet événement a réanimé Beyrouth, et c'est déjà ça », se font déjà entendre. Ils n'ont pas tort, mais le prétexte de secouer ce pays ronflant suffit-il à continuer de faire des choses, quitte à les bâcler ? La bonne volonté justifie-t-elle l'amateurisme ? Aussi, est-il impossible pour les Libanais, qui ont pourtant su sortir du lot partout dans le monde, de joindre professionnalisme et patriotisme quand il s'agit de design ? Car le problème réside bien là : de peur d'être classés parmi les insatisfaits, pessimistes, voire réacs, on s'est vu applaudir à tout prix, jetant un voile pudique sur les manquements de cette Design Week et ses vedettes. En d'autres termes, c'était la semaine des héros, ces créateurs que l'on n'a pas manqué d'écœurer de compliments et d'effusions, de « Sublime ! Tu t'es surpassé », alors que ce sont souvent les mêmes choses qu'ils resservent depuis plusieurs saisons. Dans ce même ordre d'idées, quand cesserons-nous de nous exténuer les paumes à force d'applaudir nos usual suspects, d'acclamer ces mêmes signatures ? Qui sont de qualité, certes, mais qui se sont téléportés d'événement en événement, alors que l'objectif de ce genre de dispositif est justement l'inverse de cela : mettre en lumière des talents moins marketés, défricher des talents moins connus...


(Lire aussi : Pour que chacun se réapproprie ce Beyrouth qu'il aime et hait à la fois...)

 

M. et Mme designers
Parallèlement, de la manière la plus absurde, à coups de curations, de collaborations, d'installations, des termes tellement galvaudés mais pour lesquels on décroche normalement des diplômes, c'est monsieur et madame tout le monde qui se sont improvisés designers. Pire, il aura suffi à deux copains de « collaborer » sur une paire de tables basses ou un sex-toy, à une boutique de sabrer du champagne ou à un label de mode de lancer sa collection printemps-été 2016 pour faire partie de cette semaine initialement dédiée au design. Selon qui et sur quels critères ? La réponse demeure inconnue. Cela dit, toutes ces initiatives font réellement sourire à une époque de fainéantise généralisée, seulement n'aurait-il pas été plus judicieux, et surtout plus juste, de les rassembler sous un événement qu'on baptiserait Festival de la créativité ou Semaine portes ouvertes ?
Sans ternir et vulgariser le terme « design » en lui épinglant tout et n'importe quoi. Car à ce rythme, ce sera bientôt le légumier du coin qui fera une « installation » avec une caisse de pommes et deux pastèques et voilà qu'il intégrera le calendrier de la Design Week. Aux côtés de ceux qui se sont déjà autoproclamés designers, alors que de là à se prendre pour Charlotte Perriand, Achille Castiglioni, Jean Royère, Giò Ponti ou autres sommités de naguère, il y a encore du boulot...

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Six moments que « L'Orient-Le Jour » a retenus de la BDW

- « Ants & Plants » de Nada Debs
Cette fois, la designer vedette libanaise a abandonné sa zone de confort pour explorer de nouveaux territoires et se positionner là où on ne l'attendait pas. « J'ai abandonné mes trois signatures : le nacre, les gravures arabesques et les pièces rectilignes en conservant toutefois mon attachement à l'artisanat local », raconte celle qui a conçu une collection d'une pureté doucement organique. Des petits bols en bois d'olivier s'offrent une sorte de deuxième peau dans des incrustations de cuir aux motifs de feuilles d'arbre. Et sur les tables basses, des disques de bois d'acacia ont l'air de flotter ou d'être envahis par une colonie de fourmis...

- Le label Salim Azzam chez Starch
Sur les vêtements de Salim Azzam, qui insiste « sur le fait que je ne suis pas créateur de mode », les broderies vous situent immédiatement dans un fief de la montagne libanaise. Bonne piste. Le jeune storyteller, au sourire cotonneux comme un nuage, raconte l'histoire des femmes de son village Bader du Chouf à travers ses illustrations qu'il a ensuite appliquées en broderies autour d'une collection délicate et délicieusement nostalgique...

- « 13 Chairs » à la Smogallery
13 chaises, 10 artistes, 1 client. Voilà la description de l'exposition. Dans le cadre d'un projet résidentiel mené par Gregory Gatserelia, l'architecte propose à neuf autres artistes de se joindre à lui en créant chacun une chaise de salle à manger. Et voici que Georges Mohasseb, Carla Baz, Karim Chaaya, Bokja, Sara Beydoun, Doreen el-Zein, Eva Szumilas, Diane Moreau et Nada Debs se sont plu à réinventer la chaise iconique « Laclasica » de Jesus Gasca pour Stua. La pièce de Carla Baz, à la manière d'un boulier, est garnie de sphères laquées et colorées. Karim Chaaya a conçu une Lucky Strike Chair avec des pieds aux formes d'allumette et dont une est carbonisée. Gregory Gatserelia s'est aussi prêté au jeu en imaginant « For Me », une chaise de laquelle se serait emparée une colonie de fourmis. Quant à Georges Mohasseb, il s'est inspiré du festival de la tulipe en Hollande pour éclabousser sa chaise « des couleurs du soleil ».

- La keffieh antibalistique de Salim al-Kadi chez Geek Express
Importer du kevlar (matériau antibalistique) des États-Unis au Liban, apprivoiser cette nouvelle matière, la travailler jusqu'à en concevoir une keffieh : voilà le pari fou que s'est lancé Salim al-Kadi, cet architecte de formation, il y a à peine trois mois. Sa keffieh K29 001, brodée à la main, est exposée chez Geek Express, « comme une réflexion philosophique sur notre époque qui apporte finalement plus de questions que de réponses ».

- « Cinéma Monaco » de Rami Dalle
Rami Dalle a ouvert les portes de son atelier/appartement de Bourj Hammoud, ce lieu inspiré et inspirant où il a l'habitude de tirer l'épée de sa créativité en toute intimité. Laissant l'espace intact, « comme un work in progress, un hommage aux artisans locaux », il y a incorporé l'ambiance feutrée du Cinéma Monaco de Bourj Hammoud, « fermé de force il y a quelques années », à travers des projections sur le mur comme les réminiscences d'un passé encore fumant...

- « Leatherscapes » de Marc Baroud à la galerie Joy Mardini
À l'occasion de l'ouverture de sa galerie, Joy Mardini recevait Marc Baroud pour une exposition intitulée « Leatherscapes ». Soit des morceaux de cuir qui se tordent et se plient jusqu'à prendre la forme d'un objet fonctionnel. Belle manière « d'adapter l'objet à la matière, et d'éviter le moindre gaspillage », explique l'artiste, comme un clin d'œil au thème de la Design Week de cette année.

- « One Carpet Love » chez Iwan Maktabi
« One Carpet for Love » est la deuxième édition d'un projet créé par Iwan Maktabi, qui réunit Bokja, Rana Salam, Orient 499, Maria Group, Karim Chaaya, Marwan Sahmarani, Karen Chekerjian et Mohammad Maktabi. Mêlant la technique traditionnelle de tissage à la griffe de chacun de ces artistes, One Carpet Love a permis à chacun d'entre eux d'évoquer une facette de la société libanaise.

 

*Le programme entier est disponible sur le site http://beirutdesignweek.org

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