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Culture - Rencontre

Ai Weiwei à « L’Orient-Le Jour » : Même dans l’affreux, il y a toujours l’espoir d’un meilleur

Imposant et intimidant, l'artiste emblématique a accordé une interview exclusive à « L'OLJ », lundi matin, à quelques heures de son départ pour la Jordanie après quatre jours au pas de charge au Liban.

Ai Weiwei, à Beyrouth, en mode selfie.

Il a débarqué au Liban dans la discrétion la plus totale. C'est sur son compte Instagram et à travers les premières photos de Beyrouth que les Libanais, et ses 221000 followers, ont su qu'il était là pour quelques jours. Quatre courtes journées durant lesquelles il a poursuivi son travail d'artiste activiste. Agitateur de consciences, témoin de l'exil de millions d'individus, femmes et enfants, sacrifiés sur l'autel d'une politique internationale sans (états d') âme.

Provocateur et poète, à la fois sérieux et léger, discret quand il parle, mais pas dans son art qu'il veut provocateur et dénonciateur, ses réponses ressemblent à des confidences murmurées, l'émotion retenue, mais présente. Artiste majeur de la scène internationale, peintre, sculpteur, photographe, architecte et blogueur, Ai Weiwei a toujours voulu dénoncer les injustices et les dysfonctionnements. Faire bouger la réalité pour la changer. Provoquer des éclats, quitte à être critiqué. Faire de grandes installations qui parlent de racines, de déracinement, de liberté(s) – il a lui-même été arrêté en avril 2011 et relâché après 81 jours d'enfermement –, ou exposer une série de doigts d'honneur tendus aux symboles politiques et culturels de ce monde. Tout ceci pour, dit-il, « entamer un débat ». Réveiller des consciences endormies et développer son travail d'artiste, sans compromis et en toute sincérité.

Deux traits fins, comme d'étroites fentes horizontales desquelles se dégage un intense regard, une barbe de sage, Ai Weiwei a su rester humble malgré ses coups de gueule et ses nombreuses apparitions remarquables et remarquées, durant lesquelles il brise son silence, avant d'y revenir très vite. Admirateur de Marcel Duchamp, exposé dans les plus grands musées du monde, dont le Tate Modern de Londres (Sunflower Seeds), le jeu de Paume, (Aï Weiwei : Entrelacs), ou encore la superbe rétrospective de son œuvre à la Royal Academy of Art, son travail a été présenté à la 48e Biennale de Venise en 1999 (Italie), à la First Guangzhou Triennial de 2002 (Chine), à la Biennale de Sydney de 2006, Zones of Contact (Australie), et à la Documenta 12 de Cassel (Allemagne), où il a «importé 1000 et 1 Chinois».
Après le Liban, l'artiste s'est envolé pour la Jordanie, inspiré, mais très bouleversé par ces millions d'oubliés dont l'histoire, elle, se souviendra. Sans doute.


«Il est de notre devoir, en tant qu'artistes, d'initier une discussion»

 

Le but de votre visite au Liban et en Jordanie est de vous informer sur la situation des réfugiés. Qu'avez-vous visité et quelles sont vos impressions ?
Mon périple a commencé par l'Irak, puis la Grèce (Athènes, Lesbos, Idomeni), dès que j'ai pu récupérer mon passeport, depuis environ un an et demi. Essentiellement des camps de réfugiés. Au Liban, nous avons visité Ersal, Aïn el-Heloué, Chatila, Borj el-Brajneh et trois camps dans la Békaa. Nous essayons d'en couvrir le plus grand nombre pour montrer le mieux possible la situation précaire dans laquelle les réfugiés vivent. Une situation qui dure depuis trop longtemps et qui est en rapport avec leur histoire et leur actualité. Nous sommes allés à la rencontre d'ONG, de responsables de camps, d'associations et, bien sûr, des réfugiés eux-mêmes. Certains y vivent depuis leur naissance... L'état des lieux varie énormément, certains camps sont dans une bien plus grande précarité, mais la situation catastrophique des réfugiés reste quelque part la même... Ils doivent tous abandonner leur projet de départ et de fuite. Et l'espoir de trouver la paix pour leur avenir. Nous avons été particulièrement surpris par les femmes et les enfants. J'en ai vu plus que dans ma vie entière.
Ce qui caractérise les réfugiés dans cette région du monde, c'est surtout leur calme qui s'exprime dans leur expression. Il y a moins de frustrations. C'est sans doute lié à l'histoire, le sens du territoire, la politique, qui permet cette coexistence et qui provoque un effet passif. Sauf à Ersal. Là-bas, ils ont le sentiment d'être abandonnés, que le monde entier les a oubliés.


Qu'est-ce qui vous a le plus marqué durant votre périple ?
Les visages des enfants sous-alimentés. L'image terrifiante de ces enfants qui n'ont pas de quoi manger... Ils s'adaptent. C'est vraiment triste, ils demandent si peu... De plus, ils n'ont pas été scolarisés depuis 3, 4 ou 5 ans. C'est une génération perdue, témoin, en plus, de la souffrance de ses parents, et qui a une image très fausse, ou finalement très vraie, d'un monde totalement indifférent.

