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Retour(s) de bâton

Faites taire Monsieur Chamoun, fulminait Georges Naccache dans un célèbre éditorial de 1945, dans lequel il s'élevait contre les déclarations, jugées par trop anglophiles (et donc résolument francophobes), du ministre plénipotentiaire à Londres de l'époque. Si à 45 ans un novice de la diplomatie n'est pas maître de sa langue, ce diplomate devient un péril national, ajoutait l'illustre patron de L'Orient.

Nul évidemment n'irait chercher quelque point de similitude entre celui qui allait devenir un des présidents les plus prestigieux du Liban et l'actuel ministre des AE. Qui, lui, s'est aisément adjugé le titre de péril national en plaçant le Liban à l'écart de l'unanimité arabe qui s'est faite autour de l'Arabie saoudite, dont l'ambassade à Téhéran avait été agressée par des manifestants. Tant de scandaleuse complaisance pour l'Iran et ses alliés du Hezbollah ne pouvait évidemment qu'attirer sur le pays les foudres de l'Arabie saoudite : retour de bâton déjà déploré dans ces mêmes colonnes et qui vient priver l'armée et les autres forces de sécurité libanaises d'une aide de plusieurs milliards de dollars consentie par le royaume wahhabite.

Mais attention, dans notre Orient compliqué, les retours de bâton ont cette maligne particularité de n'épargner personne. Pour prévisible qu'elle fût, la réaction de Riyad, promptement endossée par les autres royaumes pétroliers du Golfe, est non seulement excessive, et par conséquent injuste : elle risque surtout de s'avérer contre-productive. Car sous prétexte de sanctionner des dirigeants politiques d'une médiocrité crasse, c'est l'institution militaire, la seule encore debout au Liban, la seule susceptible de tenir en respect l'envahissante milice, que l'on pénalise cruellement. On fait même mieux, on offre à l'Iran une occasion en or de renouveler, avec plus de sérieux et d'insistance que jamais, sa vieille offre de rééquiper la troupe de pied en cap. De mieux en mieux, on embarrasse les alliés locaux de l'Arabie, ne leur laissant d'autre exutoire que de dénoncer (à raison, mais cela ne change rien) la coupable responsabilité de l'axe syro-iranien dans cette affaire.

Particulièrement atteintes auront été ainsi deux personnalités sunnites de premier plan : le chef du gouvernement Tammam Salam et le leader du courant du Futur Saad Hariri, tous deux particulièrement chers au cœur de Riyad. Au premier, il peut être reproché de n'avoir pas réagi avec la promptitude, la clarté et la vigueur nécessaires à la diplomatie très personnelle de son préposé aux Affaires étrangères. C'est cette lacune que visait à faire oublier, sous des flots de rhétorique, le communiqué du Conseil des ministres publié hier. Voilà qui n'a guère empêché toutefois ledit ministre de se livrer à un plaidoyer pro domo, développant une bien extravagante notion de la neutralité libanaise. Il s'est valu un timide rappel à l'ordre de la part du chef du gouvernement, mais il en faudra bien plus pour faire taire enfin Monsieur Bassil.

Réduit à en appeler – par voie de pétition solennelle – à la traditionnelle bienveillance des Saoudiens envers le Liban afin qu'ils reviennent sur leur décision, Saad Hariri doit faire face, quant à lui, à une fragilisation subite de ses propres rangs, à l'heure précise où il entreprend une reconquista de ses positions, tant à la tête du 14 Mars que sur l'échiquier national. C'est pour dénoncer l'emprise croissante du Hezbollah sur les actions du gouvernement que le ministre de la Justice a démissionné avec éclat. Mais il a paru protester aussi (et surtout ?) contre la modération, jugée excessive, du courant du Futur, qu'il s'agisse de sa conduite de l'élection présidentielle ou de l'affaire de l'ancien ministre Michel Samaha, que le bouillant Rifi souhaitait porter devant des juridictions internationales. Le plus remarquable cependant est la vague de soutien qu'a suscitée son geste dans la rue sunnite, aussi bien à Beyrouth que dans son fief de Tripoli.

Là aussi, on ne semble pas avoir suffisamment tenu compte de ces capricieux retours de bâton qui font notre triste quotidien...


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Faites taire Monsieur Chamoun, fulminait Georges Naccache dans un célèbre éditorial de 1945, dans lequel il s'élevait contre les déclarations, jugées par trop anglophiles (et donc résolument francophobes), du ministre plénipotentiaire à Londres de l'époque. Si à 45 ans un novice de la diplomatie n'est pas maître de sa langue, ce diplomate devient un péril national,...