La liberté de la presse s'est dégradée dans toutes les régions du monde en 2015, particulièrement dans les Amériques qui passent pour la première fois derrière l'Afrique dans le classement annuel de Reporters sans frontières publié mercredi. Ce classement de la liberté de la presse dans 180 pays, publié depuis 2002, s'appuie sur une série d'indicateurs: pluralisme, indépendance des médias, environnement et autocensure, cadre légal, transparence, infrastructures et exactions.
"Tous les indicateurs du classement témoignent d'une dégradation. De nombreuses autorités publiques essaient de reprendre le contrôle de leurs pays, craignant de trop grandes ouvertures du débat public", a commenté auprès de l'AFP Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. "Aujourd'hui, il est de plus en plus facile pour tous les pouvoirs de s'adresser directement au public grâce aux nouvelles technologies, et donc il y a une violence plus grande contre tous ceux qui représentent l'information indépendante", analyse-t-il. "On entre dans une nouvelle ère de la propagande où les nouvelles technologies permettent à bas coûts de diffuser sa propre communication, son information, sous la dictée. Face à eux, les journalistes sont des empêcheurs de tourner en rond", estime-t-il.
Le Liban à la 98e position
Dans ce classement, le Liban figure à la 98e position, derrière la Bolivie et la Tunisie, et tout juste devant le Timor Oriental. Les îles Comores arrivant à la 50e position, le pays du Cèdre est ainsi troisième du classement parmi les Etats membres de la Ligue arabe.
Dans certains pays en crise, comme l'Irak (158e), la Libye (164e) et le Yémen (170e), "exercer le journalisme relève de la bravoure", souligne l'ONG. RSF salue l'amélioration de la situation en Tunisie (96e), qui gagne 30 places, preuve selon Christophe Deloire qu'"il y a une consolidation des effets positifs de la révolution".
En bas du classement, comme l'an dernier, la Syrie stagne à la 177e place sur 180 -juste derrière la Chine (176e)-, et devant le Turkménistan (178e), la Corée du Nord (179e) et l'Érythrée (180e).
En Afrique, le Burundi perd 11 places (156e) car "ce pays a été le théâtre de violences envers les journalistes après la candidature contestée puis la réélection du président Pierre Nkurunziza".
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Si la situation s'est dégradée dans toutes les zones géographiques, le continent américain a particulièrement reculé à cause notamment d'assassinats de journalistes en Amérique centrale, relève l'ONG. En Amérique latine, "la violence institutionnelle (au Venezuela, 139e ou en Equateur, 109e), celle du crime organisé (comme au Honduras, 137e), l'impunité (comme en Colombie, 134e), la corruption (comme au Brésil, 104e), la concentration des médias (comme en Argentine, 54e) constituent les principaux obstacles à la liberté de la presse", souligne RSF.
En Amérique du Nord, les Etats-Unis (41e) pâtissent de la cyber-surveillance et le Canada, qui perd 10 places (18e), a vu sa situation se dégrader "pendant la fin du mandat de l'ancien Premier ministre Stephen Harper", selon RSF. Les Amériques passent ainsi derrière l'Afrique, même si la zone Afrique du Nord/Moyen Orient reste la région du monde où les journalistes sont "les plus soumis à des contraintes de toutes sortes".
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Le modèle européen fragilisé
En Asie, le Japon perd 11 places (72e) en raison de nombreux médias, y compris publics, qui "succombent à l'autocensure vis-à-vis du Premier ministre notamment et sont pris en défaut d'indépendance".
Du côté des bons élèves, la Finlande conserve sa première place pour la sixième année consécutive, suivie des Pays-Bas et de la Norvège.
Si l'Europe demeure la zone où les médias sont le plus libres, RSF constate un affaiblissement de son modèle : "détournement du contre-espionnage et de la lutte contre le terrorisme, adoption de lois permettant une surveillance à grande échelle, augmentation des conflits d'intérêts, mainmise de plus en plus grande des autorités sur les médias publics et parfois privés, le continent ne s'illustre pas par une trajectoire positive".
En France (45e, -7 places), RSF déplore qu'"une poignée d'hommes d'affaires ayant des intérêts extérieurs au champ des médias finissent par posséder la grande majorité des médias privés à vocation nationale".
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