L'opérateur satellitaire égyptien NileSat, l'un des principaux du monde arabe, a interrompu mercredi la diffusion de la chaîne de télévision du Hezbollah sur fond de tensions croissantes entre l'Iran chiite, soutien du Hezbollah, et l'Arabie saoudite sunnite. La chaîne al-Manar n'était pas visible sur le bouquet de NileSat, a constaté l'AFP mercredi.
Al-Manar a indiqué sur Twitter qu'elle pouvait toujours être captée via un satellite russe et sur internet.
Pour le directeur général de la chaîne, Ibrahim Farhat, "il y a une pression sur NileSat, spécialement de l'Arabie saoudite. C'est une décision politique et non économique". "Al-Manar n'a rien à voir avec la sédition, c'est une excuse. Ils ont interrompu la diffusion hier soir (mardi). En tout cas, cette décision va à l'encontre de la presse et de la liberté d'expression et nous ne voulons pas rester silencieux. C'est injuste", a-t-il dit à l'AFP.
Le Hezbollah a lui aussi dénoncé la décision de l'opérateur satellitaire. La formation a estimé dans un communiqué que la décision de NileSat est "une atteinte flagrante à la liberté de pensée et d'expression et une tentative de faire taire la voix de la résistance juste que représente cette chaîne (al-Manar) (...)". "Cette décision ne correspond pas aux attentes que nous avons vis-à-vis de l'Egypte et du rôle qu'elle est appelée à jouer dans la région", estime le Hezbollah. Il a appelé les autorités au sein de NileSat à "revenir immédiatement" sur leur décision, et demandé aux autorités de l'Etat égyptien de faire pression en ce sens.
Interrogés par l'AFP, des responsables de NileSat en Egypte ont de leur côté expliqué que les "chaînes ont l'obligation de ne pas diffuser de contenus violents ou racistes et de ne pas provoquer de violences sectaires". En cas de violation, comme dans le cas d'al-Manar, selon eux, la diffusion est interrompue.
Mardi, NileSat avait adressé deux mémorandums au ministère des Télécommunications. Dans le premier, elle l'informe qu'elle a été contrainte de cesser de relayer à partir de 8h du jour même la chaîne al-Manar et affirme avoir pris cette décision en raison de la diffusion, sur la chaîne du Hezbollah, "d'émissions incitant aux tensions communautaires et à la discorde, en violation du contrat signé" avec elle. Dans le deuxième, la direction de NileSat annonce que l'opérateur cessera d'émettre aujourd'hui en raison de l'expiration du contrat signé avec l'Etat libanais en 2015.
L'affaire débattue en Conseil des ministres ?
Interrogé par L'Orient-Le Jour, le ministre de l'Information, Ramzi Jreige, a situé la décision de NileSat dans le cadre des tensions qui pèsent sur les relations entre le Liban et les pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite, depuis fin février. "L'arrêt de l'émission de la compagnie NileSat est clairement lié à cette tension. La chaîne al-Arabiya a fermé ses bureaux à Beyrouth vendredi dernier, maintenant c'est au tour de NileSat", a-t-il indiqué. La chaîne saoudienne avait annoncé la fermeture de ses bureaux au Liban, ainsi que ceux de sa filiale al-Hadath, situés place Riad el-Solh, dans le centre-ville de Beyrouth, dans le cadre d'une restructuration de la chaîne, motivée par des considérations de sécurité.
En décembre dernier, la compagnie opérant le satellite Arabsat avait déménagé ses centres de diffusion de Beyrouth vers la Jordanie. Elle avait également décidé de ne plus diffuser al-Manar. Une intervention d'un invité lors d'un talk-show en avril 2015, qui avait insulté la famille régnante saoudienne, spécialement le roi d'Arabie saoudite, avait irrité Arabsat qui avait alors décidé d'arrêter la diffusion de la chaîne du Hezbollah.
"J'ai déjà envoyé une notification écrite à NileSat pour l'informer que le Conseil des ministres souhaite renouveler son contrat avec elle", a expliqué M. Jreige. Selon lui, "la décision de la compagnie n'est pas due au retard du Conseil des ministres dans le renouvellement du contrat". Cette question pourra être débattue demain en Conseil des ministres, même si elle ne figure pas à l'ordre du jour de la réunion, a-t-il ajouté. "Je crains que la compagnie ne refuse tout simplement de renouveler le contrat", a-t-il déclaré.
Cette affaire intervient avant une visite prévue du roi Salmane d'Arabie saoudite en Egypte.
En mars, les pays du Golfe emmenés par l'Arabie saoudite avaient déclaré le Hezbollah "organisation terroriste".
Cette décision était intervenue alors que les relations entre l'Iran et l'Arabie saoudite, les deux puissances régionales, sont au plus bas. Les deux pays soutiennent des camps opposés en Syrie, Téhéran le Hezbollah appuyant le régime du président Bachar el-Assad, et Riyad la rébellion. Pour l'Arabie saoudite, le Hezbollah, poids lourd du gouvernement libanais, sert de tête de pont à l'Iran pour s'ingérer dans les affaires des pays arabes.
L'Arabie saoudite a suspendu en février une aide de 2,6 milliards d'euros au Liban et demandé à ses ressortissants de quitter ce pays. D'autres pays du Golfe ont arrêté et expulsé des citoyens libanais en les accusant de liens avec le Hezbollah.
Lire aussi
Les forces de l'ordre retirent à Jal el-Dib une pancarte caricaturant le drapeau saoudien
Caricature d'al-Charq al-Awsat : Assiri réaffirme le respect de l'Arabie pour le Liban
Les banques démentent un gel des transferts depuis l'Arabie saoudite
Al-Manar a indiqué sur Twitter...
Bien entendu, il s'agit d'une décision politique. Cependant, le Liban qui subit, sans pouvoir se défendre lui-même, l'occupation du Hezbollah, ne peut que se réjouir de ce que d'autres font pour lui à sa place.
07 h 15, le 07 avril 2016