Consciente de son devoir de réajuster, par la connaissance et par le droit, un exercice politique déréglé et médiocre, l'amicale de la faculté de droit et des sciences politiques de l'Université Saint-Joseph a convié les représentants de cinq blocs parlementaires à expliquer « leur échec à élire un président de la République ». Un appel à un diagnostic franc de la situation, auquel ont répondu le ministre Rony Araiji (Marada), les députés Ahmad Fatfat (bloc du Futur), Alain Aoun (bloc du Changement et de la Réforme) et Fady Karam (Forces libanaises), ainsi qu'Albert Costanian (Kataëb), autour d'une table ronde au campus des sciences sociales de la rue Huvelin, modérée par la journaliste Sabine Oueiss.
Le mot d'ouverture prononcé par la présidente de l'amicale de droit, Rita el-Amm, les a d'emblée contraints à affiner leurs rhétoriques habituelles, face à une assistance académique réfractaire à la démagogie et peu permissive à l'égard des approximations. « Nous avons, en tant qu'étudiants, et surtout en tant qu'étudiants de droit, formés à la rue Huvelin, un devoir de droit et de justice », a ainsi lancé la jeune étudiante. « Face à une caste politique adepte de la corruption et de la ruse, nous n'avons pas le droit de nous lasser. Cultivons-nous. Restons présents. Nos manifestations peuvent être culturelles, juridiques ou autres. Notre faculté a été un symbole et un espoir de lutte au sein de la société libanaise et doit le rester. Je suis sûre qu'un jour les rôles seront inversés, et qu'un jour, c'est vous qui serez assis à la tribune à la place de nos invités », a-t-elle lancé, vivement applaudie par l'assistance et par les intervenants.
Préceptes de démocratie
Lors du débat, tous les intervenants, à l'exception d'Alain Aoun, ont argué de leurs efforts respectifs à débloquer la présidentielle. Rony Araiji a relevé que le compromis autour de la candidature du député Sleiman Frangié, « lorsqu'elle avait été proposée (par le courant du Futur) a paru avoir le plus de chances de combler la vacance. Il semble toutefois que les choses ne soient pas suffisamment mûres pour la présidentielle ».
Ahmad Fatfat a expliqué que le courant du Futur « a toujours tendu la main à un candidat consensuel »: c'est dans cet esprit que la perspective d'un soutien à la candidature du chef du bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun, aurait échoué, ce dernier ayant « lui-même déclaré qu'il ne souhaitait pas être un candidat de consensus et qu'il n'avait pas réussi à être un candidat de compromis ».
Il a tenu à préciser que son camp « a tout fait » pour combler la vacance, en se rendant à chaque séance électorale, contrairement au « camp des boycotteurs ». Paradoxalement, M. Araiji, qui représente ce dernier camp, a lui aussi affirmé que les Marada ont « accompli leur devoir de trouver une issue à la crise ».
Albert Costanian a été quant à lui le seul à imputer nommément au Hezbollah la responsabilité du blocage.
Fady Karam, au nom des Forces libanaises, s'est attardé pour sa part sur l'appui des FL à la candidature du général Michel Aoun. « Un choix de nécessité », a-t-il dit, précisant que « ce soutien s'est fait sur la base d'un programme, et non d'une personne ». Les dix points de Meerab ont été critiqués par certains étudiants, relayés par Albert Costanian, pour leur » insuffisance « et leur formulation vague, notamment pour ce qui est de la clause relative aux » groupes armés «. Certains étudiants sont revenus sur l'absence d'un programme officiel de Sleiman Frangié.
En tout état de cause, le député FL s'est employé à démontrer que l'entente avec le général Aoun obéissait aux «préceptes de démocratie, de consensus et de pacte national ».
Sauf qu'il a défendu une approche du pacte national différente de celle du député Alain Aoun. Contraint de justifier le boycottage des séances – selon une logique contraire à celle des autres intervenants –, M. Aoun est revenu sur la rhétorique du « président fort ». Une « théorie » que M. Karam a rejetée, en ce qu'elle ne justifie pas, selon lui, le blocage de l'exercice électoral. Pour Alain Aoun en revanche, « si la volonté de 80 % des chrétiens – consolidée par l'entente de Meerab – n'est pas entendue, c'est que le pacte national est en crise. Nous entendons résoudre cette crise au niveau de la présidentielle, afin d'éviter que la crise ne dégénère à l'ensemble des institutions. Et je vous dis que de graves crises risquent de secouer le pays ».
« Mon manuel de droit m'a appris... »
Cette approche est loin d'avoir intimidé un étudiant de 2e année de droit. Il a mené un débat direct avec le député, à coups de questions successives qui ont visiblement irrité ce dernier. « Vous dites que vous représentez 80 % des chrétiens, mais qu'en est-il des chrétiens qui veulent débloquer la présidentielle ? Qu'en est-il des émigrés, auxquels vous refusez de reconnaître le droit de vote ? », a commencé par demander l'étudiant. Et, peu satisfait des réponses de son interlocuteur, il a conclu calmement sur ce constat : « Mon manuel de droit constitutionnel ne m'a pas appris qu'il vous est permis de bloquer le scrutin pour les raisons que vous invoquez. »
Si Ahmad Fatfat s'entend avec Alain Aoun sur le fait que « la démocratie consensuelle n'a pas respecté le pacte national », c'est pour des raisons différentes : M. Fatfat a précisé que la démocratie consensuelle est devenue prétexte au blocage, depuis que le pacte national, à la base islamo-chrétien, est interprété sous l'angle sectaire, distinguant sunnites et chiites, et justifiant des hérésies comme le tiers de blocage. La surenchère aouniste en faveur des droits des chrétiens viserait donc à détourner l'attention du problème véritable : la dénaturation du pacte national par le Hezbollah.
D'ailleurs, lorsque le point sur « la légitimité » du Parlement a été soulevé par Alain Aoun, et le rôle du Conseil constitutionnel évoqué par une étudiante, le professeur de droit constitutionnel Antoine Kheir, présent dans l'assistance, a pris le micro pour trancher le débat : « Lorsque le Conseil constitutionnel devait examiner la première prorogation de la législature, trois de ses membres se sont absentés des séances, pour des raisons politiques qu'il serait naïf d'ignorer. Ces trois juges étaient d'ailleurs présentés dans les médias non pas par leur nom mais par leur confession. Pour ce qui est de la seconde prorogation, le Conseil a voulu éviter le vide législatif, alors que commençait à peser la vacance présidentielle. Or, le bloc qui a saisi le Conseil constitutionnel contre la prorogation parlementaire (le bloc aouniste) est le même qui bloque le scrutin présidentiel. »
Les interventions ont révélé en somme, peut-être involontairement, l'un des effets les plus graves du vide : l'effacement progressif des principes fondateurs du système libanais.
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commentaires (5)
La rengaine d'un "président fort" est morte et enterrée. Le Liban n'a pas besoin d'un président champion en poids et haltères, mais d'un président neutre, intègre, consensuel accepté par tous. . A Alain Aoun de changer de disque le plus tôt serait le mieux.
Un Libanais
18 h 33, le 20 février 2016