Atmosphère détendue entre Saad Hariri et Walid Joumblatt, entourés de députés de leurs blocs respectifs, hier, à la Chambre. Photo Michel Sayegh
Les informations concordantes qui avaient circulé au cours du week-end dernier sur l'imminence d'un coup de force du Hezbollah, similaire au 7 mai 2008, ne semblaient pas inquiéter outre mesure certains responsables politiques, pourtant critiques à l'égard du parti chiite. « Le Hezb a-t-il vraiment besoin d'un nouveau 7 mai ? » avaient-ils demandé alors sur un ton rhétorique. Comme si le Hezbollah avait réussi à étendre progressivement une emprise sur les institutions tel qu'il n'a même plus besoin, pour ce faire, d'une démonstration de force sur le terrain. Les jours ayant suivi ont conforté cette lecture : les protestations sporadiques des sympathisants du parti chiite n'ont pas dégénéré. « Il n'y a aucun besoin de recourir à la rue », a d'ailleurs affirmé Hassan Nasrallah mardi dernier.
Le Hezbollah a pour lui la couverture que lui assurent ses alliés chrétiens, le Courant patriotique libre et les Marada, et le président de la Chambre, qui prend à sa charge de mener (ou feindre) des médiations chroniques de déblocage auprès de son allié, ou de rassurer, comme hier, sur l'absence de menace aux constantes, telles que l'arabité du Liban. Fort de ses soutiens, le Hezbollah continue de défendre la « légalité » de boycott des séances électorales – celle d'hier en est une nouvelle preuve – au détriment de la continuité des institutions, comme il l'avait fait en 2009 avec le tiers de blocage, au détriment des législatives.
Abusant du quorum des deux tiers – qui est perçu par ses défenseurs comme une garantie de la parité –, le boycottage de la présidentielle a enclenché une lente mutation, mais de plus en plus manifeste cependant, des concepts de souveraineté, de consensus, de pacte national et de neutralité, désormais réinterprétés dans le seul souci de légitimer les atteintes que leur porte le Hezbollah. Le parti chiite n'aurait ainsi nul intérêt à concéder un déblocage, alors que le vide lui a permis de se constituer une couverture institutionnelle. Et toute atteinte grave à la stabilité ébranlerait cet équilibre.
C'est précisément ce processus de légitimation du Hezbollah au Liban que l'Arabie aurait l'intention de rompre : dans la presse arabe, on rappelle que l'accord de Taëf aurait assuré, à la demande de la Syrie, une couverture au Hezbollah, en tant que résistance libanaise contre l'occupation israélienne. Or cette résistance s'est avérée n'être que le prolongement du wilayat el-faqih au Liban, qu'il serait impératif d'amputer, pour éviter une réédition du scénario irakien au Liban. L'approche saoudienne qui s'est durcie ne veut reconnaître ni une dimension libanaise ni même islamique au Hezbollah, dont elle ne retient que l'impérialisme perse. L'Arabie n'envisage, partant, aucune possibilité de ramener le Hezbollah dans le giron libanais.
La décision hier des pays membres du Conseil de coopération du Golfe de déclarer le Hezbollah organisation « terroriste » se fonde sur une approche du cas du Hezbollah strictement limitée à son rôle régional – qu'elle identifie par ailleurs à celui de l'État islamique. Le Liban, dans cette configuration, serait considéré comme « un pays soumis militairement » : le Hezbollah, identifié comme la marque d'une puissance hégémonique non arabe, ne peut être « vaincu » qu'à l'extérieur des frontières libanaises. Au Liban, néanmoins, il serait souhaité que les parties libanaises l'isolent, c'est-à-dire le dénoncent comme antinomique de l'entité libanaise et de l'identité arabe.
Le courant du Futur est actuellement partagé entre deux avis quant à la position à adopter à cet égard : la politique de conciliation et de dialogue – incarnée par le leadership du courant – ou la politique, plus ferme, d'une contre-offensive qui serait menée par le biais des institutions, « quitte à nous retrouver en dehors du pouvoir, dans les rangs de l'opposition », selon les termes d'un député du courant du Futur à L'Orient-Le Jour. Ces deux tendances trahissent, chacune, mais différemment, des divergences de points de vue sur la stratégie de l'Arabie. Le choix de la conciliation, incarné par le leadership du courant du Futur, s'expliquerait par « le danger imminent d'une guerre sunnito-chiite », comme l'explique à L'OLJ une source ministérielle.
Une considération que l'Arabie tendrait à minimiser. Sa décision déclarée de ne plus jouer activement son rôle de garant de la stabilité libanaise est interprétée par certains observateurs comme « une incitation à l'insurrection face au Hezbollah, donc à l'instabilité ». Cette lecture est contredite par des informations, fournies par des sources autorisées. Ces sources expliquent à L'OLJ que le plan d'action de l'Arabie serait de trouver de nouveaux interlocuteurs modérés, représentatifs des différentes communautés et capables de préserver l'entité libanaise – notamment d'une possible partition de la Syrie, contre laquelle le député Walid Joumblatt est le seul au Liban à mettre en garde actuellement. Autrement dit, c'est la modération, et non la compromission, qui serait la garantie véritable pour le pays.
C'est cette approche que préconisent certains milieux du courant du Futur – quand bien même ils jugent durs « les reproches de l'Arabie à ses alliés libanais ». Très critiques à l'égard du dialogue bilatéral avec le Hezbollah, perçu non pas comme un gage de stabilité, mais comme une couverture indirecte du vide, ces milieux le sont aussi à l'égard de la position prise hier par le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, qui prenait part à une conférence avec ses homologues de la Ligue arabe à Tunis. Votant en faveur de la déclaration finale, ce dernier a toutefois opposé une réserve à la clause accusant le Hezbollah de « terrorisme ». Pour sa défense, une source du Futur explique à L'OLJ que M. Machnouk « s'est distancié de cette clause, mais ne s'y est pas opposé, comme l'aurait peut-être souhaité le Hezbollah. Il a en tout cas voté en faveur de la déclaration ». Cette position ne serait donc pas à assimiler à la position controversée du ministre Gebran Bassil au Caire. Il n'empêche que, pour les milieux critiques du courant du Futur, ces deux positions continueraient de servir le Hezbollah, comme d'ailleurs le maintien de la candidature de Sleiman Frangié à la présidence.
Ainsi, le député Ahmad Fatfat a déclaré hier que la réponse négative de Sleiman Frangié au souhait que lui avait exprimé Saad Hariri de se rendre à la séance électorale d'hier « prouve qu'il ne veut pas être un candidat de compromis ». Le ministre démissionnaire Achraf Rifi a lui carrément adressé un double appel hier au chef du Futur et au président des Forces libanaises à revenir sur le soutien accordé à leur candidat respectif du 8 Mars. Mais plus dangereux qu'une absence de volonté, chez le Hezbollah, de négocier un compromis, est sa tentative d'amener progressivement le courant du Futur à avaliser un accord déséquilibré, un semblant de compromis humiliant. La déclaration hier de Saad Hariri à l'hémicycle sur son double attachement à la candidature de Sleiman Frangié et au dialogue avec le Hezbollah, est-elle de nature à opposer une résistance à ce processus ?
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commentaires (11)
Belle photo montrant un beau panier à crabes !!! Ils ont tous le sourire de satisfaction d'usage Je n'en vois pas un pleurer le désastre de notre pays Le Liban plus chaotique, pas possible .... Avec ces phénomènes, le PM est assis sur un siège éjectable
FAKHOURI
16 h 31, le 03 mars 2016