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Intérêts compris

Par deux fois en l'espace de quelques heures, le Liban vient d'être cité par des pays tiers comme l'exemple à ne pas suivre. Pas bien nouveau, direz-vous ; il y a longtemps en effet que l'humiliant, l'odieux terme de libanisation a supplanté celui de balkanisation dans le dictionnaire, qui le définit comme suit : processus de fragmentation d'un État, résultat de l'affrontement entre diverses communautés.

Or la formule mériterait d'être retouchée, puisque ce processus n'a cessé de se poursuivre et de s'aggraver sans même que les communautés libanaises, Dieu merci, n'aient encore besoin, pour cela, de s'affronter l'arme au poing. La libanisation, aujourd'hui, ce n'est plus (remerci !) les tueries, les immeubles d'habitation criblés d'impacts d'obus et les végétations sauvages envahissant le centre-ville de Beyrouth ; la libanisation, c'est la ruine, l'une après l'autre, des institutions politiques ; c'est le grippage des mécanismes, d'essence démocratique ou non peu importe, en vérité, à ce stade de déliquescence, qui rendent un pays tout simplement gouvernable.

Nous n'accepterons pas de devenir le Liban de l'Europe, un entrepôt d'âmes, même si l'Europe y met le prix : c'est ce qu'affirmait jeudi le représentant de la Grèce à la conférence de Bruxelles axée sur la gestion européenne de la crise des migrants. Voilà qui n'est guère très agréable à entendre mais qui donc pourrait en vouloir aux Grecs ? Et quel pays au monde serait-il disposé à abriter l'équivalent du tiers de sa propre population en termes de misère humaine ?

Plus riches d'enseignements sont les propos que tenait hier le président de l'Assemblée nationale d'Irak au quotidien saoudite de Londres al-Chark al-Awsat. Bien davantage qu'au Liban, l'Iran exerce une influence considérable dans ce pays et le président Salim al-Jabbouri a l'honnêteté de le reconnaître ; mais il n'y voit qu'une simple question d'intérêt, excluant – croyez-le ou non – toute possibilité d'ingérence iranienne dans les affaires intérieures de l'Irak. Mieux encore, c'est la même notion d'intérêt bien compris qui commande de bonnes relations avec l'Arabie saoudite. Voilà pourquoi, affirme-t-il, ce qui s'est produit entre le royaume et le Liban ne se produira jamais avec l'Irak, qui a exprimé sa solidarité avec l'Arabie à la suite des agressions contre ses représentations en Iran, et qui jamais ne rompra l'unanimité arabe. Voilà qui achève de faire de la diplomatie libanaise, par le ministre Gebran Bassil, la plus iranienne de tout le monde arabe : plus iranienne même que celle d'un gouvernement aussi notoirement tributaire de l'Iran que l'irakien.

Quel intérêt à tout cela, si ce n'est celui égoïstement poursuivi par la milice des mollahs et ses opportunistes alliés ? Le plus extraordinaire, c'est que les populations fidèles à ces milices, courants et autres partis, elles, n'ont rien à y gagner, bien au contraire. Car dans l'affaire des erreurs de tir qui ont provoqué les représailles saoudites contre le Liban, il ne s'agit pas d'épouser aveuglément la cause de l'une ou l'autre de ces deux régimes également théocratiques et rétrogrades que sont le persan et l'arabe. À défaut des Amériques, de l'Afrique ou de l'Australie, ce n'est pas en Iran mais dans les royaumes pétroliers du Golfe que vivent et travaillent avec acharnement des centaines de milliers de Libanais qui, en rapatriant le gros de leurs revenus, aident grandement à maintenir à flots l'économie locale.

Ce n'est plus dans sa seule sécurité physique mais dans son pain aussi qu'est menacé le peuple libanais, l'ensemble du peuple, toutes appartenances politiques ou sectaires confondues. De tant d'inconscience, il faudra bien un jour que rendent compte les adeptes de l'aventurisme. Sans oublier les intérêts.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Par deux fois en l'espace de quelques heures, le Liban vient d'être cité par des pays tiers comme l'exemple à ne pas suivre. Pas bien nouveau, direz-vous ; il y a longtemps en effet que l'humiliant, l'odieux terme de libanisation a supplanté celui de balkanisation dans le dictionnaire, qui le définit comme suit : processus de fragmentation d'un État, résultat de l'affrontement entre...