En 2015, vous avez été à Lesbos, en Grèce, pour les mêmes raisons. Vous avez ordonné la fermeture de votre exposition à Copenhague en signe de protestation contre les décisions du gouvernement danois de confisquer les effets des réfugiés et vous avez recouvert le mur de Berlin avec des gilets de sauvetage récupérés sur les plages grecques. Est-il difficile d'éveiller les consciences sur ce problème, dans un monde occidental trop effrayé par sa sécurité ?
Le monde occidental est préoccupé par ce qu'on appelle les «problèmes de sécurité»... C'est un concept erroné. Pour protéger l'establishment, l'Occident réagit de manière excessive. Ce qui sert d'autres causes et provoquera de plus grands dangers dans les dix ans à venir. De nos jours, nous voyons beaucoup de politiciens fantoches. C'est la raison pour laquelle je n'en rencontre aucun...


Comment un artiste et l'art en général peuvent-ils servir la cause des réfugiés ? Comment allez-vous traduire tout ce que vous avez vécu dans votre travail ?
Mon objectif, en tant qu'artiste, est de susciter une prise de conscience collective. Comment faire aboutir ce projet, trouver un sens à cet effort, trouver le bon langage... C'est un défi personnel. En tant qu'individus, en tant qu'êtres humains, nous devons agir sur nos émotions, nos convictions, notre foi dans l'humanité. Informer de tout ce qui se passe à travers notre expérience. Nous avons démarré le projet d'un documentaire qui va s'intituler Human Flow. Il décrit les différentes crises internationales qui ont engendré 60 millions de réfugiés, leurs déplacements ou leur implantation ailleurs. C'est une description objective de tout ce que nous observons. Sur la situation globale, l'humanité de nos jours, la politique, la vie, les êtres humains. Sur l'art, le moment, la lumière, les couleurs, les sons. Nous avons démarré en février 2016 et espérons avoir achevé la production milieu 2017. La distribution aura lieu dans les cinémas et les télévisions partout dans le monde.

 

Votre travail est parfois controversé. C'est le cas de la photo du jeune Aylan dont vous vous êtes inspiré en reprenant la posture. Qu'en pensez-vous ?
Il est de notre devoir, en tant qu'artistes, d'initier une discussion, de comprendre notre temps. De trouver le bon langage, de communiquer avec de nouveaux moyens, comme Internet ou des films. Traduire ce qui se passe n'est pas chose facile. Il nous faut apprendre, vivre notre vie d'artiste.
La controverse est normale. Les gens sautent sur des conclusions. Ils sont absorbés par la beauté morale. Ça les rassure... Les artistes sont toujours vulnérables. Ils se mettent dans des situations où ils peuvent être jugés, critiqués. C'est une raison supplémentaire pour laquelle nous devons agir.

 

Exposer au Bon Marché à Paris et travailler sur les camps des réfugiés. Où se situe la cohérence ?
Un certain détachement est nécessaire dans le travail d'un artiste. Parfois, il faut voir l'aspect philosophique et historique d'un travail. Nous ne sommes pas seulement réactionnaires. Il est très important de varier notre approche, être sophistiqués et naïfs pour décrire la condition de l'humain. J'ai toujours été très intéressé par ces deux pôles.

 

S'il fallait retenir un sentiment, un mot ?
Ce serait l'espoir. Même dans ces situations affreuses, il y a toujours l'espoir d'une vie meilleure. Riche, pauvre, désespéré, il reste toujours du temps pour apprécier la vie. Heureusement... J'espère que cet espoir sera réalité. Ce n'est pas aussi simple. Ces réfugiés viennent de tellement loin avec une lourde histoire. Ce sont des innocents qui ne savent pas pourquoi les bombes leur tombent dessus...

 

 

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Il a débarqué au Liban dans la discrétion la plus totale. C'est sur son compte Instagram et à travers les premières photos de Beyrouth que les Libanais, et ses 221000 followers, ont su qu'il était là pour quelques jours. Quatre courtes journées durant lesquelles il a poursuivi son travail d'artiste activiste. Agitateur de consciences, témoin de l'exil de millions d'individus, femmes et...

commentaires (3)

Il devrait malgré tout faire gaffe ce grand Ai Weiwei, à tous ces "wéééwïyéhs" chinetoques ou autres qui lui veulent toujours du tort !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

14 h 06, le 13 avril 2016

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Commentaires (3)

  • Il devrait malgré tout faire gaffe ce grand Ai Weiwei, à tous ces "wéééwïyéhs" chinetoques ou autres qui lui veulent toujours du tort !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    14 h 06, le 13 avril 2016

  • DES GENERALITES DU WEIWEI APPRISES CHEZ LE BEYBEY !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 36, le 13 avril 2016

  • C'est pour entendre ça qu'on le fait venir ????? Bon , il est temps qu'il se casse un peu . Sornettes ! !!

    FRIK-A-FRAK

    09 h 53, le 13 avril 2016

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